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Foreword
Numéro
Perspectives Psy
Volume 52, Numéro 1, janvier-mars 2013
Perspectives Psy a 50 ans
Page(s) 5 - 6
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2013551005
Publié en ligne 28 janvier 2013

Avec ce numéro destiné à fêter les 50 ans de Perspectives Psy, le Comité de Rédaction a souhaité proposer à la relecture quelques articles représentatifs de l’évolution de notre discipline, à laquelle notre revue a toujours été associée. Il s’agissait de prolonger la « plongée dans les archives » qui avait présidé à la confection du numéro publié pour nos 40 ans1 mais, cette fois-ci, la commande était que chacun de ces textes réédité en fac simile soit assorti d’un commentaire qui le resitue dans son contexte, en souligne l’intérêt dans l’évolution des idées et des pratiques dans notre champ, et/ou qui le mette en perspective avec les recherches, connaissances, réflexions et pratiques actuelles.

Comme il y a 10 ans, la tâche fut rude pour sélectionner les textes destinés ce nouveau numéro anniversaire2. Mais finalement, probable signe des temps et de nos préoccupations actuelles, les articles retenus s’articulent autour de la place, tant dans la formation des psychiatres que dans les pratiques cliniques (encore ?) possibles – notamment auprès des enfants et des adolescents –, des modèles dont nous disposons pour penser la pensée, la souffrance psychique et le soin. Cette actualité des résonnances suscitées par les textes retenus explique probablement l’enthousiasme et la réactivité des collègues à qui nous avons demandé de les discuter (et que nous ne remercierons jamais assez de leur collaboration).

Le texte de F. Tosquelles, paru en 1968 et ici commenté par J. Fortineau et M. Lacour (qui étaient alors des acteurs engagés dans le processus de séparation entre neurologie et psychiatrie), souligne l’importance pour le psychiatre en formation de se dégager des modèles médicaux, somaticiens, pour acquérir une culture d’équipe thérapeutique.

Dès lors se trouve posée la place de l’idéologie dans les groupes, thème du long article de R. Kaës, publié en 1971 et dont D. Drieu démontre la très actuelle pertinence pour comprendre et traiter la souffrance des équipes dans les institutions.

C’est à partir de sa pratique de la cure institutionnelle, justement, que R. Misès avait insisté sur les nécessaires articulations entre psychothérapie et éducation dans son article paru en 1987. Dans leur commentaire, J.-Y. Chagnon et B. Durand témoignent de l’importance qu’a eu la remise en question des conceptions défectologiques esquiroliennes pour une compréhension dialectique reliant les champs de la psychopathologie et du handicap chez l’enfant.

Chez l’adolescent aussi, l’hospitalisation est « une opportunité à ne pas manquer » . C’est ce que démontrait M. Basquin dans un article de 1990 où il n’hésitait pas à plaider pour des séjours de durée « assez longue pour accompagner la crise… » . Les commentaires de M.-A. Piot et A. Lepresle soulignent l’énergie qu’il faut à nos jeunes collègues pour conserver une telle rigueur clinique et de telles ambitions thérapeutiques au moment où les contraintes administratives et gestionnaires prennent le pas sur la clinique et le soin.

Alors que ces contraintes conduisent souvent à encourager la médicamentisation de la souffrance psychique, le texte d’E. Zarifian (toujours très actuel, bien que paru en 1993) sur la recherche en psychiatrie biologique et le commentaire qu’en fait Ch. Trichard montrent bien la grande prudence dont il faudrait faire preuve, tant dans le domaine épistémologique que dans celui des applications diagnostiques ou thérapeutiques, avant de s’avancer dans une lecture trop exclusivement biologisante des troubles psychiques.

L’article de B. Brusset, également paru dans ce numéro – consacré à la Recherche – de fin 1993, défendait vigoureusement la place d’une approche centrée sur le sens que prennent les symptômes pour le sujet ou son entourage. J.-M Guilé remarque dans son commentaire que la clinique de l’enfant et celle des personnalités pathologiques sont venues nourrir les avancées de la psychopathologie et les articulations entre facteurs génétiques et environnementaux.

L’environnement de l’enfant, c’est aussi le bain d’affect et de langage dans lequel il grandit et qui va lui permettre de passer de la langue intime à la langue sociale commune, ainsi que l’énonce R. Diatkine dans son texte de 1995 sur la place de la lecture dans le développement psychique. B. Golse, dans son commentaire de ce texte, rappelle le rôle de la narrativité, du plaisir et de la vie relationnelle dans le devenir de l’enfant, et donc de la société de demain, dont il souligne qu’il ne saurait être prédit par des expertises collectives Inserm.

La narrativité, comme structure sous-jacente au processus identitaire d’individuation, est également envisagée par J. Lock, dans son article de 1997, dans ses rapports avec le concept de passage à l’acte chez l’adolescent. Le commentaire critique que fait F. Houssier de ce texte souligne notamment la nécessité, quand on utilise ces concepts dans le cadre de la psychothérapie d’un adolescent, de ne pas laisser de côté la dimension transférentielle du partage de récit.

Enfin, l’éditorial que T. Bokanowski avait rédigé en 2001 décrit les « apports de l’écoute psychanalytique dans la formation du psychiatre » – mais aussi les apports de la formation psychanalytique dans l’écoute du psychiatre ! Dans son commentaire, J. Fortineau (qui avait suscité cet éditorial à l’époque) montre à quel point reste centrale cette question de la place de la psychanalyse dans la formation du psychiatre, des internes de 1968 à ceux de 2013.

Ainsi, de ses origines à nos jours, Perspectives Psy(chiatriques) a été le témoin de l’affrontement croissant de deux modèles psychiatriques :

  • un modèle descriptif, se voulant « athéorique » , qui, dans certains services, pourchasse « l’inférence » (c’est-à-dire toute interprétation de causalité ou de sens qui ne serait pas fondée sur l’Evidence Based Medicine), au risque que ces services fonctionnent de façon isomorphe aux problématiques dont ils s’occupent (démentalisation et passages à l’acte). Ce modèle est représenté par le DSM et ses implicites en termes de causalité et de traitement;

  • un modèle psychopathologique référé à la psychanalyse, sans exclusive, qui fournit une trame d’intelligibilité des symptômes et des soins psychiques basée sur la reconnaissance d’une souffrance psychique à l’œuvre chez tout sujet s’efforçant de maintenir un équilibre intrapsychique et intersubjectif. L’intérêt de ce modèle procède moins de sa validité que de son heuristique, de son utilité, et que du fait qu’il repose moins sur une théorie explicative (hypercomplexe, polyfactorielle et procédant d’une temporalité non linéaire) que sur une théorie compréhensive (au double sens de prendre avec et de s’identifier à) permettant de donner sens à la rencontre intersubjective où s’originent l’analyse sémiologique associative et les ambitions thérapeutiques.

Cet affrontement a pu être résumé par B. Golse comme une opposition entre une « psychiatrie de l’instant » , centrée sur la description des symptômes et comportements à modifier, et une « psychiatrie de l’histoire », centrée sur l’analyse du fonctionnement mental et intersubjectif qui donne sens aux symptômes et aux comportements du consultant.

Or la psychiatrie de l’instant trouve des résonances dans l’évolution socioculturelle contemporaine, dite post-moderne, dont les effets sur les institutions de soins et/ou d’éducation ont été bien décrits par Kaës et son école. Aux difficultés de transmission intergénérationnelle des fondateurs de l’après guerre (Tosquelles, Oury, Racamier, le XIIIe, Misès, etc.), dont les réalisations remarquables pouvaient porter une part de déni (« plus jamais ça ») et d’idéalisation rétrospective (« l’âge d’or »), sont venues se superposer les logiques gestionnaires. Celles-ci n’ont que faire de l’histoire, de la transmission et de la subjectivité; elles visent l’application de protocoles standardisés, reproductibles, si possible peu couteux, et facilement évaluables selon des critères simplistes éradiquant la chair vive de la psychopathologie et de l’engagement relationnel du praticien.

En remettant à la disposition de ses lecteurs certains textes des fondateurs parus dans Perspectives Psy depuis 50 ans, notre comité de rédaction cherche à (re)transmettre le vif de la pensée de ces fondateurs ou théoriciens, sans nécessairement y adhérer idéologiquement ni s’incorporer (à) la pensée de ceux-ci, mais pour que les jeunes générations puissent se saisir de celle-ci et se l’approprier de façon critique et continuer à faire vivre le souffle qui l’anima.


1

Perspectives Psy, 2003 ; 42 (5) : 1963-2003 : les 40 ans de Perspectives Psy.

2

Il nous faut ici remercier pour leur efficace soutien notre Rédacteur en Chef, J.-M. Guilé, ainsi que M.-A. Piot et A. Lepresle.


© GEPPSS 2013

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