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Editorial
Numéro
Perspectives Psy
Volume 58, Numéro 4, octobre-décembre 2019
Page(s) 263 - 265
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/201158263
Publié en ligne 27 mars 2020

Depuis le mois de septembre 2019, un collectif inter-hôpitaux a été constitué pour dénoncer les conditions de travail devenues insupportables dans l’hôpital public compromettant gravement l’accueil et la sécurité des patients. Parti des urgences, ce mouvement, dont le porte-parole était Antoine Pelissolo, professeur de psychiatrie au CHU Henri Mondor de Créteil, demande la réévaluation de l’ensemble des filières de soins, la revalorisation des salaires du personnel hospitalier, le développement du bien être au travail et le retour à une gestion des services en dotation annuelle. Des états généraux hospitaliers semblent nécessaires pour sauver l’hôpital public.

Pour affirmer leur volonté forte d’un changement ce collectif a lancé un appel à la démission des fonctions d’encadrement administratif des chefs de pôle et des responsables d’unités de soins. À ce jour, plus de 1 100 collègues ont signé l’appel et chaque semaine les démissions des fonctions de responsabilité administrative se comptent par dizaines dans de nombreux hôpitaux. Le collectif doit être reçu par Madame le ministre de la santé mi-mars 2020. Cette crise de l’hôpital public concerne évidemment aussi la psychiatrie dont les moyens stagnent, voire régressent, malgré l’augmentation régulière de la population. La crise de la démographie médicale frappe de plein fouet notre discipline et prés du tiers des postes de praticien hospitalier sont vacants. Au cours des dernières années, il y a eu de nombreux mouvements de grève (grève de la faim, soignants perchés, etc.), pour dénoncer les conditions d’accueil des patients dans les services de psychiatrie. Plusieurs reportages filmés, souvent en caméra cachée, ont dénoncé les conditions dans lesquelles les malades sont hospitalisés.

Bien que moins spectaculaire sur le plan médiatique, n’oublions pas que la situation de la psychiatrie infanto juvénile est très préoccupante. Malgré les déclarations et rapports officiels - dont un rapport du sénat - qui reconnaissent la gravité de la crise que traverse la pédopsychiatrie qualifiée de spécialité prioritaire1,2,3, aucun plan d’action un tant soit peu ambitieux n’a été adopté pour améliorer la situation. La crise est multiple. Elle est tout d’abord démographique : il y avait 1 235 pédopsychiatres en exercice en 2007, 692 en 2016 et 593 en 2017. Leur moyenne d’âge est de 60 ans. La densité moyenne nationale est de 5,1 pédopsychiatres pour 100 000 jeunes de moins de 15 ans avec des variations de 4 à 23 en fonction des départements. Comment développer une psychiatrie in- fanto-juvénile sans pédopsychiatres ? La réforme de la maquette de l’internat ne séparant pas les spécialités de la discipline psychiatrie est défavorable à la pédopsychiatrie en rallongeant les études de la spécialité d’une année. La pédopsychiatrie est une spécialité médicale dont l’exercice se fait majoritairement en ambulatoire et nécessite une équipe pluridisciplinaire. Les conditions statutaires offertes aux psychologues, aux professions paramédicales - orthophonistes, psychomotriciens, ergothérapeutes - ainsi qu’aux personnels sociaux éducatifs sont peu attractives au sein de l’hôpital public et la constitution de vraies équipes pluridisciplinaires est souvent complexe.

Les structures hospitalières telles qu’hôpitaux de jour et hospitalisation temps plein sont des équipements indispensables pour les cas les plus sévères. Les places y font souvent défaut.

À cela il faut ajouter l’augmentation des demandes liée à la fois à l’augmentation de la population et à celui du taux de recours alors que les effectifs des équipes de première ligne dans les CMP n’ont pas été renforcées depuis des décennies. Il s’en suit des listes d’attentes très longues, que les tutelles, au lieu de les interpréter comme le succès de la pédopsychiatrie, érigent en preuves d’incompétence. Alors commence le démembrement de la spécialité en utilisant une lecture tronquée des classifications internationales et notamment la catégorie des troubles neuro développementaux (TND) qui sont considérés de façon restrictive comme étant d’origine neurologique alors que dans le terme de « neuro-développement » les facteurs épigénétiques, environnementaux interagissent fortement avec le développement. Cette vision restrictive des TND conduit à la prolifération de « plateformes »4 permettant des diagnostics ou des forfaits d’intervention précoces. Les dernières créées, les plate-formes d’orientation et de coordination (POC ou PCO), créent des structures administratives permettant, sur un simple repérage d’un médecin généraliste sans diagnostic approfondi, de financer une année de prise en charge n’entrant pas dans le cadre des prestations habituelles de l’assurance maladie, en psychomotricité libérale ou en ergothérapie, ou un bilan psychologique. Semblant partir d’une « bonne intention », celle de ne pas faire subir les listes d’attentes de la pédopsychiatrie à de jeunes enfants présentant des troubles du développement, ces dispositifs signent en fait la prise en main par le secrétariat d’État auprès du premier ministre chargé des personnes handicapées, d’une grande partie des prérogatives qui devraient dépendre du ministère des solidarités et de la santé. Le modèle de Wood qui avait apporté une avancée considérable en décrivant les interactions entre maladie et handicap, semble abandonné par nos tutelles qui éclipsent tout processus morbide pour ne considérer que la déficience, l’incapacité et le handicap pour des enfants très jeunes. Dans quel intérêt ? Celui de dépouiller le service public de pédopsychiatrie d’une partie de ses prérogatives au profit des pratiques libérales ou médico-sociales ? Au lieu de renforcer un système de santé qui opère déjà un maillage territorial afin qu’il puisse remplir sa mission dans de meilleurs conditions les tutelles préfèrent construire de nouveaux dispositifs à partir de conceptions réductionnistes de la pathologie du développement.

Il faudrait pour être complet citer un grand nombre de situations inacceptables : mineurs hospitalisés en psychiatrie adulte, patients sans solution à la charge de leur famille, jeunes angoissés ou déprimés en attente d’une consultation, etc.

Au moment où la ministre des solidarités et de la santé fait des annonces en faveur de l’hôpital public nous appelons la République à ne pas abandonner ses enfants et notre gouvernement à promouvoir une politique de psychiatrie infanto-juvénile digne de la jeunesse de notre pays.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Mission sénatoriale d'information sur la situation de la psychiatrie des mineurs-avril 2017.

2

Mission IGAS relative au fonctionnement des CAMSP, CMPP, CMP-septembre 2018.

3

Discours de madame Agnès Buzyn, Ministre de la santé et des Solidarités - Congrès de l’Encéphale - janvier 2019.

4

Le décret no 2018-1297 du 28 décembre 2018 relatif au parcours de bilan et intervention précoce pour les troubles du neuro-développement et la circulaire SG/ 2018/256 du 22 novembre 2018, instaurant les plateformes d’orientation et de coordination (POC).


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