Numéro
Perspectives Psy
Volume 52, Numéro 3, juillet–septembre 2013
Page(s) 219 - 221
Section Souffrance psychique des enfants exposés à la violence conjugale
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2013523219
Publié en ligne 29 octobre 2013

La souffrance psychique des enfants exposés aux violences conjugales est reconnue depuis peu dans notre pays. En France, le thème de la violence conjugale a bénéficié de l’attention soutenue des pouvoirs public et des médias à partir des années 2000 à la suite de la publication des résultats de l’enquête sur les violences envers les femmes en France (dite ENVEFF). En 2007, l’Observatoire National de l’Enfance en Danger (ONED) publiait un cahier de recommandations visant à prendre en considération les enfants vivant dans un climat de violence conjugale, et, fin 2012, l’ONED publie un rapport d’étude sociologique de Nadège Séverac : « Les enfants exposés à la violence conjugale. Recherches et Pratiques » (2012).

D’un point de vue psychiatrique, les progrès de la victimologie ont permis de mieux définir les effets des violences et du harcèlement dans le couple dont les femmes sont les principales victimes. En revanche, les effets sur les enfants sont moins bien étudiés, même si on sait depuis longtemps que la discorde conjugale est le premier facteur de troubles mentaux chez l’enfant. En 2007, Maurice Berger introduisait le terme d’enfant « exposé » à la violence conjugale pour remplacer celui d’enfant témoin de violence conjugale (Berger, 2007).

Depuis longtemps, la discorde parentale est repérée comme un frein au développement psychique et affectif de l’enfant. En 1905, Freud écrit dans Trois essais sur la théorie sexuelle : « Les querelles entre les parents, leur mariage malheureux, déterminent chez les enfants la prédisposition la plus grave à des troubles du développement sexuel ou a des inclinaisons névrotiques ».

L’étude épidémiologique la plus complète et exhaustive sur la santé mentale de l’enfant, menée entre 1964 et 1974 par Michael Rutter, établissait que le premier facteur de troubles psychiques chez l’enfant est la discorde parentale, mais sans la singulariser (Rutter et al., 1976).

La lutte contre la violence conjugale, et principalement contre les violences faites aux femmes, s’attache actuellement à caractériser les situations de harcèlement et de violence psychologique qui sont bien plus difficiles a objectiver que les situations de violence physique.

Le nombre d’enfants ayant assisté à des violences conjugales dans les files actives de pédopsychiatrie est importante. Une équipe de pédopsychiatrie de Thonon-les-Bains a fait une étude en 2005/ 2006 sur les enfants consultés dans le cadre de la psychiatrie de liaison (Voindrot et al, 2012) : 41 % avaient été exposés à la violence conjugale physique. Ils n’ont pas pu étudier la violence psychologique car elle bien plus difficile à objectiver et à définir de façon consensuelle. Pour les mêmes raisons, il est difficile d’étudier l’impact de la violence sexuelle et de la violence économique dans le couple.

Des études canadiennes donnent un taux de 11 % à 23 % d’exposition à la violence conjugale dans la population générale ; les enfants exposés a la violence domestique ont un taux de prévalence de troubles mentaux de 21 % alors qu’il n’est que de 4 % dans la population générale.

Les troubles mentaux présentés par ces enfants ne sont pas spécifiques. La pathologie traumatique vient en surimpression des troubles psychopathologiques liés aux difficultés du développement.

En général, on décrit des enfants anxieux ou/ et ayant tendance à l’agressivité. Mais Il n’y a pas de troubles spécifiques liés à l’exposition des enfants au harcèlement et aux violences familiales. On peut retrouver des expressions symptomatiques variées allant de la dépression à l’encoprésie de l’enfant et, chez l’adolescent, des troubles allant de la tentative de suicide aux troubles alimentaires.

Les troubles qu’on peut observer sont donc différents non seulement en fonction de l’âge actuel de l’enfant mais aussi de l’âge auquel les premiers éléments traumatiques sont survenus ; et cela en fonction des stades de son développement affectif et neurobiologique et de la possibilité de comprendre et de mettre des mots sur la violence à laquelle il est exposé. Daniel Stern disait que « l’enfant est bien plus que témoin de la violence : il la sent, l’éprouve ; elle s ‘imprime dans son système nerveux ». Les identifications successives à l’agresseur et à l’agressé mettent en jeu les neurones miroirs où les scènes s’impriment. Cela se passe souvent à un âge préverbal et ces représentations ne sont pas liées à la pensée. Elle ressortent ensuite de façon brute ; soit sous forme d’agression mais aussi dans les jeux.

En dehors des symptômes à proprement parler, nous observons fréquemment que ces enfants ont la plus grande difficulté à entrer dans un jeu narratif élaboré. Entre 3 et 6/7 ans, lorsqu’ils utilisent des figurines, ils font des bagarres, mettent en scène une violence où souvent apparaît un agresseur tout-puissant que rien ne peut arrêter : ni la police, ni les pompiers. La scène se reproduit avec une certaine excitation et une jubilation. L’enfant est alors dans une expression de relation binaire entre l’agresseur et le (ou les) agressé(s). Il n’y a ni bien ni mal, pas de composante morale, seulement une excitation et une jubilation. Cela n’est pas sans évoquer le mode de pensée de certains jeux vidéo : « la bagarre pour la bagarre ». Fréquemment, l’enfant s’identifie à l’agresseur à la maison et se montre agressif verbalement ou physiquement avec sa mère.

On peut également rapprocher cela de l’effet du stress permanent chez le nourrisson : augmentation du cortisol, dont la conséquence est une atteinte des structures cérébrales, en particulier l’hippocampe ; dysfonctionnement au niveau de la régulation des émotions ; diminution de la plasticité cérébrale ; effet sur le développement et l’empathie ; et la capacité de reconnaître ses émotions avec réponses violentes automatiques (Berger, 2012).

En dehors de la violence physique, plus facilement repérable bien que souvent tue, on se heurte à une difficulté supplémentaire quand le harcèlement est psychologique et surtout le fruit de la relation avec une personne présentant une perversion narcissique.

Ce sont des situations difficiles à repérer et le diagnostic de situation peut être tardif car c’est la victime qui ne vas pas bien psychiquement, se sent déprimée et angoissée, et qui pense qu’elle est à l’origine des problèmes.

Nous ne développerons pas ici cette problématique qui, au-delà des multiples écrits psychologiques qu’elle suscite, est largement médiatisée.

Dans les consultations pédopsychiatriques tout venant, peu de cas de harcèlement sont le fait de pervers narcissiques. En pratique, nous avons plutôt affaire lors des séparations a des conjoints dont le narcissisme est fragile et qui ne supportent pas la situation et harcèlent leur ex-partenaire.

Dans tous les cas, les effets pour l’enfant, á court terme et á long terme, sont ceux d’une souffrance psychique qui va moduler le développement psycho-affectif et donner soit une vulnérabilité dépressive, soit une organisation en pathologie limite. L’attachement va s’organiser de façon insécure, renforçant encore la vulnérabilité aux troubles psychiques.

Le dossier que nous proposons pour étayer la réflexion sur ces situations rencontrées – très fréquentes en consultation de psychiatrie infanto-juvénile – a été réuni à partir des communications d’un colloque organisé par Perspectives Psy en janvier 2011. Les différents aspects de la question sont abordés : Antoine et Nicole Guedeney nous donnent un aperçu de l’impact sur le développement de l’attachement. La réflexion clinique est ensuite, dans des perspectives complémentaires, développée par Pierre Lévy-Soussan, Françoise Moggio et Michel Grappe

Références

  1. Berger, M.. Conférence Vires. Exposition de l’enfant à la violence conjugale. Genève, 2007. [Google Scholar]
  2. Berger, M. (2012). Soigner les enfants violents. Paris : Dunod, 310 p. [Google Scholar]
  3. Freud, S. (1905). Trois essais sur la théorie sexuelle. Traduction française Koppel, P.. Paris : Gallimard, 1987. [Google Scholar]
  4. Rutter, M., Tizard, J., Yule, W., Graham, P., Whitmore, K. (1976). Isle of wight studies, 1964–1974. Psychological Medicine, 6, 313–332. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Séverac, N. Rapport d’étude : les enfants exposés à la violence conjugale. Recherches et Pratiques. Observatoire national de l’Enfance en Danger (ONED), décembre 2012. [Google Scholar]
  6. Voindrot, F., Meaux, C., Berthelot, M., Moser, J. (2012). De l’enfant témoin à l’enfant exposé. Neurones miroirs et élaboration de la pratique : l’enfant exposé aux violences conjugales. Journal International de Victimologie, 10, 1, 65–70. [Google Scholar]

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