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Editorial
Numéro
Perspectives Psy
Volume 61, Numéro 1, Janvier-Mars 2022
Page(s) 5 - 7
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2022611005
Publié en ligne 28 mars 2022

Le seul congrès de l’APA (American Psychiatric Association) auquel j’ai assisté se tenait à New York en 1996. Le thème en était : « One Psychiatry, One Langage ». Il pouvait être entendu comme une proposition de rassemblement ou comme une injonction totalitaire. Je n’ai pas assisté à toutes les sessions du congrès mais celles que j’ai suivies étaient toutes construites avec le même schéma : un symptôme, un arbre décisionnel (concernant systématiquement des options de traitement médicamenteux), un objectif : venir à bout du symptôme. Mauvais accueil assuré pour les orateurs, quelques impénitents psychothérapeutes qui s’écartaient de la voie tracée. Peut-être était-ce le temps de l’enthousiasme réduction- niste et conquérant d’une psychiatrie enfin scientifique et de qualité, délivrée des ratiocinations psychopathologiques d’antan. Cette époque triomphaliste est aujourd’hui certainement derrière nous !

À l’instar de Daniel Lagache, psychiatre et professeur de psychologie du siècle passé, fondateur de la psychologie clinique mais aussi tenant de l’unité de la psychologie, j’ai toujours tenu la Psychiatrie pour une discipline qui devait rester unifiée, englobant la pédopsychiatrie et la psychiatrie des adultes, une psychiatrie générale, en somme, où chacun avait sa place. Ce projet de l’unité de la psychiatrie ne peut se réaliser que si la diversité est la matière même de cette unité. À l’instar des fondateurs de la Fédération Française de Psychiatrie, ceux du Congrès Français de Psychiatrie ont eu l’ambition d’offrir une place à toutes les composantes de la psychiatrie. Y ont-ils réussi ?

Cette diversité est difficile à décrire. On a eu tendance à la décliner en fonction des approches théoriques et des pratiques spécifiques qui devraient en découler, les fameuses « chapelles ». Que n’a-t-on dit sur l’opposition entre psychanalyse et TCC comme si les psychiatres se rangeaient dans l’un ou l’autre de ces champs ? Y a-t-il jamais eu des approches exclusivement psychanalytiques de l’autisme dans les hôpitaux de jour, comme l’ont reproché en chœur, à la pédopsychiatrie, certaines associations de parents, des Hautes Autorités de tout poil et des responsables politiques ?

En fait, que font les psychiatres, sinon tous, au moins les plus inspirés d’entre eux et les moins soumis à l’unidimen- sionnalité médicamenteuse ? Ils bricolent ! Bricolage individuel et assumé ou bricolage camouflé et formalisé par les multiples échelles, questionnaires, méthodes et procédures; bricolage respectable et créatif d’humains ayant intégré quelques connaissances et savoir-faire, ayant pris la peine de se former à des outils de leur choix, et ne s’esquivant pas devant la relation à d’autres humains en souffrance, eux-mêmes en demande beaucoup, un peu ou pas du tout... Ainsi, au-delà des théories et des appartenances, la diversité de la psychiatrie réside dans les formes multiples que prend ce travail de création, issu de rencontres interhumaines dans des contextes très divers, des formes d’exercice différentes, du libéral à l’institutionnel, sectoriel ou médicosocial, de l’ambulatoire à l’hospitalier, de la proximité à la référence, etc. Ce qui fait lien et unité dans cette diversité, c’est la communauté très particulière de ces expériences multiples, issues du choix de se confronter à la souffrance psychique et mentale, de tenir des discours partageables à leur propos, et ceci dans le cadre de la médecine. Ce point est important car, dans nos modèles d’organisation sociale, il est reconnu à la Médecine d’être le lieu privilégié d’accueil de la souffrance, offert en droit à tout humain, dans le respect de son intimité de personne privée.

Revenons à cette diversité. Elle a toujours suscité chez nous, psychiatres, des débats, des divergences, des conflits, des affrontements parfois, mais elle a été aussi la condition de l’enrichissement de notre savoir et de notre efficience, du fait d’apports conceptuels et pratiques de sources très diverses (médicales, neuroscientifiques, psychopathologiques, psychanalytiques, phénoménologiques, systémiques, anthropologiques...) qui, après avoir traversé avec succès le temps du débat, ont été adoptés du fait de leur pertinence pragmatique et/ou épistémologique.

Même si ils doivent parfois être réducteurs dans leurs propositions thérapeutiques concrètes et dans leurs projets de recherche, les professionnels de la psychiatrie perçoivent au fond que la complexité de leur objet, la vie psychique, ne leur permet pas de prétendre à l’exhaustivité d’un savoir scientifique le concernant.

La seule manière d’attaquer l’unité de la psychiatrie, c’est de s’en prendre à sa diversité.

Une des lignes de différenciation des plus importantes au sein de la psychiatrie, qui, pendant longtemps a été une ligne de passage et non de clivage, est celle distinguant les psychiatres d’enfants et les psychiatres d’adultes (les adolescents relevant des uns ou des autres en fonction de leur âge ou des structures de soins existantes, avant que n’apparaissent les psychiatres d’adolescents). Depuis quelques décennies, une, deux ou trois, il faut reconnaître que ce qui les différencie dans leurs références théoriques et leurs pratiques s’amplifie et que, ce qui les réunit s’amenuise. Je ne peux ici en analyser les raisons. Mon expérience tardive de psychiatre libéral m’a amené à penser que ce mouvement concernait beaucoup plus la psychiatrie institutionnelle, hospitalière et universitaire. La pédopsychiatrie en vient à poser la question de son autonomie, ce qui n’était pas une préoccupation pour la plupart des pédopsychiatres de ma génération. Il ne s’agit pas là d’un combat d’arrière-garde concernant la référence à la psychanalyse même si c’est un fait reconnu que celle-ci a largement contribué à la mise en place de la pédopsychiatrie moderne à partir de la deuxième partie du XXe siècle (en témoigne le succès du traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Lebovici, Diatkine et Soulé). Il s’agit du besoin qu’ont les pédopsychiatres que soient mieux reconnus leur spécificité, leur champ d’action et leur compétence sur plusieurs plans : la formation universitaire et le recrutement de futurs collègues, une recherche adaptée à leur objet, l’organisation et le financement de ce qui concerne la Santé Mentale Infanto-Juvénile. La force actuelle de l’expression de ce besoin résulte d’un recul considérable des moyens disponibles, de l’amenuisement terrible de l’offre de soins par rapport à l’extension des demandes, de la régression catastrophique du nombre de pédopsychiatres. Il ne s’agit d’ailleurs pas que d’un problème de financement puisque le recrutement de médecins mais aussi de professionnels non médecins devient un problème insoluble, faute de candidats formés.

Le fait que, dans la plupart des pays européens, la filière pédopsychiatrique soit devenue autonome et spécifique va également dans le sens d’une autonomisation universitaire et professionnelle de la pédopsychiatrie. Ceci semble être aussi le vœu de la plupart des pédopsychiatres français.

Il arrive qu’il faille se séparer pour exister.

Il arrive qu’il faille se séparer pour se retrouver.

Vive l’unité de la psychiatrie !

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L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


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