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Perspectives Psy
Volume 62, Numéro 3, Juillet-Septembre 2023
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Page(s) | 209 - 212 | |
Section | Éditorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2023623209 | |
Publié en ligne | 29 septembre 2023 |
Vivre ou mourir à tout prix
Living or dying absolutely
Psychiatre des hôpitaux, ancien chef de pôle de psychiatrie du sujet âgé, 31 ruedes Chenizelles, 02000 Laon, France
La revue dont le titre même invite à se projeter dans l’avenir ne pouvait se tenir à l’écart du débat concernant la fin de vie et de l’introduction prévisible, par le législateur, d’une aide active à mourir. L’enjeu éthique est majeur puisque la proposition de loi toucherait à l’interdit de donner la mort à autrui ou de la faciliter de manière conditionnelle.
Le contexte est pour le moins paradoxal et non exempt d’ironie. Alors que les images de mort sont relayées en continu par les chaînes d’information que ce soit celles de guerres, de catastrophes climatiques, du terrorisme, de la noyade de migrants, nos concitoyens se sont emparés avec passion d’un nouveau sujet de société aux dimensions politiques, juridiques, médicales, économiques : le droit à mourir ! Revendication qui peut paraître étrange si l’on rappelle que mourir est le lot de notre condition d’être de langage, d’être et de se savoir mortel. L’autre propriété de tout humain est d’être animé, à son corps défendant, par la pulsion de mort, qui affecte les soignés tout autant que les soignants aux prises avec l’agressivité dans les pratiques. La représentation, l’appréhension de la mort nous accompagne tout au long de la vie. Une part notre activité a pour objet de se divertir avec B. Pascal ou de se détourner avec M. de Montaigne, de ce réel, de contrer l’angoisse de la mort et de l’au-delà. Dans une conception kantienne la vie est un bien unique, non échangeable, qui n’est pas une valeur marchande et à ce titre est supérieure à tout prix.
La situation au regard du mourir est la résultante de l’évolution de nos sociétés démocratiques placées sous l’influence croissante de la science, du capitalisme et de l’individualisme. La médecine a effectué ces 75 dernières années des progrès dans les techniques de soin repoussant les limites du curable au prix d’un virage clinique qui néglige la subjectivité du patient. L’écart se creuse entre le désir du médecin et la réalité à laquelle il est confronté. Cette médecine toute puissante a un revers, celui de maintenir en vie, y compris de façon artificielle des malades chroniques placés sous machines sophistiquées, des sujets handicapés ou lourdement dépendants. L’espérance de vie s’accroît en créant une catégorie inédite de personnes de grand âge poly-pathologiques, institutionnalisées, parfois grabataires. Le vieillissement attendu de la population, la stagnation du nombre des actifs ne peuvent qu’aggraver la modification de la pyramide des âges qui devient un enjeu économique et éthique majeur. Comment dès lors ne pas mettre en perspective le renoncement du gouvernement à instaurer la loi « Grand âge et autonomie » qui avait été annoncée et la volonté de promouvoir une loi sur la fin de vie plus consensuelle et non coûteuse ? Humanisme et économie ont souvent été liés dans l’histoire; l’humanisme servant d’alibi à des mesures purement comptables, mues par un utilitarisme social.
La médecine est soumise aux valeurs, aux discours et usages de son époque. La réforme des droits du patient désormais usager et acteur de ses soins (loi Kouchner du 4 mars 20021) fait l’objet d’un questionnement éthique entre soignants, patients et familles. Cette loi est en phase avec la montée de l’individualisme, de la revendication à la liberté, du droit à, de, et de l’autodétermination. La quête de la maîtrise de sa mort peut aller pour certains sujets jusqu’à la mettre en scène et la faire médiatiser. Peut-on, sous certaines conditions, répondre à la demande d’un patient d’abréger sa vie ? Telle est la nature du débat qui est d’ordre anthropologique tout autant que médical et juridique. La prolongation de la vie dans des conditions que l’intéressé, ses proches jugent insupportable, littéralement invivable est-elle un bien ? Rappelons que Freud, âgé de 83 ans, atteint d’un cancer de la mâchoire depuis 16 ans, très affaibli, ne parvenant plus à s’alimenter, considérant que sa vie n’était plus qu’une torture et que cela n’avait plus de sens a demandé à son médecin Max Schur d’abréger sa vie, ce qu’il lui avait promis, et ce qu’il a fait. Cet acte s’apparente à la sédation profonde et continue introduite par la loi Claeys-Léonetti, même si l’intentionnalité en diffère.
Quelle est la nature du dilemme :
Pour les uns les différentes lois sur la fin de vie, accès aux soins palliatifs de 1999, loi Léonetti de 2005, loi Claeys-Léonetti de 2016 n’apportent pas une réponse satisfaisante à l’ensemble des situations rencontrées : elles laissent des zones dites grises, dont la complexité embarrasse. Mais n’est-ce pas le lot de toute loi d’induire des manques, des exceptions, objets du débat éthique ? C’est le cas pour les maladies neurodégénératives, dont le modèle est la sclérose latérale amyotrophique, dans lesquelles le pronostic vital est engagé à moyen terme. De même lorsque qu’un sujet âgé, ou lourdement handicapé, a une perte de jouissance dans la vie qui le conduit à ne pas vouloir prolonger son existence, la seule façon de l’abréger est d’arrêter un traitement dit vital, de ne plus s’alimenter se « laisser mourir » ou de se suicider. C’est ce que l’on observe dans notre pratique. La France est un des pays qui compte le plus de suicides chez les âgés (un tiers de l’ensemble des suicides). Ce sont des suicides violents, défenestration, noyade, pendaison, étouffement, avant la prise massive de médicaments. Le pourcentage de ces passages à l’acte croît avec l’âge et avec l’incidence de la dépression. La demande insistante d’associations militantes de modifier la loi s’appuie sur ces impasses et sur un « mal mourir » en France, pour introduire dans notre Droit ce que l’on désigne par une aide active à mourir formule qui condense à la fois le suicide assisté et l’euthanasie. Outre la médiatisation de recours à des pays voisins, la Belgique pour l’euthanasie, la Suisse pour le suicide assisté, ces associations saisissent les instances nationales puis supranationales telle la cour Européenne des droits de l’homme pour faire aboutir leur cause. Si la cour Européenne reconnaît dans son article deux un droit à la vie, elle reconnaît parallèlement le « droit d’un individu à décider de quelle manière et à quel moment sa vie devait prendre fin »2.
Pour d’autres la vie est une valeur sacrée qui n’a pas de prix et doit être préservée jusqu’au dernier souffle, quel que soit le contexte. C’est une donnée inaliénable et non négociable… Or, plus qu’une demande de mourir qui renvoie à l’irreprésentable de la mort, ce qui est au-devant de la scène c’est un refus de vivre.
Les équipes de soins palliatifs affirment que le dispositif législatif actuel, mal connu et mal utilisé, répond à une majorité de situations : ils sont favorables au statu quo sous réserve de densifier leur réseau de soin. Le Conseil de l’Ordre des médecins3, l’Académie de médecine ont une position ferme contre l’euthanasie « Il (le médecin) n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort » article 38 du code de déontologie, mais nuancée, conditionnelle, quant au suicide assisté.
Quels sont les enjeux mobilisés ? Pour certains la France a, face à cette question, une position conservatrice, en retard sur le droit à l’autodétermination et sur les législations étrangères qui ont intégré l’aide active à mourir et le perçoivent comme un progrès. Pour d’autres, au contraire, les expériences étrangères ont valeur de contre-modèle puisque, une fois le dispositif mis en place, les indications sont de plus extensives au nom de la non-ségrégation, argument de recours juridiques; le nombre de suicides assistés ou euthanasiques clandestins augmente et le pourcentage de morts par aide active croît. Des collègues de pays frontaliers, en particulier belges, alertent sur l’extension du processus, de la douleur physique à la souffrance psychique, aux mineurs, et à des indications limites confondant demande de mort adressée à l’autre et désir de mort. Est ici convoquée une éthique des conséquences, les dérives constatées, instruites par les expériences de pays voisins, tout autant qu’une éthique déontologique.
L’introduction dans l’arsenal législatif d’un droit à activer la mort d’autrui transgresse un interdit moral fondateur de nos organisations sociales : le respect de la vie d’autrui. En référence à l’histoire et au programme T4 d’élimination par le régime nazi de 1939 à 19414 de sujets vulnérables, malades mentaux, vieillards, grabataires, asociaux au nom de la charité, c’est-à-dire d’un vouloir le bien de l’autre, et du contrat de préservation de la vie qui lie les soignants à leurs patients, introduire la dépénalisation de l’euthanasie constitue une rupture anthropologique. Mais n’en est-il pas de même pour le suicide assisté, formule pour le moins équivoque ? Assister au sens d’aider à la réalisation de l’acte ou d’y être présent ? Comment concilier respect de la vie d’autrui, prévention du suicide, souci majeur des soignants et l’autodétermination du sujet. Le législateur retiendra-t-il, pour répondre à certaines situations sans réponse cette voie, qui telle l’ouverture de la boîte de Pandore, peut amener à des dérives difficilement contrôlables liées à la mise à la disposition d’une telle offre ? Le premier vote de février 2021 des députés, la commission des affaires sociales de l’assemblée nationale majoritairement favorables à une modification de la loi, la dynamique enclenchée par le président de la République, la position tranchée de la Convention citoyenne, présagent de la mise en place d’un recours à l’aide à mourir. Dans notre époque où toute forme de patriarcat est dénoncée, donner au médecin un droit de vie ou de mort sur ses patients, même raisonné, ne peut qu’aggraver la défiance, les tensions, les faits de violence actuellement exercés à leur égard et altérer l’image et la nature du soin. En tant que psychiatres, psychologues, ayant un savoir sur la complexité du fonctionnement psychique nous mesurons combien le risque est grand de prendre à la lettre un vouloir mourir qui recouvre différentes occurrences d’une demande d’une autre nature. La légitimation par voie législative de l’aide à mourir entraînera une protocolisation de l’acte qui en déresponsabilisera ses effecteurs.
Améliorer la fin de vie des patients qui nous sont confiés c’est d’abord développer le réseau de soins palliatifs insuffisamment doté et renforcer les unités de long séjour qui accueillent les personnes âgées dont les jours sont comptés5. Il convient de réduire l’inégalité d’accès aux soins, sans ségrégation d’âge, améliorer la qualité des soins à domicile désertés par les médecins traitants et redonner à l’hôpital sa part d’humanité dans les accompagnements de fins de vies. Des moyens humains et financiers doivent renforcer la formation des soignants aux soins palliatifs, leur inculquer une culture palliative et développer le programme de prévention du suicide à destination des personnes âgés vivant tant au domicile qu’en institution.
Plus qu’une réforme du droit à mourir, l’enjeu éthique est celui d’un changement de cap dans l’orientation de la politique de santé.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Pour des raisons avant tout financières, et malgré les projections démographiques, le ministère de la Santé a réduit la capacité d’accueil en long séjour hospitalier. De 80 000 lits en 2003, la dotation s’est stabilisée à 31 000 lits à compter de 2019. Ces structures dont la durée de séjour moyenne est de 18 mois, accueillent des patients de plus de 60 ans ayant des pathologies lourdes et en fin de vie. L’alternative est le maintien à domicile ou le transfert en Ehpad beaucoup moins doté en personnel : https://Drees.solidarites-sante.gouv.fr/ Fiche 02 - Les capacités d’accueil à l’hôpital PDF
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