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Perspectives Psy
Volume 56, Numéro 1, janvier-mars 2017
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Page(s) | 5 - 7 | |
Section | Éditorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2017561005 | |
Publié en ligne | 13 juin 2017 |
Le flux de la vie et le hors temps post-traumatique
The flow of life and except post-traumatic time
Psychologue Clinicien, Psychanalyste et Thérapeute Familial. Professeur émérite en Psychologie Clinique à l’Université de Picardie Jules Verne d’Amiens, 1, chemin du Thil, 80000
Amiens
France
Par sa réflexion sur le temps et la durée vécue, Henri Bergson nous a ouvert la voie d’une pensée du flux de la vie. Il a ainsi permis à la psychopathologie phénoménologique de s’épanouir, notamment avec l’ouvrage de Minkowski, Le temps vécu (Minkowski, 1968).
Dans le dernier poème qu’il ait écrit, Génie, Arthur Rimbaud exalte, lui aussi, l’élan si essentiel de nos existences.
En intitulant son autobiographie, On the move, parue quelques mois avant son récent décès, Oliver Sacks, brillant neurologue new-yorkais, a rendu hommage, à sa manière, à l’élan qui nous porte tous. Ou devrait nous porter tous. C’est précisément à ce praticien d’une « neurologie romantique », fondée sur la narration, que nous devons également une des définitions les plus fortes de la psychopathologie présentée par lui comme « la science de l’inimaginable » (Sacks, 2015).
Les poètes et les philosophes sont résolument devant nous, psychopathologues, pour tracer notre chemin, comme nous le rappelle Winnicott.
L’élan de nos existences a dramatiquement rencontré, ces derniers temps de bien terribles ruptures : trop souvent la vie de nos compatriotes et, dans de nombreux autres cas, le flux de la vie des survivants se sont trouvés arrêtés par les attentats terroristes. Ceux-ci nous ont tous marqués, mobilisant les citoyens que nous sommes et interrogeant les psychopathologues que nous restons dans un effort tendu de soins à penser et à donner.
Nous connaissons le travail remarquable des Cellules d’Urgence Médico-Psychologiques (CUMP) qui ont montré, à chaque fois, leur capacité de mobilisation et de prise en charge des victimes de catastrophes et d’attentats. Sans doute l’attentat de Nice du 14 juillet 2016 a-t-il mis en évidence, plus que jamais, la place des enfants, des adolescents et des familles au coeur de ces catastrophes humaines lorsque, ce soir de fête nationale et familiale, l’inimaginable a, à nouveau, frappé. Nous ne pouvons nous y habituer.
Le syndrome d’action directe, ou encore le syndrome de Ferenczi, pour reprendre les fortes formules de Pierre Delaunay, syndrome provoqué par le trauma, fait d’effets de clivage et d’anesthésie, nous donne rendez-vous urgemment aussi avec les enfants, les adolescents et leurs familles (Delaunay, 2011).
L’attentat de Nice a non seulement vu des enfants et des adolescents devenir victimes de cet acte terroriste mais il a rendu ces enfants et des adolescents témoins de l’affolement de quelquefois leurs parents et en tout cas de bien des adultes. La fonction contenante de la parentalité, un des puissants leviers du dispositif d’humanisation que constitue la famille, s’est trouvée ainsi mise à mal élargie à la confiance éclatée dans l’humanité et au flux de la vie arrêté avec une plongée dans le hors temps post-traumatique.
Des événements qui disloquent, des mobilisations qui rassemblent.
La Conférence Internationale pour l’aide aux Victimes (CIVIC), qui s’est tenue le 9 janvier 2017 au Palais de l’Unesco, à Paris, a fait se réunir de nombreuses personnalités à l’initiative de Juliette Méadel, Secrétaire d’État d’Aide aux Victimes (SEAV) pour une Journée ouverte par le surplomb de Robert Badinter.
Autant le traumatisme est dissociant, autant les mobilisations qu’il suscite, comme avec l’organisation d’une telle conférence, peuvent rassembler. Comme elle a rassemblé, ce jour-là, les hommes – politiques, scientifiques, victimes, soignants, diplomates, représentants d’association, journalistes… – dans un temps de convergence et de partage. Cette CIVIC aura fait date même si nous en sommes sortis quelque peu étourdis et presque frustrés qu’autant de personnalités aient eu aussi peu de temps de parole. L’essentiel aura été que tous soient venus et aient pu donner leur point de vue.
Parmi ces participants, Madame Françoise Rudetzki, fondatrice de SOS Attentat, auteur du rapport « Pour un centre de ressources et de résilience : réparer et prendre soin de la vie » (8 février 2017), soulignant qu’il y aura un avant et un après cette CIVIC, grâce à laquelle nous sortions de « trente années de déni, en dépit du Fonds de garantie créé en 1986 », a-telle ajouté, avant d’insister aussi sur le fait qu’il nous faut continuer d’apprendre à réparer les vivants (Rudetzki, 2016).
Une collègue psychanalyste rendait compte, en substance, de la « dynamique » d’une psychothérapie d’un patient victime d’attentat arrêté dans le temps, saisi par le hors temps posttraumatique, n’ayant pas vu arriver puis s’accumuler les courriers administratifs et se trouvant sommé de payer de considérables arriérés d’impôts. « Les psychanalystes ne sont pas des spécialistes du droit fiscal », a affirmé cette collègue mais il a été évident pour elle d’accompagner ce patient auprès de l’administration fiscale pour le soutenir dans sa démarche de retour au monde et au flux de la vie.
La levée de l’anesthésie chez les victimes éprouvant ce sentiment « d’être un peu mort » passe déjà par la reconnaissance de leur propre statut de victime : « Il m’a fallu du temps pour reconnaître la victime en moi », a affirmé l’ancien ambassadeur de France au Danemark, François Zimeray, présent lors de la fusillade, en février 2015, àCopenhague, où il est « passé près de lamort ».
Nous sommes invités à un type d’accompagnement nouveau, nous soignants, formés et habitués à d’autres protocoles de soins. Même si nous avons largement dépassé notre conception de celui-ci sur le mode unique d’une formulation de la demande. De nombreuses personnes rescapées, pas encore patients, déjà victimes, sont dans l’attente de nos initiatives. La démarche pro-active de l’INAVEM nous y invite autour d’une réflexion de Paul Ricoeur : « Derrière la clameur de la victime se trouve une souffrance qui crie moins vengeance que récit ».
D’autres formes de mobilisation nous attendent. Les équipes de soins et de recherche1 ainsi que les Sociétés de psychiatrie comptent les promouvoir2.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Delaunay, P. (2011). Les quatre transferts. Paris : Fédération des Ateliers de Psychanalyse. [Google Scholar]
- Minkowski, E. (1933). Le temps vécu. Lausanne : Delachaux-Niestlé, 1968. [Google Scholar]
- Rudetzki, F. (2016). Après l’attentat. Paris : Calmann-Lévy. [Google Scholar]
- Sacks, O. (2015) On the Move. A life. New York : Alfred A. Knopf. [Google Scholar]
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