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Perspectives Psy
Volume 45, Numéro 4, octobre-décembre 2006
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Page(s) | 314 - 317 | |
Section | Dossier : Regards cliniques sur des troubles d'actualité | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2006454314 | |
Publié en ligne | 15 octobre 2006 |
Avant-propos : Les TOP, THADA et autres DYS ont-ils un fonctionnement mental ?
Foreword: Do the ODD, ADHD and other disorders have a psychological ubstrate?
Psychologue clinicien-psychanalyste, Expert judiciaire, Maître de Conférences à l’Institut de Psychologie, Université Paris 5, Laboratoire de Psychologie clinique et de psychopathologie, Institut de Psychologie, Université Paris 5, 1, rue Galilée, 18000 Bourges, France.
L’idée de ce dossier date d’avant les controverses agitant le monde psy tant autour du livre noir de la psychanalyse que du rapport Inserm sur les troubles des conduites1. Depuis quelques années, nous assistons en effet dans le domaine de la psychiatrie de l’enfant comme de l’adulte au retour de modèles médicaux « durs », se voulant objectifs, s’étayant d’une part sur la classification américaine (DSM-IV) et d’autre part sur les travaux - au demeurant passionnants - de la psychologie cognitive et de la neuropsychologie, modèles dont la visée plus ou moins explicite est d’éradiquer la réflexion psychopathologique en privilégiant l’étiologie et l’abord exclusivement organiques d’un certain nombre de troubles ainsi isolés du reste du fonctionnement mental, coupés de l’histoire de l’individu et du contexte environnemental, relationnel et social dans lesquels ils se produisent et qui leur donnent sens. Un tel modèle exclusif et réducteur s’est infiltré à propos des troubles du langage oral et écrit dans la conception de l’éducation nationale officialisée par la circulaire du 4 mai 2001 et reprise dans le Bulletin Officiel (n°6 du 7 février 2002) qui déclare que « les troubles spécifiques du langage oral et écrit (dysphasies, dyslexies) sont à situer dans l’ensemble plus vaste des troubles spécifiques des apprentissages qui comportent aussi les dyscalculies, les dyspraxies et les troubles attentionnels avec ou sans hyperactivité [...]. Ces troubles sont considérés comme primaires, c’est-à-dire que leur origine est supposée développementale, indépendante de l’environnement socioculturel d’une part, et d’une déficience avérée ou d’un trouble psychique d’autre part ». Un tel modèle est également abondamment relayé par les médias et les émissions de télévision qui se préoccupent des nouveaux (?) troubles mentaux : THADA, TOP, TOC, maladie de Gilles De La Tourette, les dys, sans parler de l’autisme. Ces médias sont en effet aujourd’hui nombreux à véhiculer, par spécialistes interposés, l’idée selon laquelle ces troubles ne sauraient concerner la psychopathologie alors que seule la voie de la recherche scientifique, c’est-à-dire neuro-biologique exclusive, serait apte à découvrir de nouveaux traitements médicamenteux et à soutenir les efforts des thérapies cognitivo-comportementales afin de réduire les troubles en question. C’est d’ailleurs une telle perspective qui sous-tend les rapports Inserm si décriés, celui consacré à l’évaluation des psychothérapies ayant finalement été retiré du site Internet par le ministère concerné, en raison de ses manquements méthodologiques et éthiques.
La médiatisation de ces nouveaux modèles à laquelle s’associent des critiques virulentes de la psychanalyse2 n’est pas pour surprendre : elle participe de la narcissisation d’une société de plus en plus intolérante à ses conflits internes et externes et fait miroiter l’espoir de solutions magiques, rapides et toutes puissantes, « au bénéfice d’intérêts financiers et politiques effectivement puissants » ([8], p. 96), et ce au détriment de l’élaboration mentale certes plus incertaine, plus angoissante et moins immédiate. On aura compris que la tendance actuelle consistant à trouver une explication causale linéaire faisant fi de la complexité du psychisme humain et de l’inéluctable conflictualité inhérente à notre longue dépendance à notre cadre parental ne trouve pas notre assentiment.
Aussi tenterons nous dans ce dossier de défendre le point de vue de la psychopathologie psychodynamique, d’en montrer toute la validité scientifique et, au-delà, de comprendre certaines raisons rationnelles (socio-économiques) et moins rationnelles (les théories psychiques inconscientes qui sous tendent l’idéologie pseudo-scientifique) de cette vague de fond radicalisant les points de vues. Rappelons que les principaux reproches traditionnellement adressés aux psychanalystes reposent sur trois points liés entre eux : la négligence de la prise en compte du soma et spécifiquement du fonctionnement neuro-cognitif, la prépondérance accordée à l’étiologie psychologique et par conséquent la mise en cause et la culpabilisation systématique des parents, la négligence dans l’effort d’apporter la preuve de leurs propositions psychopathologiques et de l’efficacité de leurs méthodes thérapeutiques. Nous aurons l’occasion dans ce dossier de discuter ces critiques assez caricaturales qui méconnaissent au fond l’objet même d’étude des psychanalystes ou des cliniciens de formation psychodynamique à savoir le fonctionnement mental (ou psychique).
Ce terme employé à plusieurs reprises précédemment doit en effet être précisé maintenant : il désigne le fonctionnement de l’appareil psychique compris comme un appareil à traiter les excitations. Il s’agit pour Freud d’un modèle ou encore d’une « fiction » qui comporte une dimension spatiale (configuration spatiale) et une dimension processuelle impliquant un travail psychique à l’œuvre pour réduire selon différents principes une quantité d’énergie liée à une excitation pulsionnelle issue du soma. « La théorie de l’appareil psychique s’origine dans le concept de conflit psychique, s’étaye sur les trois principes fondamentaux de constance, de plaisir et de réalité, et se décline du triple point de vue dynamique, énergétique et topique fondant la métapsychologie. En construction dès la naissance, voire antérieurement, cet appareil produit et gère les processus mentaux comme leurs dysfonctionnements » ([10], p. 57). Le point de vue topique exprime la différenciation du psychisme en sous systèmes (1re topique : conscient/préconscient/inconscient, 2e topique : Ça, Moi, Surmoi) dotés de caractéristiques et de fonctions distinctes agencées selon une disposition fonctionnelle, susceptibles d’entrer en conflit les unes avec les autres ce qui introduit au point de vue dynamique. Celui ci rend compte de la nature des conflits entre les forces qui peuplent le psychisme et l’organisent ou le désorganisent selon leur agencement économique. Parmi les forces en présence le jeu pulsions/angoisses/défenses prend une place prépondérante dans toute évaluation. Enfin, le point de vue économique désigne la quantité énergétique engagée dans les opérations psychiques.
L’évaluation du fonctionnement mental repose donc sur l’évaluation de ces trois dimensions conjointes à laquelle il faut ajouter - spécialement chez l’enfant - une dimension temporelle ou développementale impliquant l’environnement qui a pu être conceptualisé sous la forme d’un appareil psychique familial ou groupal. Le psychisme qui schématiquement peut être conçu comme l’intériorisation des soins parentaux ne naît pas et n’existe pas de manière solipsiste : il s’organise en étayage sur le corps, les satisfactions issues du corps à corps avec la mère dont la « préoccupation maternelle primaire » [11] laisse peu à peu la place au retour de l’amante, la femme du père. Dans les bons cas cette irruption d’une discontinuité, d’une absence temporaire sur un fond de continuité de présence maternelle crée, par la mise en route des autoérotismes du bébé, le « prélude à la vie fantasmatique » [4]. Ainsi l’Infans en vient-il à supporter et à élaborer la détresse, soit l’excitation issue de l’incapacité à s’aider soi-même du fait de son statut néoténique, en hallucinant dans un premier temps la satisfaction, puis l’objet de la satisfaction en son absence. La suite est bien connue : développement des identifications différenciées, émergence de la symbolisation, jeu progressif avec les représentations mentales donnant lieu au plaisir de désirer, ce qui permet au bébé de se dégager progressivement de sa dépendance à l’objet maternel et de surseoir au moins temporairement à la satisfaction du désir, inassouvissable par définition, ce qu’en d’autres termes on appelle la tolérance à la frustration. Les rudiments du complexe d’œdipe s’organisent ainsi précocement à partir du moment où le bébé fait cette expérience douloureuse que la mère existe en dehors de sa perception immédiate et qu’elle a d’autres objets d’amour que lui-même, ce qui ouvre à l’épistémophilie, aux sublimations, en bref au développement affectif, cognitif et à l’aventure humaine. L’ensemble de ces développements aboutissant à une identité mature au terme d’un long « processus de séparation-individuation » [9] sera repris en après-coup à l’adolescence ce qui interdit toute prédictivité linéaire.
Ces rappels sommairement posés, il est possible de reprendre le débat et de discuter cette fois les conceptions médicales strictes et spécialement, en miroir des critiques adressées aux psychanalystes, leur court-circuit organo-clinique (le cérébral n’est pas le psychique), la négligence de la prise en compte de la complexité du psychisme, le refus d’envisager le facteur environnemental dans le processus psychopathologique (nous ne disons pas psychogenèse), et enfin l’idéalisation des procédures de recherche utilisant des outils quantitatifs exclusifs. L’atomisation et le statisme des descripteurs utilisés, seuls à même de prêter à un traitement statistique, fait disparaître le sujet dans son originalité existentielle et sa singularité évolutive : la diachronie et avec elle la position subjective et intersubjective s’effacent dans la perspective organiciste.
Qu’on nous comprenne bien : nous ne critiquons pas les « neurosciences » qui se situent dans un champ épistémique différent et non concurrent de la psychanalyse ni le DSM, outil au service de l’objectivation sémiologique requise par l’épidémiologie au niveau international, mais l’utilisation réductionniste et pseudo-scientifique qui peut en être faite par les modèles médicaux traditionnels valorisant une étiologie organique stricte et surtout leur utilisation par les médias, certaines associations de parents voire groupes politiques. Le simplisme de ces modèles, basés sur la transposition des méthodes de la médecine somatique techniciste met hors jeu le sujet, le sens, le contexte et surtout l’écoute des patients et l’implication de l’observateur, c’est-à-dire les caractéristiques de la méthode clinique dans la tradition de la psychiatrie depuis Pinel, la phénoménologie, la tradition humaniste et pas seulement la psychanalyse. De telles positions médicales strictes finalement assez pauvres sur le plan théorique et thérapeutique quand elles se cantonnent à une prescription médicamenteuse ou ré-éducative exclusives, d’ailleurs très largement contestées par les meilleurs scientifiques eux mêmes [5-7] 3, connaissent cependant, il faut bien le reconnaître, un engouement considérable dans le grand public : de notre point de vue il existe une collusion entre les intérêts complexes des uns et les réticences des autres à aborder les questions psychologiques, soit l’intériorité psychique avec les menaces narcissiques qu’un tel abord fait peser aujourd’hui sur l’individu. Ainsi se produirait une forme de « communauté de déni » qui vise à rester en surface, à ne commenter que le manifeste et le visible, en bref à s’écarter massivement des émotions qui sous-tendent les troubles en question. Ainsi n’est-il pas négligeable que cette perspective médicale, en souhaitant ne s’en tenir qu’à l’objectivable, néglige les processus de pensée, alors que les troubles précités peuvent être analysés comme des efforts radicaux pour ne pas penser et ne pas souffrir par la mise en place de mécanismes comportementaux anti-pensée. L’abord psychopathologique fondé sur la métapsychologie contemporaine, ce qui n’implique nullement une causalité linéaire3, permet de rendre compte au mieux selon nous, de la complexité du (dys)fonctionnement mental de ces sujets, de ses articulations singulières avec l’environnement familial et social, et au fond de l’irréductibilité de la vie psychique humaine à une tentative de maîtrise qui la déposséderait de ses fondements subjectifs et intersubjectifs.
Les articles constitutifs de ce dossier sont l’œuvre de psychologues cliniciens, psychanalystes ou non, enseignants et chercheurs en psychologie clinique et en psychopathologie. Ils aborderont les questions précédemment évoquées sous le double point de vue de la clinique et de la recherche. Ils montreront également comment les données issues du bilan psychologique comprenant des épreuves très diversifiées (cognitives, intellectuelles, projectives) interprétées dans une perspective de psychanalyse appliquée [2, 3] apportent des renseignements extrêmement précieux à la compréhension du fonctionnement psychique des sujets consultants ou rencontrés dans un cadre de recherche.
Catherine Weismann-Arcache montrera comment « les nouvelles équations symptomatiques » rebaptisent des problèmes connus de longue date mais exprimés différemment aujourd’hui en fonction des modifications imposées par notre monde moderne à une parentalité désormais moins contenante : le surplus d’excitations pèse sur les capacités intégratives du psychisme ce qui peut paradoxalement aboutir à une hypermaturité et une précocité intellectuelle.
Jean-Yves Chagnon traitera de l’hyperactivité et montrera comment son abord neurologique exclusif méconnaît gravement la dimension psychopathologique, pauvre en manifestations mentales, qui la sous-tend et qui ne saurait être réduite à la conséquence secondaire du désordre cérébral. La question de l’étiologie apparaît obsolète au regard des modèles polyfactoriels de la psychopathologie psychodynamique.
Bernard Claude Jumel, dans le même esprit, s’est attaché à l’étude de la dyslexie. Sa recherche met particulièrement en évidence les particularités du fonctionnement mental de ces enfants (dépendance à l’image, non utilisation du temps) organisés autour de la lutte anti-dépressive.
Enfin, Benoît Verdon, Annie Kurtz, Virginie Rocard et Marie-Thérèse Toullier traiteront non pas de psychopathologie infantile mais de l’abord de patients présentant des pathologies cérébrales nécessitant des prises en charges médicales complexes visant à rééduquer et stimuler les processus cognitifs. À travers une discussion pertinente du concept de rééducation ils montreront tout l’intérêt de restituer celle ci dans une approche holistique du patient où les considérations psychodynamiques trouvent leur place pour soutenir la singularité du vécu individuel.
On voit d’ailleurs aujourd’hui comment certains tenants du cognitivisme s’écartent du comportementalisme en réintroduisant les modes de raisonnement et les émotions dans leur champ d’étude et dans leurs préoccupations thérapeutiques. On irait ainsi des thérapies cognitivo-comportementales vers des thérapies éclectiques et intégratives intégrant les apports psychodynamiques soit l’écoute clinique des patients [1].
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