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Perspectives Psy
Volume 50, Numéro 3, juillet-septembre 2011
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Page(s) | 207 - 209 | |
Section | Éditorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2011503207 | |
Publié en ligne | 20 décembre 2011 |
La loi du 5 juillet 2011 : une loi de défiance à l’égard des malades et de leurs médecins
The psychiatric care bill (July 5, 2011): the law-enforced suspiciousness toward patients and their treating physicians
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Praticien hospitalier, Chef de pôle 93G15, EPS de Ville-Evrard, 93330 Neuilly-sur-Marne, France
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Rédacteur-en-chef adjoint de Perspectives Psy, Praticien hospitalier, Chef de pôle 93103, EPS de Ville-Evrard, 93330 Neuilly-sur-Marne, France
La loi modifiant les modalités de prise en charge des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques est parue le 5 juillet 2011, complétée par deux décrets publiés le 18 juillet. Appliquée depuis le 1er août, il n’est pas trop tôt pour un premier bilan.
La loi du 30 juin 1838 avait été longuement débattue et fait l’objet d’un vrai travail parlementaire. Elle avait toutes les qualités qui manquent à la nouvelle : simplicité, clarté, applicabilité, équilibre entre le respect des libertés individuelles, l’obligation de soins et la sécurité publique. Sont passés plus de 150 ans et une vingtaine de commissions de réforme infructueuses avant qu’elle ne soit réformée par la loi du 30 juin 1990 qui aurait dû être réévaluée en 1995. Vingt et un ans plus tard, une réforme profonde de la réglementation des soins psychiatriques voit le jour dans la précipitation, aboutissant à une loi confuse, inapplicable et inappliquée.
La rédaction de cette loi s’est apparentée à une véritable tragédie classique. N’ont manqué ni la contrainte temporelle fixée au 1er août par le conseil constitutionnel, ni les passions, ni les rebondissements, ni les trahisons et, au final, une scène totalement dévastée, des acteurs abasourdis par la violence des conflits, un niveau de défiance réciproque jamais atteint entre le gouvernement d’une part, les acteurs du soin et les associations de patients d’autre part, et une loi qui ne satisfait aucune des parties.
Il faut reconnaître que les augures n’étaient pas bons. Cette réforme peut également être lue comme l’avatar du conflit de plus en plus frontal, qui se déroule sur l’autre scène, entre l’Élysée et le Conseil constitutionnel. Le premier, au nom d’objectifs de sécurité, exigeant toujours plus de contrôle social (en l’occurrence, assimilant maladie mentale et dangerosité, davantage de contrôle des malades et des psychiatres), le second, inquiet, décidé à ne plus rien lâcher sur les libertés publiques.
Au premier rang des insatisfaits, le Dr Guy Lefrand, député de la majorité, infatigable promoteur et défenseur de cette loi, pour ne pas dire de sa loi, dont il a été le rapporteur au Parlement et qui, le 21 juin, dans son dernier rapport à l’Assemblée nationale, sur ce qui était encore un projet de loi, engageait ses collègues à la voter tout en déclarant son insatisfaction à propos des soins à la demande du préfet, déclarant : « …je crois même que nous devrons de nouveau travailler sur cette question dans quelques mois… ».
Puis Mme Dini, sénatrice centriste de la majorité, présidente de la commission des affaires sociales, rapporteuse du texte au Sénat, fonction dont elle a démissionné après que l’ensemble des amendements votés en commission sénatoriale aient été écartés sur pression du gouvernement, ce qui ne s’était jamais vu.
Troisième insatisfaite, Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des associations de patients de psychiatrie (Fnapsy), « Nous ne sommes pas d’accord sur la finalité du projet de loi qui porte atteinte aux droits des personnes » a-t-elle déclaré à l’APM (26 mai 2011), ajoutant, « nous avons dit au ministère de la santé que nous n’étions pas d’accord, c’est une malhonnêteté intellectuelle de leur part de prétendre le contraire ».
Également insatisfaites les associations qui ont posé la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) à l’origine de la décision d’inconstitutionnalité de la loi précédente et qui envisagent déjà d’autres QPC (Le Monde du 2 août) concernant l’obligation de soins à l’extérieur de l’établissement.
Enfin, l’ensemble des syndicats de magistrats et de psychiatres ont dénoncé la complexité et l’inapplicabilité de cette loi.
Seule voix dissonante, celle du ministère, lénifiante et régulièrement mensongère, qui affirme dans une dépêche APM du 10 août que tout va très bien.
Nous n’évoquerons que les principaux changements introduits par cette loi et les décrets d’applications du 18 juillet. Chacun peut facilement trouver via internet dans le Code de la santé publique l’intégralité des articles 3211-1 à 3215, qui règlementent les modalités de soins psychiatriques, réactualisés au regard de la nouvelle loi. On peut distinguer deux grands types de modifications : celles voulues par le gouvernement qui visent à faciliter l’entrée dans les soins sans consentement, à les étendre et à en freiner la sortie et celles voulues par le Conseil d’État qui visent à protéger les droits des patients en imposant le contrôle du Juge des libertés et de la détention (JLD) pour toute hospitalisation complète sans le consentement du patient.
Le premier type de changement est ce que le gouvernement appelle : « faciliter l’accès aux soins ». Alors que la loi de 1990, dans la continuité de la loi de 1838, réglementait les hospitalisations sans consentement, apparaît désormais la possibilité d’imposer des soins, à la demande d’un tiers ou du représentant de l’état, en dehors de l’hospitalisation à temps complet. Après une hospitalisation d’au moins 72 heures le psychiatre peut proposer : consultations, hospitalisation de jour, CATTP, etc. Autre innovation : il est maintenant possible d’hospitaliser un patient à la demande d’un tiers… sans demande de tiers s’il s’avère impossible d’obtenir une demande et qu’il existe un péril imminent pour la santé d’une personne. Pour les patients qui, depuis moins de dix ans, ont séjourné en UMD où qui ont été en soins à la demande du représentant de l’état après avoir été reconnu irresponsable pénalement, le représentant de l’état ne peut décider une prise en charge sous une autre forme que l’hospitalisation complète qu’après avoir recueilli l’avis d’un collège de deux psychiatres et un représentant de l’équipe pluridisciplinaire. Concrètement, cela implique notamment la création d’un fichier de ces malades et une procédure très lourde pour la moindre demande d’autorisation de sortie – anciennement sortie d’essai.
Deuxième type de changement : le contrôle systématique par le JLD qui doit statuer au plus tard au bout de 15 jours d’hospitalisation complète continue sans consentement après l’admission ou la réintégration, puis au plus tard au bout de 6 mois. La question de la judiciarisation des hospitalisations sans consentement a été reposée de façon récurrente depuis 1838. Elle a toujours eu ses partisans et ses détracteurs. Elle est maintenant tranchée de façon irréversible compte tenu des avis du conseil constitutionnel et de l’évolution du droit européen. Signalons tout de même que le nombre de ses partisans avaient augmenté dernièrement chez les psychiatres hospitaliers confrontés à des préfets qui refusaient plus fréquemment les demandes de levée d’hospitalisation d’office (HO) voire qui, au mépris de la loi, ne répondaient plus à ces demandes.
À l’heure des premiers bilans les patients ont « des nouveaux droits » dit le gouvernement. Ils ont en fait perdu plus de droits qu’ils n’en ont gagnés. Effectivement, le contrôle du JLD est systématique, mais rappelons qu’auparavant le recours au JLD était déjà possible. Les patients en soins à la demande d’un tiers ne peuvent plus bénéficier de sorties brèves non accompagnées.
Quant à l’application pratique du contrôle par le JLD : de nombreux patients ne rencontrent pas le juge soit parce qu’ils ne le veulent pas soit parce que leur état clinique ne le permet pas. À l’EPS de Ville-Evrard, durant les quatre premières semaines d’application de la loi, un seul patient a rencontré un juge. Pour l’anecdote, il a prononcé une sortie contre l’avis concordant de quatre psychiatres et de l’expert qu’il avait désigné. Les modalités de cette rencontre sont très variables suivant les départements, les établissements voire les services. Parfois le juge se déplace ou utilise la visioconférence, parfois les patients sont emmenés en groupe. Certains psychiatres préfèrent lever prématurément les mesures plutôt que de voir imposer à leur patient un passage au tribunal, d’autres jugent systématiquement que leur patient n’est pas médicalement en état de se rendre au tribunal. La seule constante semble être que beaucoup vont devoir régler les honoraires d’avocats commis d’office.
Pour les médecins et l’administration cette loi génère un surcroit énorme de travail administratif et multiplie les avis et certificats médicaux. Il faut par exemple pour des soins en hospitalisation complète à la demande d’un tiers deux certificats avant l’admission, un examen somatique dans les 24 heures, un certificat d’un psychiatre également dans les 24 heures un second dans les 72 heures, un autre entre les 5e et 8e jours, l’avis conjoint de deux psychiatres accompagnant la saisine du juge par le directeur plus une éventuelle expertise.
Enfin, cette loi affiche clairement la défiance du pouvoir actuel à l’égard des patients et de leurs médecins. Les premiers se voient traités comme les délinquants avec l’instauration d’un casier psychiatrique, de l’équivalent d’une garde à vue psychiatrique de 72 heures, d’un suivi obligatoire ambulatoire sous peine de devoir réintégrer l’hôpital. Les seconds doivent sans arrêt faire valider leur avis par un collègue quand ce n’est pas comme dans le collège par un membre de l’équipe pluridisciplinaire qui peut-être tout sauf psychiatre.
Au total, sous couvert de meilleures garanties des libertés individuelles, la loi du 5 juillet est bien une loi sécuritaire qui prétend être une réponse à deux faits divers tragiques fortement médiatisés. Elle participe de l’illusion que par la réglementation on peut tout contrôler, tout maîtriser, qu’on peut obtenir l’adhésion aux soins et l’alliance thérapeutique par une obligation légale. Elle cultive aussi l’idée fausse que les malades psychiatriques sont potentiellement dangereux et qu’une loi pourra les contraindre à des soins permettant d’éradiquer cette dangerosité.
Après le rapport d’Édouard Couty et la loi Hôpital Patient Santé Territoire (HPST) qui n’est pas adaptée à la psychiatrie nous attendions une loi refondant le dispositif de soins en santé mentale, après celle du 5 juillet 2011 nous ne savons plus si nous devons l’espérer ou la redouter.
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