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Editorial
Numéro
Perspectives Psy
Volume 64, Numéro 1, Janvier-Mars 2025
Page(s) 3 - 4
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2025001
Publié en ligne 22 juillet 2025

Dans notre société en crise, les signes de mal-être, de souffrance, de rupture avec le lien social se multiplient, particulièrement chez les adolescents et les jeunes adultes. Paradoxalement, alors que nous avons plus que jamais besoin de boussoles précises pour nous orienter dans nos pratiques, la clinique classique, se trouve disqualifiée, déconsidérée, au profit de classifications transversales, issues de statistiques supposées refléter une réalité débarrassée de toute subjectivité.

Dans un ouvrage récent, Jean-Pierre Deffieux (2024) dresse un tableau précis de la logique en cause dans cette évolution, et nous donne un aperçu de ses conséquences : la clinique psychiatrique classique est aujourd’hui en voie de disparition, au profit d’une étude strictement neurologique du cerveau, et le moins qu’on puisse dire est que le résultat n’est pas sans nous inquiéter.

Concernant les adolescents, le constat est alarmant : les diagnostics le plus souvent posés très précocement dans l’enfance, s’ils donnent droit à des aides techniques, ou d’assistance en milieu scolaire non négligeables, sous la forme de programmes d’aide personnalisée par exemple, souvent assortis de traitements médicamenteux, laissent de côté ce dont il s’agit. Ces outils sont certes précieux, dans la mesure où ils permettent souvent un maintien en milieu scolaire. Mais cet effort pour soutenir une politique d’inclusion méconnaît les singularités, et les éventuelles pathologies à l’œuvre, qui justement seraient repérées grâce à une investigation clinique ajustée au cas par cas. La valeur de symptôme du trouble qui a été identifié et diagnostiqué, n’est pas prise en compte, et souvent aucune offre de parole n’est associée au dispositif.

La cause du symptôme reste méconnue. Les professionnels eux-mêmes, enseignants, éducateurs, ainsi que les AVS1 et AESH2 témoignent de plus en plus souvent de leurs difficultés et parfois de leur souffrance à appliquer les directives strictes qui encadrent cet accompagnement délicat.

L’adolescent plaque-tournante

L’arrivée au collège, puis au lycée, sont des moments clés, qui viennent souvent révéler les impasses du protocole. Non en conformité avec les standards du système scolaire, parfois c’est l’enfant lui-même, ou l’adolescent qui déclare forfait en témoignant d’une impossibilité à poursuivre cette intégration forcée qui n’a aucun sens pour lui et peut même en venir à exercer une certaine violence. Parfois c’est à la sortie que se révèle l’inadéquation radicale, et confronte le jeune devenu majeur à un vide abyssal.

Plaque-tournante

Je propose cette formule empruntée à Lacan (2006) qui l’utilise pour désigner la phobie : pas une entité clinique, mais une plaque-tournante, qui recouvre potentiellement n’importe laquelle des grandes entités cliniques.

Sur l’adolescent pèsent toutes les inquiétudes d’une société en crise, qui redoublent ses propres angoisses, jamais entendues, jamais interrogées, jamais prises en considération.

C’est à ce moment que se révèle ce qui a manqué cruellement, qui lui aurait permis de savoir y faire avec l’autre, le semblable et l’étrange ; savoir y faire aussi avec l’Autre du langage, parfois insaisissable, énigmatique ; trouver sa propre langue pour dire, pour se dire, pour demander, pour protéger son intimité ; savoir y faire avec son corps, rebelle, encombrant, pas conforme à l’image qu’il s’en fait ; savoir y faire avec parfois l’énigme, de l’origine ou de la sexualité, quelles qu’en soient les coordonnées si ouvertes, si diverses aujourd’hui.

En se constituant partenaire du sujet, grâce à cette relation particulière qu’est le transfert, le praticien orienté par la psychanalyse, quel que soit son statut, contrairement à des préjugés tenaces, permet à l’enfant, à l’adolescent de se former un goût pour la parole, de sortir de son enfermement, et de trouver ses propres solutions. Non pas la cure analytique elle-même, peu pratiquée comme telle avec les enfants, mais une pratique orientée et soutenue par une éthique qui implique un certain rapport au savoir, pas déjà là, mais à inventer, au cas par cas, à partir des dits, à partir de ce que le symptôme veut dire.

D’autres pratiques s’appuient sur ce lien transférentiel central, seul capable d’inventer un arrangement, un bricolage qui vaille, et qui ait cette fonction de support de soutien, de suppléance. Mais cela ne se décrète pas et il y faut parfois du temps, un certain temps, parfois long, quand on a à faire à des sujets présentant des troubles autistiques ou des phénomènes envahissants. L’enjeu est de taille, s’il s’agit de rompre avec l’isolement qui conduit notre société à toujours plus d’addictions, de dépressions, d’isolement, et aussi de communautarismes sauvages, fabriqués pour donner un sens là où il n’y a que vide et trou dans le savoir.

La clinique de l’autisme, des dépressions, des addictions, nous enseigne sur les symptômes de notre temps. À condition de pouvoir les déchiffrer au cas par cas. Car l’universel en la matière ne fonctionne pas.


1.

Auxiliaire de la vie scolaire.

2.

Accompagnant des élèves en situation de Handicap.

Références Bibliographiques

  1. Deffieux, J-P. (2024). La clinique du présent avec Jacques Lacan. Le Champ Freudien éditeur. [Google Scholar]
  2. Lacan, J. (2006). Le Séminaire, livre XVI. D’un Autre à l’autre (p. 307). Paris : Seuil. [Google Scholar]

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