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Perspectives Psy
Volume 57, Numéro 1, janvier-mars 2018
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Page(s) | 5 - 7 | |
Section | Éditorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2018571005 | |
Publié en ligne | 10 octobre 2018 |
La réforme inachevee
Actualité de Philippe Paumelle
The unfinished reform. The relevance of Philippe Paumelle today
Psychiatre, psychanalyste, praticien hospitalier, ancien directeur général de l'ASM 13, Paris, France
Les services hospitaliers de la psychiatrie de secteur sont en difficulté, comme l’ont encore montré les récentes mobilisations à Sotteville-lès-Rouen et à Rouvray. Une baisse constante des lits les a ramenés à environ le tiers de ce qu’ils étaient il y a trente ou quarante ans, alors que le nombre des entrées reste soutenu, et que les internements affluent. Les séjours deviennent de plus en plus courts, les phénomènes de « porte tournante » se multiplient, les équipes se sentent découragées et épuisées, les psychiatres quittent le service public, les uns après les autres, pour s’orienter vers des pratiques professionnelles moins rudes, le nombre de postes vacants explose. Un tiers des lits... Cela doit faire, malgré tout, une sacrée économie. Mais où donc est-il passé, tout cet argent ?
Nous le savons, à peu près. Au recouvrement du déficit de la sécurité sociale, qui s’est progressivement creusé au fur et à mesure que le chômage augmentait, et que la masse des cotisations baissait ; aux nécessaires revalorisations salariales des professions de la psychiatrie, traitées depuis des décennies en parias de la médecine ; au financement des 35 heures car – faut-il le rappeler –, pour une profession qui doit assurer une présence 24 heures sur 24, sept jours sur sept, une baisse de 10 % du temps de travail nécessite de facto une augmentation de 10 % des effectifs ; à l’indispensable modernisation de nos lieux de soins, qui accueillaient encore leurs patients, au début des années 1980, dans des conditions d’hébergement indignes ; au financement de la certification et aux différents métiers et officines parasitaires qui se sont développées à ses côtés pour nous « accompagner dans la démarche qualité », dans le pays où la règle d’or semble être qu’il ne faut pas faire simple quand on peut faire compliqué.
Et les centres médico-psychologiques, dans tout cela ? La psychiatrie « extrahospitalière », la « psychiatrie dans la cité », la « psychiatrie communautaire », la psychiatrie de la prévention et de l’intervention précoce, la psychiatrie de l’accompagnement du patient dans le quotidien ? Ont-ils suffisamment profité des économies dégagées par la baisse du nombre de lits ? Las... Une modeste unité hospitalière d’une vingtaine de lits absorbe aujourd’hui deux ou trois fois plus de soignants que la moyenne des ressources humaines d’un CMP de secteur standard. Il n’est pas rare que le centre de consultations de secteur soit encore un trois-pièces cuisine, avec une secrétaire, quatrecinq infirmiers et quelques PH qui arrivent de l’hôpital en courant et en retard, pour voir une quinzaine de patients en quatre heures. Un directeur d’hôpital psychiatrique regroupant plusieurs secteurs préférera souvent financer un magnifique bâtiment au sein de « son » établissement, plutôt que six centres médico-psychologiques disposant de dizaines de bureaux pour les consultations psychiatriques, pour les suivis psychologiques, pour les entretiens infirmiers, pour le travail des assistants sociaux, pour les activités de groupe, pour les réunions avec les familles, pour les accueils informels de tel ou tel patient en difficulté. Et faire visiter un tel bâtiment à ses invités de marque, de l’ARS et d’ailleurs, avant ou après un somptueux et interminable déjeuner, sera toujours plus plaisant que de se retrouver coincé dans les embouteillages, ou parcourant des kilomètres, pour aller voir des CMP de trois cents mètres carrés où il n’y a rien à voir que des portes fermées derrière lesquelles des professionnels accueillent l’intimité d’un patient.
Tant et tant d’expériences à l’étranger, qui ont découvert la psychiatrie extrahospitalière bien après nous - le « case management », par exemple - ont déjà prouvé qu’un petit groupe de soignants, suivant quotidiennement ou de façon pluri-hebdomadaire, sur une longue durée, un petit groupe de patients psychotiques, permet une quasi-disparition des rechutes, une meilleure insertion dans la communauté, un recours beaucoup moins massif aux neuroleptiques et aux lits hospitaliers. On devrait le savoir : nous en avons été les premiers promoteurs. Mais des soignants effectuant un tel travail, il en faudrait vingt ou trente par secteur de soixante-dix mille habitants, comportant, outre les psychiatres, des infirmiers, des aides-soignants, des psychologues, des éducateurs, des aides à domicile..., une véritable réorientation des ressources de l’hôpital vers les suivis ambulatoires, à une époque où l’occasion semble déjà passée : l’hôpital s’est bel et bien rétréci, mais les ressources sont parties ailleurs, et il est difficile de demander à un intrahospitalier qui crie misère de se redéployer vers l’ambulatoire.
Alors, la psychiatrie revient en arrière. Elle se fait à nouveau « au lit du malade », à ceci près que le lit est devenu rare, et qu’aux plusieurs mois d’observation de la pratique asilaire d’autrefois a succédé la sémiologie sommaire des fins de semaine dans l’angoisse du week-end qui arrive sans lits disponibles. Et lorsque ce patient, encore mal rétabli, fini par sortir, il rencontrera le piqûre mensuelle dans un CMP débordé, une consultation d’un quart d’heure tous les deux mois – et la solitude de son studio insalubre, ou les disputes toxiques avec des parents vieillissants et excédés. Les statistiques sont formelles, et inquiétantes : les patients de la file active d’un secteur standard auront en moyenne six consultations psychiatriques dans l’année. Statistiques globales, certes ; il y a des patients qui ne viennent qu’une fois, d’autres qui déménagent en cours d’année... Mais néanmoins statistiques basées sur un nombre suffisamment important de patients pour révéler ce qu’est devenue la promesse d’une présence, au plein sens du terme, « au plus près de la vie des gens, là où elle se déroule ».
Il faut peut-être vraiment revenir en arrière. Penser à ce jeune psychiatre du milieu des années 1950, Philippe Paumelle, sortant tout juste de son internat, ayant rencontré des maîtres prestigieux, les meilleurs de cette génération, et qui lui promettaient une carrière tout aussi prestigieuse, vouée à la plus noble des tâches dans cet immédiat après guerre : la bataille pour la réforme de l’hôpital psychiatrique, pour la désaliénation de l’asile. Mais qui, au lieu de suivre cette voie toute tracée, a préféré un coin discret dans les locaux d’un lieu de soins obscur du 13e arrondissement de Paris, au nom improbable, « Office Public d’Hygiène Sociale » – on oserait à peine croire aujourd’hui que cette appellation a vraiment existé ; elle désignait néanmoins à cette époque un réseau de dispensaires pour soigner les alcooliques et les tuberculeux. Jeune psychiatre donc qui, dans ce coin, en y introduisant avec mille précautions et beaucoup de culot les malades mentaux, va inventer le premier secteur psychiatrique de France, en partant vraiment de là où « se déroule la vie des gens », et en établissant patiemment, avec d’infinies difficultés administratives et financières, une psychiatrie de présence dans la cité, offrant des consultations, des traitements, des psychothérapies et des accompagnements à domicile, bien avant de se préoccuper de lits d’hospitalisation.
Et c’est ainsi, dans ce retour en arrière qui nous permettrait de repenser les racines et les fondamentaux de l’extraordinaire aventure de psychiatrie publique qu’a été la sectorisation, que nous pourrions peut-être retrouver le fil de cette réforme inachevée.
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