Numéro |
Perspectives Psy
Volume 53, Numéro 4, octobre–décembre 2014
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Page(s) | 297 - 298 | |
Section | Éditorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2014534297 | |
Publié en ligne | 5 mai 2015 |
L’expérience de la personne
The subjective experience
Psychiatre, Service Universitaire de Réhabilitation, CHS le Vinatier, 69677 Bron, France
* email: bricemartin.net@gmail.com
L’« expérience » ou « les expériences » de la personne touchée par un trouble psychiatrique… Thème du dernier congrès français de réhabilitation psychiatrique, la notion « d’expérience » malgré son caractère sans doute vague et polysémique, semble bénéficier d’une certaine aura dans le paysage psychiatrique actuel, et, par conséquent, d’une certaine modernité.
Les travaux sur le processus de rétablissement (Davidson, 2003) constituent un premier exemple de l’actualité de la notion « d’expérience » en psychiatrie. Ces travaux, essentiellement ancrés dans les récits d’expériences de patients qui s’en sont « sorti », dressent de façon assez convaincante le constat que « se rétablir » d’un trouble psychiatrique est d’une part tout à fait possible, et, d’autre part, que « se rétablir » convoque avant tout les efforts ou « expériences » faites par la personne pour dépasser voire assimiler son trouble, sans se réduire à l’identité de malade. Le repérage des « expériences » en question reste cependant encore balbutiant et sans doute trop abstrait (accès à des expériences favorisant le sentiment d’espoir, de stratégies de retrait actif, L’empowerment, contournement des représentations stigmatisantes, l’acceptation de la maladie…).
L’émergence des espaces dit « psychoéducatifs » constitue sans doute un autre volet de cette place donnée aux expériences de la personne et une autre illustration de la modernité de ce concept, à la condition de ne pas réduire ce type d’espaces à la transmission verticale du savoir d’un professionnel de soins en direction d’un groupe de personnes touchées par une pathologie psychiatrique, dépossédant par là même le sujet de ses propres expériences et de ses propres ressources pour « faire face ». Il a d’ailleurs été montré de façon convaincante, notamment par des travaux tels que la récente méta-analyse de Lincoln (Lincoln et al., 2007), que l’efficacité d’un travail psycho-éducatif individuel, basé sur l’utilisation de supports d’information plus ou moins normatifs, était d’une efficacité quasi nulle, notamment sur la prévention des rechutes. À l’inverse, l’utilisation de ces mêmes supports dans un cadre groupal semble efficace dans une logique de prévention de la rechute, ce qui semble indiquer que la pertinence de tels espaces résulte de la possibilité pour les participants d’échanger avant tout sur leurs « expériences » (voire sur leurs stratégies de « coping » pour reprendre un terme anglo-saxon).
La formalisation d’espace d’accompagnement de type « pairs aidants » constitue un autre exemple de la place donnée au « savoir expérientiel » que seul serait en mesure de détenir et transmettre une personne passée par les étapes et les affres de la maladie. Si la pertinence de ce type d’espace reste largement débattue (Davidson et al., 2006) du fait des ambiguïtés conceptuelles que l’adoption d’un tel rôle peut soustendre (à ce titre, le travail de Larry Davidson à Yale est très intéressant), ils n’en fournissent pas moins une autre illustration de la modernité de la notion d’expérience pour la psychiatrie.
La reconnaissance du savoir et de la nécessité de l’implication des usagers dans différentes instances décisionnaires semble également une reconnaissance de l’importance du point de vue, et, au fond, là encore, de l’expérience des personne touchées par un trouble psychiatrique : CLSM, conseil d’administration des hôpitaux, comités d’usagers…
Enfin, dans le champ de la recherche clinique, le renouveau de l’intérêt porté aux approches qualitatives en psychiatrie, et notamment de « l’analyse de récit » (Fossey et al., 2002), d’inspiration anthropologique ou phénoménologique, illustre là encore l’intérêt porté à l’investigation, de façon scientifiquement solide, des expériences susceptibles d’avoir déterminé certains trajectoires singulières, comme, par exemple, celles se couronnant par un état de bien-être (de rétablissement ?).
Ainsi, peut-être est-il possible d’entrevoir que le socle commun des ces différentes approches valorisant les « expériences » d’une personne touchée par un trouble psychiatrique réside dans l’invitation à ne pas confiner la personne dans un rôle périphérique, celui de spectateur passif de sa maladie avec laquelle il se confond, mais d’acteur de son devenir. Par ailleurs, l’importance du récit de soi pour rendre compte des expériences de la personne, apparaît la voie royale d’accès à ces expériences…
Mais, si tout cela semble nouveau, l’est-ce tant que cela ? Jacques Hochman rappelle, dans un entretien récent accordé à Perspectives Psy et publié prochainement, que quelque chose de l’essence du métier de psychiatre réside selon lui dans l’invitation à un « effort narratif ».
Alors… Nouvelle façon de donner la parole au sujet, ou redécouverte d’une essence de la psychiatrie qui avait peutêtre tendance à trop se médicaliser ces dernières années ?
Affaire à suivre…
Références
- Davidson L. (2003). Living outside mental illness: qualitative studies of recovery in schizophrenia. New York : New York University Press. [Google Scholar]
- Davidson L. Chinman M., Sells D., Rowe M. (2006). Peer support among adults with serious mental illness: a report from the field. Schizophrenia Bulletin, 32(3), 443–450. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Fossey E., Harvey C., McDermott F., Davidson L. (2002) Understanding and evaluating qualitative research. The Australian and New Zealand Journal of Psychiatry, 36(6), 717–732. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Lincoln T.M., Wilhelm K., Nestoriuc Y. (2007). Effectiveness of psychoeducation for relapse, symptoms, knowledge, adherence and functioning in psychotic disorders: a meta-analysis. Schizophrenia Research, 96(1–3), 232–245. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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