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Perspectives Psy
Volume 63, Numéro 3-4, Juillet-Décembre 2024
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Page(s) | 203 - 205 | |
Section | Éditorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/e2024-40055-y | |
Publié en ligne | 2 avril 2025 |
De la recherche clinique à la politique publique de santé
Une illustration concrète au bénéfice des enfants confiés
From clinical research to public health policy
A concrete illustration in support of children in care
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Pédopsychiatre attaché, Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHU Angers, Promoteur du Programme Pegase
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Professeur de pédopsychiatrie, Chef du Service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent du CHU Angers, Président de la Fédération Nationale de l’École des Parents et des Éducateurs
Après 15 années d’un parcours de recherche et d’expérimentation, le programme PEGASE (www.programmepegase.fr) est désormais une nouvelle politique publique applicable sur tout le territoire. Ce programme a pour but de structurer le suivi sanitaire des jeunes enfants bénéficiant d’une mesure de protection de l’enfance. Il propose un parcours de soins adapté afin de répondre aux insuffisances actuelles du suivi médical des enfants protégés. Il vise à prévenir l’apparition de retards de développement et de problèmes de santé physique et psychique chez ces enfants et de leurs conséquences ultérieures en termes de handicap social, physique, psychique. Ce programme apporte deux révolutions. La première, c’est l’entrée de l’Assurance Maladie dans le financement du suivi en santé et les soins psychiques des jeunes enfants protégés, sous forme d’un forfait annuel, en suivant le protocole du programme. La deuxième, c’est que d’ici à 2026, ce droit sera acquis pour tout jeune enfant protégé jusqu’à 7 ans, quel que soit son statut (prévention à domicile, accueil collectif ou en famille d’accueil, hôtel maternel, adoption). Il concernera potentiellement jusqu’à 30 000 nouveaux enfants par an.
Ce programme prend en compte les Expériences Adverses de l’Enfance génératrices de stress toxique chronique et se préoccupe donc particulièrement de la vie psychique des enfants, avec des bilans standardisés réguliers du développement général et du développement psycho-émotionnel, dès l’âge d’un mois. L’organisation de soins psychologiques et en psychomotricité quand ils s’avèrent nécessaires, seront dorénavant directement financés par le programme, sans exclure le droit commun.
À l’origine du programme Pegase
Entrer pour la première fois dans une pouponnière de l’Aide Sociale à l’Enfance vous prend à la gorge et aux tripes devant tant de détresse et de désastres rassemblés chez de si jeunes enfants, dans un pays riche et en temps de paix comme le nôtre. Il y règne une atmosphère de « pédopsychiatrie de catastrophe » et d’«orphelinage de masse ». En tant que professionnel de santé, nos réflexes du soin reviennent vite ; ils nous évitent une pensée pétrifiée par la pulsion de mort, ils nous sauvent d’une sidération liée à l’horreur du malheur qui touche ces enfants et nous empêchent de sombrer avec eux.
Pourtant les enfants y sont propres, bien nourris, bien habillés, entourés. Mais l’œil du clinicien note instantanément l’éventail et l’accumulation des troubles psychiques et des handicaps physiques ou du développement qu’ils exposent, comme dans la salle d’attente d’une cour des miracles. Pourtant de miracles, il n’y en a point ! Car ces enfants cochent tous les risques : déni de grossesse, prématurité, troubles interactifs précoces, handicaps précoces le plus souvent liés aux négligences et aux carences de soins de la part des parents, pathologies psychiatriques parentales, vie institutionnelle, etc. Pour la grande majorité, ils n’ont pas de parents fiables sur qui s’appuyer. Majoritairement victimes de carence de soins ou d’attention, ils sont aussi, secondairement, victimes de traumatismes physiques ou psychiques, directs et indirects, du fait des maltraitances, avec des conséquences qui se potentialisent les unes les autres pour leur santé physique et psychique. Un malheur sans fin…
René Spitz, Anna Freud, Jenny Aubry, Emmy Pickler, Myriam David, Roger Misès et bien d’autres se sont confrontés chacun en leur temps à ces lieux de désolation aux antipodes des promesses de l’enfance, les obligeant à un sursaut de conscience et à inventer nouveaux concepts, recherches scientifiques ou organisations novatrices. Leur héritage est immense.
Plus modestement, exerçant à la fois en pouponnière et dans le service de Pédopsychiatrie du CHU d’Angers auprès de Philippe Duverger qui partageait cette même préoccupation, nous avons conçu ensemble, dès 1998, le projet d’une première étude sur la santé de ces enfants malmenés. Une seconde étude suivit en 2006. Elles ont été prolongées à partir de 2009 par un travail longitudinal sur une décennie : la recherche Saint-Ex, brossant une fresque très détaillée de 3000 années de vie de 129 enfants placés avant 4 ans et suivis pour certains jusqu’à 29 ans. Parmi ses conclusions riches et variées, un résultat contre-intuitif résistait à toute logique : les enfants prématurés de l’étude avaient une meilleure évolution dans l’enfance et à l’approche de l’âge adulte, et un moindre recours aux soins pédopsychiatriques que le reste de la cohorte. Et ce, alors qu’ils cumulaient des risques sanitaires en sus des risques sociaux. L’explication résidait dans le fait qu’en tant que bébés vulnérables, ils avaient été suivis par les réseaux en périnatalité. À ce titre, ils avaient pu bénéficier d’un protocole de bilans de santé intensifs et de soins adaptés jusqu’à leur 7 ans.
D’où l’idée de concevoir un protocole sur ce même modèle mais adapté spécifiquement aux jeunes enfants maltraités et/ou négligés bénéficiant d’une mesure de protection. L’opportunité de l’expérimenter avec un financement Art51 permit de le tester pendant 5 ans de 2019 à 2024 dans 13 pouponnières réparties sur toute la France avec près d’un millier d’enfants inclus. Le Conseil Stratégique de l’Innovation en Santé (CSIS) a noté qu’après cinq ans de déploiement, ce programme PEGASE avait atteint un niveau de maturité permettant de sécuriser le suivi médical des enfants protégés admis avant 5 ans en prenant en compte leurs besoins spécifiques. Des externalités positives ont aussi été décrites, à la fois sur un renforcement de l’appréciation qu’ont les professionnels de leur métier mais aussi comme levier de collaboration positive avec les parents et familles d’accueil. L’évaluation de l’expérimentation a montré sa faisabilité et son efficacité. Le CSIS ajoute que la cohérence globale du programme apportée par l’équipe de coordination nationale est un élément important pour accompagner la transformation des organisations et maintenir la qualité des pratiques. Cet avis positif a permis l’autorisation et le financement de son déploiement national.
Une recherche ESPER (Étude de cohorte proSPective des Enfants pRotégés), parallèle au programme PEGASE et coordonnée avec l’Inserm, permettra de comparer, dans une démarche quasiexpérimentale, l’évolution du « groupe traité » PEGASE et celle du « groupe témoin » ESPER, ne bénéficiant que de la prise en charge habituelle afin de sécuriser par cet apport scientifique la pérennité du programme PEGASE. Cette longue aventure nous conforte dans l’intuition que la recherche clinique en pédopsychiatrie est une nécessité existentielle tant pour la discipline que pour les enfants afin qu’ils obtiennent de meilleurs soins psychiques, basés sur une évaluation scientifique qui les rendent incontestables. Cela peut même parfois aboutir à inventer des politiques publiques quand cela s’avère nécessaire et justifié.
Le risque est grand, lors d’une première visite en pouponnière, de se voir happé par le désespoir devant le malheur des enfants et de se retrouver sidéré par l’immensité de la tâche qui nous attend face à ces enfants, quel que soit notre mode d’exercice professionnel. Ceci particulièrement dans cette période compliquée pour la pédopsychiatrie et le soin psychique aux enfants. Malgré tout, il nous reste toujours la faculté de penser et de travailler à inventer l’avenir et à améliorer les pratiques, pour le bien de tous les enfants. C’est possible !
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
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