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Editorial
Numéro
Perspectives Psy
Volume 62, Numéro 2, Avril-Juin 2023
Page(s) 97 - 99
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2023622097
Publié en ligne 23 juin 2023

Dans son livre « 21 leçons pour le XXIe siècle », Yuval Noah Harari nous prépare à nous confronter à un monde nouveau, riche de nouvelles opportunités stimulantes mais aussi de dangers, certains contournables, d’autres inéluctables. Deux attitudes possibles : attendre et faire avec, connaître, analyser, se préparer, chacun dans son domaine1. Le monde a toujours été à la fois dangereux et fascinant, ce qui change c’est la perception de ce danger et de ses promesses, son immanence, son omniprésence plus que sa réalité. Que ce soient les catastrophes écologiques, climatiques, sismiques, ou les menaces de guerres de frontières ou de religions, par le terrorisme, par des épidémies, cela a toujours existé ! S’y ajoute le péril nucléaire.

Cet avenir, toute proportion gardée, semble inexorable. Et s’il en est ainsi, nous devons reconsidérer nos rôles en tant que travailleurs de la santé mentale si nous percevons ce rôle comme dépassant nos cabinets de consultation pour être aussi impliqués dans les choix à faire face à ce monde et ses nouveautés, ou pour aider ses victimes. Il est aussi probable que ces développements socio-technologiques influent sur notre pratique privée.

L’avenir n’étant jamais sûr, par définition, nos prévisions et nos propositions ne sauraient en être autrement. Toujours en référence à Harari, prenons quelques exemples.

La famille n’est plus ce qu’elle était ! Est-ce un bien ? Si elle était considérée comme un carcan, sans doute ! L’assouplissement des liens sociaux y compris conjugaux qui se poursuit déjà depuis des dizaines d’années nous contraint à revisiter nos notions de famille, de parentalité qui offrent désormais une plus grande liberté aux individus. Les enfants seront toujours désirés puisque programmés, aimés, mieux traités, tout en se développant dans un milieu changeant, parfois planifié, parfois subi. Les études actuelles ne semblent pas repérer une plus grande souffrance mentale chez ces enfants, ce qui est encourageant.

Harari nous convainc qu’avec l’automatisation et la robotisation de plusieurs de nos activités, nous jouirons de beaucoup plus de temps libre. Ce temps disponible sera-t-il utilisé surtout en famille ou avec les copains ? Ce vide, ce manque d’activité peut devenir très anxiogène pour ceux et celles qui ne sauront pas le combler. Choisirons-nous de n’être que les thérapeutes de ces personnes désorientées par ces changements imposés de leur mode de vie ? D’où naît l’intérêt de proposer dès maintenant, avant que ces changements apparaissent ce qui serait une attitude éthique, notre participation à des initiatives multidisciplinaires de la gestion du temps. Harari parle d’« homo deus », d’autres prévoient un « homo ludens ».

On peut voir du Bien en toute chose ou en tous cas orienter toute chose vers le Bien. Ainsi l’émergence des voitures autonomes va nous libérer de l’angoisse des accidents chaque fois que nous prenons le volant ; il n’y aura plus de bouchon ni de chauffeur qui vous insultera parce que vous n’avancez pas assez vite. La voiture personnelle sera un salon ambulant où l’on pourra lire, discuter, écouter la radio. Il faudra quand même deux ou trois générations pour se libérer de nos habitudes de contrôle et d’autonomie.

Le chômage, le non-travail, considéré comme un facteur de risque majeur d’alcoolisme, de violence domestique et autres sera considéré, nous dit Harari, comme une normalité comme une autre. Il n’y aura pas de travail pour tout le monde mais par contre assez de richesse pour tout le monde. Certains pays considèrent déjà l’attribution d’un salaire offert à tous les citoyens et citoyennes, quelle que soit leur activité, dans ou en dehors de la famille. Il est bien difficile de prévoir les réactions psychologiques à ces changements ? Vraisemblablement diverses. Cela permettra sans doute à plus de personnes de vouloir en savoir plus sur elles-mêmes et mieux se comprendre.

Beaucoup de nos petits patients se plaignent ouvertement ou non de ne pas être suffisamment avec leurs parents. « Ils sont toujours occupés ». S’ouvre alors le cercle vicieux d’un monde qui se réduira à des heures de plus en plus nombreuses face à leurs écrans de téléphone ou d’ordinateur. Un monde d’isolement social où l’enseignement, si tant est, se fera aussi à travers les écrans. Plus de classes, plus de cours de récréation, plus de jeux. La « zoomisation » de l’enseignement a rompu le lien socialisant de l’école. Au retour à l’école après des périodes d’isolement dues au Covid, les élèves de toutes les classes disaient combien ils étaient contents de retrouver leurs copains, l’école, les profs, l’ambiance scolaire. Les enfants aiment l’école même s’ils disent le contraire. Dans les pays en guerre, ou dans des groupes humains isolés durant de longues périodes, quelle qu’en soit la raison, les enfants s’organisent eux-mêmes en groupes en demandant à un adulte de leur apprendre, à lire, à écrire, répondre à leurs questions. Imaginons maintenant quel effet aura cet enseignement à distance par écran interposé : perte du rôle de socialisation de l’école, la perte des amitiés, la perte de la stimulation à apprendre, à savoir. S’ouvrira un abîme encore plus profond que l’actuel entre les nantis qui peuvent se payer des précepteurs et tous les autres. L’érosion du contrat social.

Nos prises en charge thérapeutique de ces enfants devront prendre en considération ces changements sociétaux. Faire prendre conscience aux parents de leurs responsabilités d’éducateurs ou plutôt ou parallèlement orienter ces enfants vers des groupes extra-familiaux comme les mouvements de jeunesse, plus sûrs, plus structurés, plus fidèles que la famille. Devrions-nous nous impliquer au-delà et parler avec les dirigeants, souvent jeunes et inexpérimentés de ces structures.

Nous devons revisiter nos théories du développement de l’enfant et de l’adolescent, reconsidérer nos modes de prise en charge, nos relations aux parents. Nous devons penser notre responsabilité vis-à-vis des institutions et des décisionnaires dans le domaine qui est le nôtre.

Dans trois domaines, au moins, violence familiale et scolaire, sexualité précoce, enseignement à distance, nous nous devons d’intervenir, de proposer nos services, nos compétences auprès des chefs d’établissements scolaires pour les conseiller et les aider dans cette dure responsabilité ainsi qu’auprès des parents en organisant des groupes conseils mais non thérapeutiques. En sachant comment appréhender toutes ces questions en évitant les dénis et les refoulements oh ! combien plus dangereux ! En sachant repérer ceux des élèves plus fragiles, plus anxieux qui auront besoin d’une aide plus spécifique. Dans nos dispensaires d’hygiène mentale nous recommanderions un travail en groupe qui signifie avant tout que tous sont concernés par ces dangers, enfants comme adultes. Les thérapies systémiques pourraient être mieux adaptées à ces situations. Les neurosciences et plus spécifiquement la neuro-psychanalyse nous apportent une meilleure compréhension des fonctions mentales du cerveau d’où découlent parfois des innovations thérapeutiques, pharmacologiques ou autres, que nous devons apprendre et en transmettre l’usage. Cette science mériterait aussi une place dans nos études. Notre science, notre savoir, nos pratiques se doivent, ne serait-ce que par éthique, étant responsables de nos patients d’évoluer avec le temps, un temps qui avance très vite !

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Yuval Noah Harari, 21 leçons pour le XXIe siècle, Paris : Albin Michel, 2018.


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