Numéro |
Perspectives Psy
Volume 57, Numéro 2, avril-juin 2018
|
|
---|---|---|
Page(s) | 81 - 83 | |
Section | Éditorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2018572081 | |
Publié en ligne | 15 mars 2019 |
La perspective du rétablissement : pour une position mesurée
Recovery’s perspective: a more balanced approach
Psychiatre. Praticien hospitalier. Service Universitaire de Réhabilitation. CH LeVinatier, Lyon, France
La perspective du rétablissement (le « recovery » des Anglo-Saxons) semble essaimer dans la psychiatrie française contemporaine. Elle occupe dorénavant une place charnière dans les pratiques de réhabilitation psycho sociale qui, elles-mêmes, bénéficient actuellement du soutien des pouvoirs publics (sans doute sensibles aux initiatives dynamiques portées par différents services en France).
Cette approche dite du « rétablissement » prend son origine dans les années 1980 et la convergence heureuse de mouvements anglo-saxons d’usagers de la psychiatrie (qui revendiquaient l’accès à un pouvoir décisionnel plus important, en réponse à une psychiatrie jugée trop paternaliste voire toute puissante) et des résultats optimistes des grandes études longitudinales portant sur le devenir des personnes touchées par un trouble psychiatrique sévère (pointant un grand nombre d’évolutions positives, y compris pour les personnes souffrant de schizophrénie). Par ailleurs, le processus de rétablissement trouve dans les approches qualitatives (qui valorisent la parole de la personne tout comme son « savoir expérientiel ») l’une des méthodes de choix pour investiguer ses déterminants.
Depuis maintenant plus d’une dizaine d’années émerge une littérature de plus en plus abondante sur le sujet et un foisonnement d’études sur le sujet1. Ces dernières insistent tout d’abord sur le fait que « se rétablir » d’un trouble psychique n’implique pas un retour à l’état antérieur à la maladie. « Se rétablir » ne correspond pas non plus nécessairement à un état de rémission symptomatique ou fonctionnelle. Le processus de rétablissement implique plus simplement de retrouver un état de « bien être », dont il appartient à chacun d’en dresser la « norme ». Parmi les « ingrédients » identifiés qui contribuent à la réinstallation de ce « bien être », la plupart des travaux insistent, pour le dire rapidement2, sur l’importance de l’autodétermination de la personne, c’est-à-dire sur le fait de placer l’« usager » en position de décisionnaire de ses soins et de l’accompagnement qui lui est proposé, voire de lui proposer de contribuer également au fonctionnement des institutions psychiatriques. Ce point inscrit la perspective du rétablissement en opposition avec une vision paternaliste ou verticale du soin (dans laquelle la décision revient au médecin). Ces travaux soulignent également l’importance de soutenir l’espoir et la croyance en la possibilité d’une vie apaisée quelque que soit le diagnostic initial posé. Il s’agit de veiller à ne pas enfermer les personnes dans des prédiction auto réalisatrices négatives (comme le fait de prévoir pour les personnes diagnostiquées avec une schizophrénie un destin proche de la catastrophe). Ces travaux insistent enfin sur la dimension processuelle et personnelle du processus de rétablissement qui impliquent des remaniements identitaires comme l’intégration des bouleversements subjectifs liés à l’arrivée d’une maladie psychiatrique sans pour autant conduire le sujet à s’assimiler exclusivement à son trouble en se redéfinissant uniquement comme malade psychiatrique.
Le paradigme du rétablissement, ici très succinctement présenté, semble jouer un rôle très structurant et fédérateur dans le paysage psychiatrique français contemporain du fait des valeurs humanistes qu’il prône, de l’importance donnée à la parole de la personne, de l’ouverture vers les méthodes d’exploration issues des sciences sociales et de sa contribution à l’émergence de dispositifs d’accompagnement singuliers (comme le développement de la pair-aidance).
Si ce courant nous apparait comme incontestablement novateur et porteur d’espoir pour la psychiatrie française, qui semble y puiser un élan bienvenu, peut-être s’avère-t-il cependant nécessaire de conserver un regard critique sur ce nouveau modèle de soin de façon à ne pas se heurter à certaines désillusions qui pourraient couronner une adhésion chargée d’enthousiasme mais peut être hâtive et précipitée. Deux points nous semblent en effet, parmi d’autres, pouvoir faire l’objet de discussions.
Tout d’abord, si l’accès à l’autodétermination constitue une visée louable voire un enjeu majeur du soin psychiatrique (Henri Ey définissait d’ailleurs la pathologie mentale comme atteinte de l’homme dans sa liberté), ne faut-il pas veiller à ne pas confondre finalité et moyen ? En effet, proposer et implicitement exiger du sujet qu’il exerce sa liberté et y veiller (en adoptant une position volontairement « basse » de la part du clinicien), en envisageant cette posture comme un levier essentiel du rétablissement, n’est peut-être pas la même chose que de relancer et soutenir (par différents accompagnements, notamment psychothérapeutiques), l’exercice de la liberté et du choix. En effet, comme le souligne Irvin Yalom3 dans son très bel ouvrage sur la psychothérapie existentielle, « si l’homme s’est toujours battu pour sa liberté, la liberté fait peur ». Poser ses actes, faire ses choix, exercer sa liberté constitue sans doute en enjeu existentiel majeur mais en réalité une tâche coûteuse pour chacun de nous. En effet, la liberté nous confronte au renoncement et à la mort (dans la mesure où certains de nos engagements actent que d’autres ne seront plus possibles en raison de la brièveté de la vie), à la solitude (nous ne pouvons faire nos choix que seuls) voire au vertige de l’absence de sens (dans la mesure où, à moins d’être devin, nous ne connaissons pas à l’avance les conséquences de nos choix de vie). Ainsi, l’exercice de la liberté peut constituer une tâche ardue, source certes d’épanouissement et de croissance, mais également de souffrance pour chacun de nous. Alors, encourager de façon trop franche ou prématurée la pleine expression de la liberté des personnes fragilisées par l’émergence d’un trouble psychique ne confinerait-il pas à une injonction quasi paradoxale (« fais ce que j’ai, moi, tant de mal à faire »), ou, plus simplement, l’invitation à une tâche trop coûteuse ? Autrement dit, le concept d’autodétermination n’est-il pas à aborder avec certaines réserves, que la psychothérapie existentielle souligne avec beaucoup de finesse ?
Par ailleurs, on ne peut que souligner le fait que la majeure partie des travaux sur le rétablissement s’écartent de considérations d’ordre psychopathologique. En effet, « se rétablir », c’est en général « se rétablir d’un trouble psychiatrique sévère », sans que les troubles en question ne soient franchement nommés ou que les singularités de ces troubles soient intégrées dans la réflexion sur les déterminants du rétablissement. Ainsi, les travaux sur le rétablissement mettent essentiellement l’accent sur des déterminants de l’ordre du « semblable » dans lesquels toute personne peut se reconnaitre (comme le fait de retrouver un sentiment d’espoir, de ne pas s’engluer dans une identité de malade psychiatrique, de redevenir acteur de sa vie, de redonner un sens à son existence, etc.). Si ces dimensions du « semblable » méritent sans aucun doute d’être soutenues (d’autant plus qu’elles ont sans doute été trop largement négligées), n’est-il pas important de ne pas écarter l’idée, à l’instar par exemple de Marcel Sassolas4, que l’exercice psychiatrique s’inscrit avant tout dans l’équilibre mesuré d’une reconnaissance entre ce qu’il y a de « semblable » chez les personnes que nous rencontrons (et à quoi il est aisé de s’identifier) et de « différent » dans leur rapport au monde ? Autrement dit, s’il existe sans doute des logiques communes à tous les troubles psychiatriques pour se rétablir, le rétablissement d’un trouble schizophrénique obéit-il rigoureusement aux même logiques que le fait de se rétablir d’un trouble bipolaire, d’une anorexie mentale ou d’un trouble sévère de la personnalité ? Éluder cette question trop rapidement ne pourrait-il pas faire courir le risque à l’approche centrée rétablissement d’une mise à distance excessive et prématurée de la psychopathologie, cette branche fondamentale du savoir clinique centrée sur l’étude des structures subjectives singulières qui caractérisent certaines modalités de l’être au monde des personnes que nous rencontrons ?
En guise de conclusion à cet éditorial et en résumé à ces quelques considérations mêlant enthousiasme et prudence, peut-être est-il important de souligner que si la perspective du rétablissement constitue un paradigme attractif et fédérateur, il est sans doute nécessaire de l’accueillir avec « mesure ». Accueillir les nouveaux savoirs, les nouvelles approches avec « mesure » ne consiste cependant pas à les dégrader ou à les refroidir en les appréhendant sous la forme d’un « consensus mou » et d’un engagement de surface. C’est peut-être même le contraire car, comme le souligne Albert Camus5 « la force dans la modération est la force supérieure ».
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
© GEPPSS 2018
Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.
Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.
Le chargement des statistiques peut être long.