Numéro |
Perspectives Psy
Volume 47, Numéro 1, janvier-mars 2008
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Page(s) | 5 - 6 | |
Section | Editorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2008471005 | |
Publié en ligne | 15 janvier 2008 |
Du chiffre et des diag.
Numbers and diagnoses
Rédacteur en chef
Mots clés : psychiatrie / diversité culturelle / classification / classification internationale des maladies / psychiatrie sociale
Key words: psychiatry / cultural diversity / classification / international classification of diseases / social psychiatry
L’année 2007 est close, l’heure est aux rapports d’activité et aux comptes administratifs. Deux dossiers de ce premier numéro de 2008 de Perspectives Psy suscitent une résonance particulière avec notre quotidien. Alain Dervaux et Laurent Valot, en traitant les addictions sans drogue, nous offrent certainement un dossier d’actualité. Que ce soit sur le plan de la clinique avec l’émergence de telles conduites chez les jeunes, sur celui de la réflexion nosographique avec le projet de réunir les conduites addictives en un ensemble psychopathologique commun qu’il y ait ou non consommation de drogue [5] ou bien sur celui des mécanismes neurobiologiques. Sur ce dernier plan, les travaux actuels mettent en lumière l’activation des voies dopaminergiques du plaisir comme voie commune associée à la plupart des addicitions, ou bien l’activation des circuits neurohormonaux de réactivité au stress [3]. Plus généralement, on serait tenté de voir ces conduites comme résultant, pour une part, d’une vulnérabilité personnelle aux comportements addictifs nourrie de facteurs génétiques et d’agressions environnementales très précoces, et pour l’autre part d’une rencontre fortuite avec un contenu addictionnel, drogue ou non. Et alors dans ce dernier cas, jeux de hasards, sexe, achats… L’actualité récente nous indique qu’il est aussi possible de développer d’autres comportements addictifs, comme l’addiction à la Bourse. Les aventures des traders relatées par les journaux révèlent si nécessaire leur grande proximité avec les jeux de hasard. L’un de ces traders ayant acquis sa notoriété en Asie, se consacrerait d’ailleurs maintenant au poker. On entend aussi dire que la fraude commise dans l’une de nos grandes banques n’aurait été possible qu’en raison d’une sous-estimation du « facteur humain » au sein des procédures de sécurité et de contrôle. Nous sommes dans une société du chiffrage, où, à l’évidence, le cours des actions escamote la réalité de ceux qui en dépendent, salariés des entreprises cotées ou petits porteurs. Mais qui s’en plaindra puisque le but abstrait et revendiqué reste la montée des cours.
Le chiffre est la voie contemporaine de symbolisation, soit. Mais au risque de perdre de vue l’autre moitié du symbolon, la part humaine. Appliquée à la psychiatrie, ce recours à la représentation chiffrée, avec des entreprises comme le RIMPsy, peut tordre l’aventure diagnostique et réduire l’humain à un groupe de codes de diagnostics et d’interventions. Une clinique chiffrée en quelque sorte. Nous sommes bien dans une société du chiffrage, peu importe que les projets publics et politiques soufflent de vieilles ou de nouvelles idées, ce qui importe c’est qu’ils soient chiffrés. Loin de la menace d’une clinique du chiffrable, les textes du second dossier nous introduisent à la part humaine. Coordonnés au fil des mois par Bertrand Welniarz et Arouna Ouédraogo, les trois dossiers de nos collègues d’Afrique de l’Ouest nous ont donné à rêver depuis le n°2/2007 jusqu’au présent numéro. Ils éclairent la question diagnostique sous un angle anthropologique et nous rappellent que la nosographie, aussi bien en Afrique de l’Ouest, en France que dans tous les pays, est déterminée par les représentations sociales de la maladie [3, 4]. Quel bel exemple de contrainte sociale que celle vécue en France actuellement où les cliniciens sont de plus en plus contraints d’utiliser la catégorie diagnostique des Troubles Envahissants du Développement (TED) au détriment d’autres choix inspirés d’autres nosographies, CFTMEA notamment. Tant mieux pour la recherche si cela peut renforcer nos connaissances psychopathologiques et aider les familles aux prises avec cette terrible affection. S’entendre entre chercheurs pour identifier des groupes patients homogènes, fort bien. Et pour cela user de catégories nosographiques internationales censées refléter des entités morbides discrètes, c’est logique. Mais est-ce applicable à la clinique ? Des manuels comme celui du DSM-III et les suivants ont d’abord été développés par des chercheurs et pour la recherche. Mais il faut le souligner, leur emploi abusif et exclusif en clinique est dénoncé par les développeurs eux-mêmes [1]. De plus, si la recherche empirique fondée sur ces critères diagnostiques a démontré sa pertinence pour les troubles autistiques, ce n’est pas le cas pour les TED. Une telle approche nosographique est hautement réductrice pour les TED, une entité qui est loin d’être, y compris chez nos collègues américains et anglo-saxons, une catégorie consensuelle et homogène.Aussi l’imposition de la CIM-10 dans le RIM-Psy apparaît comme la résultante d’un mouvement social pour imposer aux cliniciens français une certaine représentation de la maladie, écartant au passage la psychanalyse du champ de l’autisme. En réalité, faisant l’impasse sur la dimension psychique, la plus effrayante chez l’autiste, et la plus douloureuse pour les familles, pour ne plus considérer que le cognitif et le neurobiologique. Ne nous y trompons pas, conséquence des couplages RIM-Psy/facturation, le diagnostic devra être posé dès la première rencontre entre le clinicien et les familles. Pour quelle fin ? L’entreprise classificatoire a ses limites, limitations premièrement reconnues par la communauté scientifique, puisqu’à cette approche par catégories diagnostiques, il est recommandé dans plusieurs recherches cliniques d’associer une approche dimensionnelle complémentaire. À partir d’un donné global comme la souffrance humaine, l’entreprise classificatoire découpe des entités culturellement inscrites et reconnaissables à l’aide d’une grille culturellement et socialement contrainte [2]. Au niveau syndromique, toute pathologie idiosyncratique s’inscrit dans la durée et consécutivement se socialise, car il y a dans chaque maladie une part de réadaptation dont l’issue passe par des voies socialement prescrites. On peut prendre l’exemple de l’évaluation psychiatrique, passage obligé au Canada pour l’obtention du code de service éducatif spécialisé ou bien chez nous du certificat médical donnant accès à l’AES ou à l’AAH. Les affections psychiatriques sont le plus souvent d’expression protéiforme. L’approche catégorielle ne saisit qu’une forme symptomatique parmi d’autres dans une vaste gamme de possibles. Aussi ne peut-elle à elle seule réprésenter la clinique. Il serait cliniquement plus juste de reconnaître aux troubles psychiques un double registre d’expression : catégoriel certes mais tout autant dimensionnel [2]. Dans l’approche catégorielle nosographique, le trouble psychique peut se prêter à des étiquetages diagnostiques répétés orientés vers la recherche et les traitements médicamenteux, alors que dans l’approche dimensionnelle, il s’ouvre à une compréhension longitudinale et autorise une plus juste appréciation du pronostic.
Références
- Andreasen N. Ailing psychiatry needs some attention. New Scientist 2005 (19 novembre) ; n° 2526 (traduction française in La lettre de la Psychiatrie Française 2008 ; 171 : 21-23). [Google Scholar]
- Guilé JM, Bibeau G. Discussion critique des grilles sémiologiques et nosographiques. Encycl Med Chir (Paris) Psychiatrie Elsevier-Masson 1995 ; III : 37715.A30. [Google Scholar]
- Kreek MJ, Nielsen DA, Butelman ER, LaForge KS. Genetic influences on impulsivity, risk taking, stress responsivity and vulnerability to drug abuse and addiction. Nat Neurosci 2005 ; 8 : 1450-1457. [Google Scholar]
- Perez S, Junod A, Pilard M. Culture-bound syndromes : pertinence d’une categorie diagnostique ? Médecine Tropicale 2000 ; 60 : 75-83. [Google Scholar]
- Potenza MN. Should addictive disorders include non-substance-related conditions ? Addiction 2006 ; 101 (suppl 1) : 142-151. [Google Scholar]
© EDK, 2010
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