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Perspectives Psy
Volume 43, Numéro 5, décembre 2004
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Page(s) | 341 - 342 | |
Section | Editorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2004435341 | |
Publié en ligne | 15 décembre 2004 |
Protection de l’enfance et pédopsychiatrie ?
Pédopsychiatre, Praticien Hospitalier PFT du 1er SPIJ,86-90, rue N.-Damede Nazareth, 75003 Paris, France.
La lecture du rapport annuel de la Défenseure des Enfants est toujours riche d’enseignements. La mouture 2004 ne faillit pas à la règle 1. Claire Brisset y rappelle les récents commentaires du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies sur la situation de la France à l’égard de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), parmi lesquels j’ai (très subjectivement) retenu les paragraphes suivants :
« Le Comité exprime sa préoccupation devant la multiplication des acteurs de la politique de l’enfance, notamment au niveau des départements, et déplore leur manque de coordination » et, plus loin, « Le Comité est extrêmement préoccupé par l’insuffisance de prises en charge en pédopsychiatrie pour les enfants et adolescents. Il demande à la France de développer des services de santé mentale pour les enfants et les adolescents de manière à remédier à la situation actuelle ». Quand on sait à quel point le langage des rapports officiels est habituellement diplomatique et précautionneux, on se dit que, finalement, les appréciations que portent des pédopsychiatres de terrain 2 sur l’état de la protection de l’enfance en France ne sont pas si scandaleuses que cela. Ce qui est en fait scandaleux, dans le cadre de la protection de l’enfance, c’est l’absence d’étayage des pratiques sur une réflexion théorique cohérente - et partagée par l’ensemble des professionnels - centrée sur une clinique du développement, notamment psychique, de l’enfant. Dès lors, tout questionnement sur ces pratiques, sur leurs motivations et sur leurs effets, prend l’allure d’un débat polémique parasité par l’expression d’idéologies qui disent rarement leur nom. Trop longtemps certaines de ces idéologies ont conduit à stigmatiser les parents dont le corps social jugeait qu’ils étaient incapables de fournir à leur enfant l’environnement et les soins indispensables à son bon développement. Il est malheureusement probable que, même actuellement, même dans notre France signataire de la CIDE, l’absence de réflexion où l’on se trouve dans les situations « d’urgence » auxquelles conduit l’impossibilité persistante à mettre en place les moyens d’une réelle prévention (primaire et secondaire) débouche sur des séparations injustifiées et dommageables. Et l’on peut alors protester avec raison contre de telles pratiques, d’autant plus qu’elles sont rarement suivies de l’important travail d’élaboration et d’accompagnement qui pourrait tenter de rendre moins traumatiques les effets de ces séparations. Par un mouvement de balancier, commun dans l’histoire des idées et particulièrement quand sont à l’œuvre des mécanismes psychiques aussi primaires que ceux que sollicite la question du lien parents-enfant, on assiste depuis quelques décennies à une montée en puissance de ce que M. Berger décrit comme « l’idéologie du lien ». Et tout est alors bon pour justifier des pratiques visant à maintenir dans la réalité des contacts parents-enfant, sans qu’il y ait de réelle réflexion sur la nature du lien à l’œuvre ni sur ses effets quand il est ainsi régulièrement activé. Comme on le voit dans d’autres champs, le primat du biologique (ici les « liens du sang ») vient obérer toute possibilité de se référer à ce qui a pourtant été établi des besoins primaires de l’enfant : protection, sécurité, cohérence, prévisibilité de l’environnement, et ce pendant… longtemps.
Dans beaucoup de situations cliniques, il apparaît, si on s’en donne les moyens, qu’un soin psychique, intensif et de durée suffisante, peut contribuer à un réaménagement des liens psychiques entre un enfant et son parent jusque là « empêtré » dans sa parentalité, que ce soit du fait de son histoire personnelle ou de l’existence de « défauts de base » qui rendent l’enfant réel bien éloigné de l’enfant imaginaire dont était porteur le psychisme parental. Il est cependant fondamental de rappeler que, dans ces situations, les interventions thérapeutiques ne méritent leur qualificatif (et leur financement !) que si elles restent centrées sur une « observation clinique du développement de l’enfant » et sur une évaluation des effets du maintien des contacts dans la réalité sur les liens inter-psychiques et, partant, sur le développement par l’enfant d’une capacité à penser, à se penser. Malheureusement, c’est souvent loin d’être le cas, et il faut constater que « l’idéologie du lien », reposant sur une représentation des liens biologiques comme forcément adéquats et soignants, conduit à ignorer ou - pire ?- à banaliser ce qui pourrait être observé des difficultés persistantes de l’enfant et de la nécessité de maintenir la présence cohérente et contenante d’un tiers dans une situation qui reste « à risques ». Dans un nombre non négligeable de situations, il apparaît que certains parents ne sont pas seulement « empêtrés » mais véritablement « handicapés » dans leur parentalité, et que ce handicap a des conséquences extrêmement dommageables sur le développement, et parfois même le maintien en vie, de leur enfant. Notre pratique de pédopsychiatres nous confronte souvent à de telles situations, notamment à celles où la gravité de la pathologie psychiatrique parentale vient durablement obérer toute possibilité pour ce parent d’assurer la stabilité, la cohérence et la prévisibilité dont son enfant à vitalement besoin. Ces pathologies psychiatriques ont des noms : parfois schizophrénie ou psychose délirante chronique, plus souvent état-limite grave ou perversion. Plutôt qu’à une sigmatisation inacceptable, ces diagnostics doivent conduire, en se référant à « l’état de la Science » sur le sujet, à mieux se représenter les incapacités handicapantes qui résultent des déficiences psychiques à l’œuvre. Au-delà des questions diagnostiques, ces incapacités ont en commun de toucher, entre autres, la vie relationnelle, et l’on ne voit vraiment pas pourquoi la relation entre un parent souffrant de telles déficiences et son enfant serait épargnée par ces incapacités durables. Dans la plupart des cas, c’est même cette relation qui est le plus à risques, tant les processus de parentalisation et de filiation sont très archaïquement ancrés dans le fonctionnement de tout individu. Bien sûr, on peut souhaiter que des soins apportés au parent malade mental viennent tempérer - voire guérir ?- les conséquences incapacitantes des déficiences psychiques. En pratique, et au risque de sembler bien pessimiste, si l’on peut parler de soins de la psychose, de réhabilitation sociale du schizophrène, je n’ai jamais rencontré de situation où le seul soin du parent permettait de garantir que les besoins de l’enfant réel étaient satisfaits sur le long terme (et très rarement des situations où le soin au parent était coordonné avec un soin apporté à l’enfant). La situation me semble encore pire en cas d’états-limites, de pathologies graves du narcissisme ou de perversion : non seulement le parent n’est alors que très rarement authentiquement demandeur de soins (or « on ne peut pas l’obliger ») mais, de plus, la nature même de l’expression de ses déficiences psychiques l’amène à être particulièrement imprévisible et en même temps terriblement excitant (pour l’enfant… comme pour les professionnels qui sont souvent alors comme fascinés). Il semble que ces pathologies des limites et du narcissisme soient de plus en plus fréquentes, et la pédopsychiatrie est régulièrement sollicitée pour participer à la prévention de ces troubles et de leurs conséquences. Or, ces mêmes psychiatres qui sont requis par la société pour contribuer à la protection du développement de ses enfants sont invalidés, voire voués aux gémonies, dès lors qu’ils dénoncent les incohérences sociétales qui les empêchent de remplir leur mission. Les choses sont pourtant claires ! Soit on se décide à tenir compte de la masse de connaissances accumulées par les praticiens confrontés aux effets des dysfonctionnements du lien parent-enfant, et, dans ce cas, il faut être prêt à entendre qu’il existe des situations (de moins en moins rares !) où le maintien de contacts entre un enfant et ses parents biologiques ne contribue pas au bon développement de l’enfant (même avec un luxe de coûteuses précautions), voire s’y oppose de façon dramatique. Soit on décide de se boucher les oreilles et de se voiler les yeux face à ces situations (variantes : on en dénie le nombre, on en banalise les effets, on ironise sur les psychiatres qu’on marginalise et traite de Cassandre), et alors il n’est peut-être pas vraiment utile de consacrer autant de moyens à un simulacre de protection de l’enfance qui conduit inexorablement à des lendemains qui déchanteront. Plus que jamais, il est fondamental que la société définisse les objectifs et les moyens (pas seulement matériels), de la mission de protection de l’enfance à laquelle elle demande de plus en plus impérativement aux pédopsychiatres de participer. Toute incohérence persistante dans ce domaine ne pourra que s’opposer aux processus cohérents de soins dont la nécessité, la nature, et aussi les effets positifs (…quand ils sont vraiment cohérents) sont maintenant bien établis… en clinique.
© EDK, 2010
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