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Editorial
Numéro
Perspectives Psy
Volume 52, Numéro 3, juillet–septembre 2013
Page(s) 217 - 218
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2013523217
Publié en ligne 29 octobre 2013

Des débats agitent actuellement les communautés de professionals de l’enfance suite à la reprise par les pouvoirs publics français et européens des théories du genre avancées notamment par Butler (1990). Selon ces travaux, les distinctions de sexe ne sont pas données en nature mais résultent de processus culturels et sociaux qui viennent contraindre l’identité sexuée des sujets et asseoir la domination des hommes sur les femmes. Avant d’explorer cette affirmation, il faut tout d’abord souligner la polysémie du terme « genre ». Il se décline sous plusieurs aspects : le rôle (attentes du groupe social et assignation sociale d’une conduite liée au sexe), l’expression de l’identité sexuée (attitude et positionnement selon le sexe de l’individu en société, comme par exemple les choix vestimentaires ou les opinions sur tel ou tel sujet de société) et, plus fondamentalement, l’identité sexuée en tant que représentation de sa propre identité dans ses composantes sexuées. Si rôle et expression appartiennent au volet social, seule l’identité sexuée au sens de représentation relève du versant psychique. Au vu de cette polysémie, le genre peut être certainement vu comme étant en partie une construction sociale. Ceci a été notamment montré par des études longitudinales récentes (Stacey et Biblarz, 2001; Regnerus, 2012) au terme desquelles l’expression de l’identité sexuée masculine et féminine apparaît très diverse selon les configurations parentales et les environnements familiaux. Mais cette construction sociale est enracinée dans la différenciation sexuelle qui est á la fois une expérience subjective et une réalité corporelle (génétique, physiologique, anatomique), cette dernière n’étant ambiguë que dans de très rares cas.

Une chose est de combattre la domination d’un groupe sur un autre groupe, tout autre chose est de radicaliser ce combat en niant le trait fondamental du vivant qu’est le dimorphisme sexuel. Faute de pouvoir atteindre l’égalité de citoyens essentiellement différents, on tend à nier les différences pour se dire tous semblables et atteindre ainsi l’égalité (Chambry, 2013). Un tel mouvement encourage l’indifférenciation qui, dans notre expérience clinique, est peu propice au développement psychique.

C’est l’articulation entre le genre et son substrat biologique et corporel qui est mis en cause actuellement. Pour les féministes de la mouvance queer dont Butler, le genre n’est pas donné en nature. Selon elle, il résulte d’un apprentissage des rôles sexuels et de la contrainte sociale qui impose des normes à l’expression des identités sexuées. La définition des rôles sexués et l’assignation des sexes aux individus peut apparaître à plusieurs comme un véritable système qui organise la réponse sociale à notre finitude biologique, notre limite biologique qui nous constitue dans la très grande majorité des cas, soit homme, soit femme. Revisitant l’approche marxiste à la lumière des structuralistes français, Rubin (1975) postule ainsi qu’une société maintient son système social de parenté en formatant les êtres humains en garçons et filles et leur vendant l’accouplement ultérieur comme voie unique d’accession à plénitude. En ce sens, le genre participe d’un système de domination qui pèse sur les femmes1. C’est cette domination qui est dénoncée par les études féministes pour lesquelles le genre est un marqueur social analogue à celui de classe sociale. Toutefois, ces études ne mettent-elles pas trop en avant l’hypothèse et/ou le constat sociologique d’une hiérarchie des genres en déniant toute validité ou pertinence à la différence sexuelle ? Pour combattre la hiérarchie, on nie la différence, toujours la même propension évoquée précédemment de viser l’égalité sans assumer la différence.

L’identité sexuée est à la culture et à la société ce que le dimorphisme sexuel est à la biologie. Sur le plan social, l’identité sexuée se joue dans un double mouvement, mouvement du groupe vers le sujet d’assignation sociale d’une identité sexuelle et mouvement du sujet vers le groupe social d’expression d’une identité sexuée personnelle. L’expression de l’identité sexuée est forgée par la rencontre assumée subjectivement d’une assignation sociale et d’une expérience intime de son identité personnelle. Elle est donc l’aboutissement d’un processus fondamentalement intersubjectif.

La différence sexuelle interindividuelle, observable sur le plan corporel et biologique, se double d’une bisexualité présente sur le plan psychique pour chaque individu. Cette bisexualité psychique se fonde sur la privation de la bisexualité biologique et sur « la commémoration de l’époque primitive » marquée par la bisexualité. Aussi cette bisexualité possède une tonalité nostalgique (Missonier, 2003).

Cette époque primitive est en écho métaphorique avec la période du développement fœtal où les voies génitales sont encore indifférenciées. L’identité sexuée dans ses fondements biologiques dépend d’un processus de maturation anatomophysiologique qui, commencé in utero, se poursuit sous controle hormonal2 et se prolonge tout au long de la maturation neuronale jusque dans l’entrée de l’age adulte. Ce processus biologique est coextensif du développement affectif toute la vie durant. Et ce processus est fondamentalement dynamique et interactif.

Le dépassement de l’ambivalence sexuée est une étape du développement affectif et, jusqu’à présent, du développement social. Et comme dans tout enjeu développemental, les parents jouent un rôle essentiel pour accompagner et aider l’enfant à discerner, discriminer, se repérer dans ses perceptions et ses désirs. Dé-repérer les enfants semble la tendance dominante. Ce n’est pas un débat nouveau entre éducateurs. Il relève du mythe du bon sauvage qui peut s’élever tout seul. Or nous constatons que le petit humain ne peut développer ses capacités de raisonnement et de communication qu’en interaction nourrie avec son entourage humain. Le bébé est d’emblée disposé à interagir avec autrui. Cette perspective évolutionniste nous donne a la fois de l’optimisme et une responsabilité pour réfléchir aux choix éducatifs qui pourront favoriser dans le futur le développement et l’adaptation de nos enfants dans les domaines reliés au sexe.

On peut légitimement se questionner sur les philosophies, consignes éducatives et rapports sociologiques qui tendent à nous conforter dans une plénitude que nous posséderions individuellement alors que notre expérience nous dit que nous sommes toujours instables et en manque d’autre. Ces théorisations sur le genre ne renforcent-elles pas en fait l’illusion de toute puissance infantile et le mythe de la complétude utérofœtale ?

Remerciements

Remerciements

L’auteur remercie les participants du groupe M-F de la Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent et Disciplines Associées animé par le Pr C. Chiland et le Dr J. Chambry dont les discussions ont stimulé la rédaction de ce texte.


1

Mais aussi sur les hommes et « l’individu atypique » pour reprendre le terme de Mead.

2

Les voies génitales se différencient sous l’effet de la sécrétion de testostérone à partir de la neuvième semaine de grossesse.

Références

  1. Butler, J. (1990). Gender trouble. New York : Routledge. [Google Scholar]
  2. Chambry, J. (2013). Communication personnelle. [Google Scholar]
  3. Rubin, G.(1975). The traffic in women : notes on the political economy of sex. In Reiter, Rayna (ed.), Toward an anthropology of women. New York : Monthly Review Press, pp. 157–210. [Google Scholar]
  4. Regnerus, M.(2012). Parental same-sex relationships, family instability, and subsequent life outcomes for adult children : answering critics of the new family structures study with additional analyses. Social Science Research, 41, 1367–1377. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Stacey, J., Biblarz, TJ.(2001). (How) Does the sexual orientation of parents matter ? American Sociological Review, 66, 159–183. [CrossRef] [Google Scholar]
  6. Missonnier, S.(2003, avril). Aphroditos sur la lune : mono et bisexualite a la maternite, Communication présentée à la journée Bisexualité et périnatalité du CHU Sainte-Anne, Paris, France. [Google Scholar]

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