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Perspectives Psy
Volume 44, Numéro 1, janvier-mars 2005
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Page(s) | 6 - 7 | |
Section | Dossier | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2005441006 | |
Publié en ligne | 15 janvier 2005 |
La psychiatrisation de l’altérité
1
Médecin attachée, 25e secteur de Paris, Service du Dr Caire, EPS de Maison Blanche 3, av. J. Jaurès, 93330 Neuilly-sur-Marne, France
2
Praticien Hospitalier, Intersecteur 93I03, Service de psychiatrie, Service du Dr B. Welniarz, EPS de Ville Évrard 202, avenue Jean-Jaures, 93332 Neuilly-sur-Marne, France
À l’époque de Kraepelin, le psychiatre allemand Karl Von Steinen entreprit des voyages autour du monde, dans le Pacifique, entre 1879 et 1882. C’est ainsi qu’il découvre sa véritable vocation : « connaître et faire connaître d’autres cultures ». Au XIXe siècle déjà, existait donc l’idée que la culture pouvait influer voire radicalement modifier l’expression de la maladie mentale, le concept sous-jacent à ce qu’on appelle de nos jours « psychiatrie transculturelle ». Le concept ne fut pas étranger non plus à la psychanalyse, puisque, dès l’époque freudienne, les rapports avec l’ethnologie et l’anthropologie étaient étroits : Géza Roheim, analysant de S. Ferenczi, au départ géographe et philosophe, y consacra d’ailleurs la majeure partie de ses travaux. Mais c’est à G. Devereux (1908-1985) que l’on attribue la paternité de l’ethnopsychanalyse. Pour lui, celle-ci ne doit pas être une méthode d’acculturation : « On ne se demande pas si le patient peut s’adapter à la société, mais s’il existe une société qui lui permet de s’adapter à elle en récompensant son adaptation ». Freudien classique, il s’opposera à une idéalisation des cures chamaniques au détriment de la psychanalyse, de la psychiatrie et de la médecine : « Il faut opérer une distinction… entre l’utilisation d’insights et de méthodes apprises du chaman par le thérapeute qualifié et la remise du patient entre les mains du chaman pour un traitement véritable ». Toutefois, une certaine ambivalence demeure : « Par la suite, je fis mon propre chamanisme à la maison ». Son objectif étant « de rendre compte par les moyens de la psychanalyse, à la fois des troubles psychiques propres à un sujet pris dans une culture, et des classifications que cette culture invente pour expliquer sa pathologie », il intègre ainsi l’ethno-psychiatrie à l’ethnopsychanalyse, et c’est lui qui donne aux deux termes presque la même signification : d’où les concepts de « transculturalisme » puis de la notion de psychiatrie transculturelle. C’est surtout depuis la décennie 1970-1980 que diverses écoles des élèves de G. Devereux - qui ne furent pas les seuls - se sont développées, avec des interprétations et des conceptions différentes, voire radicalement opposées, d’où des querelles d’école. De plus, les somaticiens ont également de leur côté théorisé ou réfléchi à propos des différents types de médecine, mais aussi de l’abord du patient selon ses origines culturelles (par exemple dans l’approche concernant les manifestations et le traitement de la douleur). Le champ transculturel est donc vaste, enrichi par les études sociologiques, sociales, philosophiques, etc. Il comporte en outre une dimension très politique. Pour les praticiens non spécialistes de ce domaine, il n’est pas facile de s’y retrouver… Or, l’évolution de notre société, les phénomènes migratoires de plus en plus nombreux, de plus en plus massifs…, nous amènent à nous confronter, bien plus qu’avant, selon les lieux et le domaine où nous exerçons, à des patients d’origines et de cultures les plus diverses. Nombre d’entre nous font, parfois même depuis bien longtemps, comme Monsieur Jourdain, « du transculturel sans le savoir ». Deux auteurs, d’écoles différentes et même d’orientations opposées vont nous permettre de clarifier les bases historiques et philosophiques concernant le transculturel : E. Roudinesco, dans un entretien, et S. Boussat. Ensuite, nous verrons dans l’article d’H. Lingiah, comment, à l’heure actuelle, des chercheurs tentent de trouver des applications originales dans le domaine, ô combien d’actualité !, de l’intégration. Puis, B. Lemoine et L. Roubaud nous donneront un descriptif du cadre ou setting transculturel adapté aux enfants. Enfin, I. Vitry et V. Dessons nous montreront par une analyse de cas comment il est possible d’élaborer dans nos pratiques la prise en charge la plus adaptée tant aux troubles psychiques du patient qu’à ses symptômes, y compris dans leur expression culturelle spécifique. Bien entendu, nous serons loin d’avoir balayé le champ qui s’offre à nous dans ce domaine. Mais, de l’histoire et de la théorie à la recherche puis à la pratique, nous pensons pouvoir ainsi offrir de quoi nourrir l’intérêt et la réflexion. Et montrer pourquoi et comment nous pouvons et devons éviter, face à des patients de cultures diverses, la psychiatrisation de l’altérité.
© EDK, 2010
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