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Perspectives Psy
Volume 53, Numéro 1, janvier-mars 2014
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Page(s) | 6 - 7 | |
Section | L’enfant traumatisé et son développement psychologique | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/20145316 | |
Publié en ligne | 20 mai 2014 |
Avant-Propos : L’enfant traumatisé et son développement psychologique : violence, parole et secret
Foreword: The psychological development of the traumatized child: violence, words and secret
Psychiatre honoraire des hôpitaux, Membre de la Société Psychanalytique de Paris, Centre de Santé Elio Habib, 25, boulevard de Picpus, 75012
Paris, France
« Le langage, tout langage, est ce que les êtres humains ont de plus important. Et quand il n’y a pas de lan-gage, alors… c’est à peu près impossible à imaginer. Un autre aspect est à quel point ténue et fragile est la base sur laquelle est fondé le langage, la base sur laquelle se maintient la société, la base de la communication et de la com-préhension, et combien timides sont les mots que nous utilisons. Ou, peut-être, à quel point abruptes peuvent être les arêtes du langage, comment le langage peut blesser, comment le langage peut tuer, et comment le langage peut guérir et protéger… voici les choses qui pour moi, dans ma vie, ont à coup sûr la place la plus importante. »
Ces mots, cités par V. Bálint, du compositeur allemand Helmut Oehring, dont les parents étaient sourds-muets, tracent le cadre dans lequel s’inscrivent les articles de ce dossier. Né à Berlin seize ans après la fin de l’horreur de la Seconde Guerre, et l’année même où fut construit le mur destiné à rendre la commu-nication impossible, il veut par sa musique exprimer « du sang, des larmes, la violence, la haine, la mort et l’amour. Mais elle est com-ment, ma musique ? Sombre, morbide, opéra-tique, dramatique, dure, schizoïde, détraquée, brisée, délirante, androgyne, d’un réalisme cauchemardesque. » Il nous paraît ainsi à la confluence des traumatismes individuels et collectifs. Ces derniers ne le sont d’ailleurs que pour les tiers : chaque individu est bien sûr frappé en propre, même si une résonance en écho peut être provoquée par le destin collectif. Inversement, certains événements individuels, lorsqu’ils sont particulièrement fréquents ou sont l’objet d’une particulière attention de la part de la société, en prennent une coloration elle aussi particulière.
Que ces traumatismes donc surgissent à partir d’un événement particulier, à partir du langage ou à partir de son absence, que leurs effets se manifestent dans la parole, le silence, ou un langage non verbal, que cette parole exprime la vérité du sujet ou l’emprise à laquelle il est soumis, ou enfin que le sujet soit lui-même la victime première ou qu’il hérite du trauma-tisme infligé à autrui, le statut des causes et des conséquences par rapport au langage constitue un fil rouge. Il est bien sûr des traumatismes qui, à l’écart de toute parole, les « traumatismes psychiques » dont on parle le plus souvent, ceux où un événement – ou une suite, une continuité d’événements – submerge, déborde le psychisme du sujet, précisément incapable de « mettre des mots » adéquats, des mots « liants », des mots « contenants », sur l’expérience qu’ils ont vécue ou qu’ils vivent. Combien plus fragile, plus destructible, est le psychisme des enfants et des adolescents, exposé qu’il est aussi à être touché dans son développement… Alors le difficile travail du thérapeute s’attachera à justement permettre au jeune patient de faire passer dans le langage l’épreuve qu’il a subie…
Le cas que présente Jacques Fortineau est à cet égard un cas d’école : comment les dénis massifs de la mère, concernant ses grossesses, et concernant le décès d’un enfant, amènent la soeur de celui-ci à un mutisme qui est la seule solution qu’elle peut donner au fait de partager le secret de sa mère. Remarquable est aussi la sidération qui s’est emparée des services sociaux, médicaux, scolaires, qui auraient dû donner l’alerte. Sidération qui a touché jusqu’aux jurés du procès aux assises…
Ouriel Rosenblum nous parle lui aussi du « pacte dénégatif », de la « communauté du déni » qui sont souvent en cause chez les enfants de parents séropositifs, même lorsqu’ils sont d’autant plus au courant de la maladie parentale qu’ils sont l’objet d’une « haute surveillance médicale ». C’est vers l’adolescence que vont se réactiver les problématiques liées au secret et à la honte. Il insiste particulièrement sur les avatars de la transmission de ce dangereux « transmissible » .Voici justement aussi un exemple de l’impact du social, avec l’image d’hypersexualisation de cette maladie, sur le traumatisme individuel.
On le conçoit donc, la question des introjections et celle des incorporations (Abraham et Torök) dominent l’avenir des enfants traumatisés, directement ou indirectement. C’est aussi évident sur le plan des traumatismes collectifs, parmi lesquels il faut notamment différencier ceux qui résultent d’un accident ou d’une catastrophe naturelle et ceux qui sont dus à l’hostilité de l’homme envers l’homme. Plus encore, de la haine que manifeste le terrorisme. Mais les enfants ne devraient jamais se trouver exposés à des actes de guerre. C’est pourquoi sont particulièrement insupportables ceux qui visent particulièrement des enfants ou des lieux habités par des enfants, notamment des écoles, ou ceux qui transforment les enfants en combattants, voire en boucliers humains. Certes, l’enfant n’est pas forcément « naturellement bon »; mais amener des enfants et des adolescents vivant en société à des comportements atroces ne peut se faire que par un endoctrinement, véhiculé par les moyens audiovisuels, hélas parfois par l’école, de manière à susciter une emprise totale et pervertissant au plus profond les instances idéales de cet être en développement. Est compromis ainsi au plus haut point l’avenir psychique de ces jeunes; mais aussi celui de la collectivité tout entière, lorsqu’une grande partie d’entre eux ont été soumis à de telles manipulations. L’article que nous présentons envisage précisément des conséquences psychologiques, notamment à distance, tant pour ces enfants que pour ceux qui sont soumis à des bombardements répétés durant des années.
C’est avec un recul de plusieurs générations que pour sa part Bianca Lechevalier montre que la transmission à distance de ce qui n’a pu être élaboré, notamment par les ascendants d’enfants d’origine arménienne, est susceptible de provoquer des tableaux pathologiques très graves dès le plus jeune âge. Il s’agit là d’un traumatisme de la « destruction du sens » et c’est justement la perte de ce sens à plusieurs générations de distance – ne persiste que le poids du traumatisme « sans sens » pur – qui va susciter des manifestations somatiques graves ou d’allure autistique.
Les textes que nous présentons dans ce dossier reprennent des communications effectuées lors des symposiums GEPPSS/PERSPECTIVES PSY et COPELFI (Conférences de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent en Langue Française en Israël) lors du congrès IACAPAP de juillet 2012, à Paris.
Références
- Abraham A., Torök M. (1996). L’écorce et le noyau. Paris : Flammarion. [Google Scholar]
- Bálint V. (2011). Ear to the music. An introduction to Ludwig van Beethoven and Helmut Oehring. Arcus temporum, 8, 19–35. [Google Scholar]
© GEPPSS 2014
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