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Perspectives Psy
Volume 49, Numéro 1, janvier-mars 2010
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Page(s) | 5 - 6 | |
Section | Editorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2010491005 | |
Publié en ligne | 15 janvier 2010 |
Pour commencer l'année 2010...
Pour commencer l'année 2010...
Rédacteur en chef
Pour commencer l’année 2010, Perspectives Psy accueille deux dossiers sur une thématique méconnue par beaucoup d’entre nous. Rassemblant des contributions de plusieurs hôpitaux et écoles militaires, en France et aux États-Unis, ces deux dossiers donnent la plume à plusieurs auteurs dont l’expertise est reconnue sur le plan international. Ils ouvrent pour nous, avec une grande liberté de ton, tout un champ de pratiques où nous ne sommes habituellement convoqués que par l’actualité des blogs et des médias1.
Et pourtant la psychiatrie militaire n’est pas sans impact sur la psychiatrie générale. À titre d’exemple, mentionnons son rôle dans l’évolution des nosographies. La clinique recueillie par les psychiatres américains auprès des anciens-combattants du Vietnam, a contribué à revisiter la pathologie post-traumatique et à introduire l’État de Stress Post-Traumatique (Post-Traumatic Stress Disorder) dans la classification de l’Association Psychiatrique Américaine (APA). Ceci a pu être analysé comme un déplacement du débat public au décours de la guerre du Vietnam, de l’arène politique vers le champ clos sanitaire, en rabattant le mal-être de la société américaine sur un problème psychiatrique (Young, 2005). Mais en même temps, ce mouvement permettait de valider les souffrances psychiques des vétérans au retour des champs de bataille et l’indemnisation de leurs handicaps. Sortant par la suite d’un contexte strictement militaire, cette catégorie diagnostique a été mise en rapport avec tout type d’évènement traumatique associé à une menace vitale sérieuse. Actuellement, en vue de la parution de sa classification DSM52, l’APA pourrait modifier les contours du critère sémiologique du traumatisme. Selon les auteurs, l’objectif est d’établir une meilleure distinction entre les événements « traumatiques » et les événements qui sont pénibles mais ne dépassent pas le seuil « traumatique ». Les deux dossiers de ce numéro sont coordonnés par notre confrère Patrick Clervoy, collègue du comité de rédaction de Perspectives Psy, professeur agrégé de psychiatrie et chef de service, et son adjoint Yann Andruétan, médecin en chef, tous les deux praticiens du service de psychiatrie de l’Hôpital d’Instruction des Armées de Toulon. Ils proposent moins une réflexion psychopathologique sur les processus qui du trauma conduisent aux symptômes, qu’un éclairage très vivant sur le contexte propre à l’institution militaire (son système de sens et d’action) et les risques encourus sur les théâtres d’opération2.
En quoi cela intéresse-t-il le praticien ? Actuellement de nouveau interpellé par l’imminence d’une réforme des soins sous contrainte. D’abord, force est de reconnaître chez nos confrères militaires une situation qui nous est familière et qui a été évoquée dans les éditoriaux de l’année dernière. Le moral en baisse dans les troupes. Écho de la fatigue psychique et de la déliaison qui semble bien un phénomène généralisé dont le constat ne se cantonne pas à nos sphères cliniques et qui est récemment stigmatisé par le rapport du médiateur de la République.
Cause commune qu’illustre bien le texte du Colonel Goya : crise budgétaire et annonces médiatiques de l’Éxécutif au sujet de réformes règlementaires ou législatives venant répondre a` des faits individuels, violents eux-mêmes et fortement médiatisés au préalable. Aussi est-ce plutôt la sommation d’évènements individuels qui dira le droit et moins une réflexion préalable sur le bien commun. Les premiers textes de ce dossier, le second écrit par Virginie Vautier, dressent un aveuglant constat sur la réalité des risques encourus par les militaires français sur le terrain et les capacités de la psychiatrie militaire française. Combat commun avec la psy publique ? Ces textes soulignent le poids du contexte institutionnel. Le traumatique serait moins celui de l’engagement violent éventuel que la position du soldat, on pourrait dire son « empowerment », mot difficile a` traduire en français, dénotant l’autorité et les capacités de marge de manœuvre qui sont données au sujet. Cet enjeu ne fait-il pas écho chez le salarié ou le praticien dans le contexte actuel de mutation des services de soins ?
Le texte se poursuit ensuite pour évoquer l’horreur du combat avec son effet de relance en profondeur des processus identificatoires, d’autant que les temps d’exposition sur les terrains d’opération seraient allongés. Peuvent se mettre alors en place des tentatives de coping avec désengagement, évitement de la responsabilité collective et repli sur soi, mécanismes qui attaquent le lien de corps du bataillon.
Les deux textes suivants, l’un coécrit par Yann Andruétan avec le Dr Carl Castro de l’US Army Medical Research Command, l’autre pour lequel Cécile Gorin se fait porte parole du Colonel Ritchie, psychiatre expert américain de renommée internationale. Ils introduisent aux perspectives pragmatiques nord américaines en prévention du suicide chez les troupes combattantes et à l’accompagnement psychologique du retour des combattants. Il est intéressant, et c’est l’un des objectifs de Perspectives Psy, de croiser deux approches culturellement différentes. Face aux difficultés, le caractère entrepreneur et tourné vers l’avenir de nos collègues outre-Atlantique cherche des solutions adaptatives dont l’efficacité peut être évaluée de façon fiable et rapide. Mais, au-delà des différences, on note le constat commun d’une élévation du suicide aux Armées.
Les auteurs soulignent l’augmentation des perturbations des conduites, notamment addictions et suicide, chez les militaires combattants. Quel est le lien avec le traumatisme sur les théâtres d’opération ? Frédéric Canini et Marion Trousselard nous entrainent sur le terrain de la biologie des états de stress. Ceci n’est pas sans rapport avec le débat précédemment évoqué sur la validité de la catégorie diagnostique de l’État de Stress Post-Traumatique (Post-Traumatic Stress Disorder) (PTSD). Car cette biologie peut constituer un validateur externe. En effet, plusieurs chercheurs ont identifié des variations des paramètres biologiques discriminant PTSD et réaction normale de stress (North et al., 2009). Est-ce le lien ? La question reste à creuser. Et ceci d’autant que le débat étio-pathogénique se poursuit au sujet de la contribution respective de la sévérité des évènements traumatisants d’une part, et de la vulnérabilité personnelle antérieure éventuelle d’autre part. On le comprend bien, ce débat lève des enjeux économiques certains.
Si les deux dossiers traitent du contexte collectif dans lequel une éventuelle pathologie post-traumatique pourrait se développer, le second dossier cible plus les histoires individuelles ou celles des sections combattantes. Avec les textes de Jean-Philippe Rondier et Franck de Montleau, du Colonel Benoit Royal puis de Yann Andruétan et Anne-Claire Duzan, nous bénéficions d’un accès de l’intérieur au vécu des individus et groupes combattants. Il s’agit pour plusieurs d’écrits à cru, issus d’une actualité encore brulante. Il ressort de ces récits une émotion certaine vis-à-vis de laquelle on ne peut rester distant. On ne peut qu’être frappé par la communauté d’expérience (voire l’usage des mêmes mots, comme déluge de feu) avec Ernst Jünger. Son superbe texte « Orages d’acier », évocation terrible de l’horreur des opérations de 14-18 dans le Nord de la France, expose son expérience de jeune officier allemand et le vécu de dépersonnalisation récurrent des soldats.
La maîtrise du risque demeure un enjeu majeur mais elle change de forme. Il semble qu’actuellement l’enjeu soit moins le risque lié à l’engagement direct que le positionnement psychique par rapport à la menace permanente. Mais dans l’un et l’autre cas, les deux dossiers nous éclairent sur l’effet de la violence sur le militaire et appellent à de nouvelles pratiques de prise en charge.
Références
- Jünger, E. (2008). Orages d’acier. In E. Jünger, Journaux de guerre (pp. 1-284). Paris : Éditions Gallimard. [Google Scholar]
- North, C.S., Suris, A.M., Davis, M., Smith, R.P. (2009). Toward validation of the diagnosis of posttraumatic stress disorder. Am J Psychiatry, 166 (1) :34-41. [Google Scholar]
- Young, A. (2005). Post-Traumatic Stress Disorder : Malady or Myth ? Transcultural Psychiatry, 42(1), 155-157. [Google Scholar]
© EDK, 2010
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