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Editorial
Numéro
Perspectives Psy
Volume 59, Numéro 3, juillet-septembre 2020
Page(s) 211 - 213
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/202059211
Publié en ligne 21 décembre 2020

Introduction

La situation de la psychiatrie publique n’a cessé de se dégrader depuis plus de vingt ans. On connaît l’histoire de la grenouille, incapable de se dégager de l’eau bouillante, parce qu’elle a été rendue amorphe par le réchauffement insensiblement progressif de l’eau. Comme elle, nous avons subi l’addition de multiples altérations de notre discipline, qui ont fini par produire la catastrophe. Mais cette progressivité lente dans le déclin a également été marquée par des seuils. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy, avec sa loi HPST et celle du 5 juillet 2011 régissant les hospitalisations sous contrainte, monstre de bureaucratie, a constitué l’un de ces seuils.

Nos cris d’alarme, nos pétitions, nos protestations, nos mouvements de grève, nos tribunes, nos livres... n’ont pas eu beaucoup d’effets. Peut-être parce qu’ils se sont souvent adossés à des analyses politiques ou doctrinales, au nom d’une sensibilité ou d’un courant et non de la psychiatrie elle-même, dans ses fondements.

Il convient de retrouver toute la force du néologisme magnifique d’Henri Ey : c’est parce qu’elles étaient « psychiatricides » qu’il fallait se battre contre ces attaques, et non parce qu’elles relevaient de telle ou telle conception.

Nous nous sommes donc heurtés au négationnisme de l’État, tout juste bon à commander un rapport tous les deux ans, aussitôt rangé dans les tiroirs; à l’indifférence de l’opinion publique, car les maladies mentales font peur; à la lâcheté des politiques, qui savent qu’il n’y a pas de gain électoral à espérer de la psychiatrie, sauf à la stigmatiser dans l’obsession des faits divers violents qui embrasent les médias et qui font espérer quelques voix sur le dos de nos malades.

Agnès Buzyn a au moins permis à l’État de sortir de cette posture négationniste et perverse. Pouvait-elle d’ailleurs faire autrement, tant les tristes preuves du désastre s’accumulaient ?

La pandémie du Covid 19 a révélé au moins trois choses :

Le fiasco de la bureaucratie, celle qui crache en permanence des injonctions normatives, en toute méconnaissance du terrain.

La force de ce terrain, proche des malades et de leur lieu de vie, qui a su mobiliser dans l’urgence, son adaptativité et sa réactivité au plus près des situations concrètes. Tous ceux qui sont condescendants à l’égard du Secteur, présumé archaïque face à une psychiatrie d’expertise de pointe, peuvent ravaler leurs insultes.

Enfin, la crise a rappelé la force de la conjonction des énergies. Les gestionnaires ne sont pas nos ennemis quand ils s’associent à nous dans l’action. On avait oublié que c’est aussi grâce à la volonté de grands agents de l’État, humanistes et visionnaires, que le Secteur psychiatrique français a vu le jour. On a ainsi pu mesurer l’incroyable perte d’efficacité qui consiste à couper les uns des autres et à organiser l’hôpital avec les uns contre les autres. Ne nous trompons pas. Ce désastre n’est pas une catastrophe naturelle, la conjonction malheureuse de quelques facteurs. C’est un massacre méthodique. C’est au nom de doctrines absurdes, d’ignorances feintes, d’abandons et de lâchetés, que ce massacre a été commis. La politique de santé en France, et son parent le plus pauvre, la psychiatrie, a été exclusivement circonscrite à la limitation des coûts, sans vision globale, sans autre boussole, en se revendiquant ici ou là de telle ou telle doctrine opportunément instrumentalisée, en faisant semblant de s’appuyer sur quelques psychiatres qui défendaient leur chapelle et non notre église.

La longue liste de ces raisons du massacre n’est pas exhaustive :

  • On a laissé la catastrophe démographique s’installer : mille postes non pourvus; une perte massive d’attractivité; des postes en partie occupés par des médecins étrangers en situation précaire, scandaleusement sous-payés.

  • On a formé des générations d’internes dans l’ignorance de la psychiatrie intégrative, en leur faisant croire que la psychiatrie était née en Amérique, ce pays aux congrès débordant de la richesse des laboratoires pharmaceutiques, tandis que les malades chroniques vont à la rue, en prison ou prématurément au cimetière.

  • On a fait croire à ces internes que la psychiatrie biologique, les neurosciences, l’épidémiologie, la recherche... étaient la noblesse de la psychiatrie, le reste relevant de l’obscurantisme et de l’archaïsme.

  • On a dit aux infirmiers qu’ils étaient « comme les autres », avec la même formation et on les a transformés en petits greffiers de la traçabilité de leurs patients. Les conséquences en termes de prise en charge en ont été désastreuses.

  • On a proclamé partout, contre toute évidence, cette absurdité sans nom qui prétend que la psychiatrie est une spécialité médicale comme une autre. On a ainsi précipité l’effondrement du modèle de la psychiatrie intégrative biopsycho-sociale, qui a toujours été le meilleur de la psychiatrie, comme aimait le dire Racamier, au profit de la psychiatrie biologique et des neurosciences. Ce qui est condamnable, ce ne sont évidemment pas les neurosciences mais la prétention à l’hégémonie et à l’exclusivisme de n’importe laquelle des composantes du champ psychiatrique.

  • Avec la loi HPST et tout le pouvoir confié à des administratifs trompeusement affublés du titre de managers, on a privé le chef de service de tout pouvoir fonctionnel réel sur sa propre équipe.

  • On a scindé le binôme mythique chef de service – cadre supérieur, qui depuis Pinel et Pussin organisait le soin. Les cadres ont été happés par la hiérarchie administrative, ses modes de pensée, ses manies et ses tics.

  • On a réduit le chef de pôle à devenir la dernière roue du carrosse dans son propre service. Des tableaux PowerPoint sont supposés transmettre toutes les conduites à tenir, en termes de recommandations, de guide de bonnes pratiques, de protocoles, de procédures, de programmes, nouveaux guides du castor junior de la psychiatrie... Tandis qu’ils voient la qualité des soins s’effondrer, les soignants sont sans cesse convoqués à des réunions sur les procédures qualité.

  • Comble de la honte, dans les unités psychiatriques hospitalières, on a vu se généraliser des pratiques de contention et d’isolement, par des équipes de soins squelettiques, apeurées, sans cesse rappelées à leur responsabilité en cas de drame. Et nous voilà à nouveau pointés du doigt par ceux-là même qui ont organisé le massacre !

N’en jetez plus. La cour du massacre de la psychiatrie est pleine. La seule question qui vaille aujourd’hui, c’est : « comment en sortir ? ».

Que les soignants en psychiatrie ne se fassent aucune illusion. Il y a trop de stigmatisation politique, médiatique, économique et trop de peurs entretenues autour de la psychiatrie, pour que nous ayons la moindre chance sans une mobilisation unitaire autour de notre seul parti pris possible, la psychiatrie elle même. Et cette identité rime avec respect de la diversité qui fait de la psychiatrie une discipline si magnifique. Nous avons le devoir, hospitaliers, universitaires et libéraux, de défendre notre commun dénominateur identitaire. Toute guerre fratricide serait psychiatricide.

Il faudra commencer par exiger que soit enfin discutée avec nous puis promue, une loi-cadre régissant le contrat entre la société et la psychiatrie, qui n’est pas une spécialité médicale comme une autre.

La loi HPST, consacrant le plein pouvoir directorial, devra être abrogée. La loi de 2011, imposée sans concertation et qui nous écrase de bureaucratie inutile, devra également être abrogée, en faveur d’une nouvelle loi discutée avec nous. N’est ce pas la moindre des choses ?

La gouvernance partagée devra être établie, permettant la convergence des forces dans les limites des contraintes budgétaires. Travailler ensemble, et non les uns contre les autres.

La formation des futurs psychiatres et des infirmiers devra être réformée dans le respect de toutes les dimensions de notre spécialité.

Sans utopie, sans élan collectif, il ne peut y avoir de psychiatrie. Il y a eu la fin de l’asile, la psychothérapie institutionnelle, la découverte des neuroleptiques, le Secteur... Il doit y avoir un renouveau de la clinique intégrative, riche de toutes ses forces vives. Il faut réenchanter la psychiatrie. Elle est aujourd’hui délaissée parce qu’on a voulu en faire « une spécialité médicale comme une autre », avec moins de moyens, moins d’attractivité que les autres. À nier la réalité de sa pratique diversifiée, on l’a appauvrie, on l’a châtrée. On a transformé cette discipline magnifique en une spécialité inférieure aux autres, que les internes boudent et dont certaines pratiques font honte, au pays de Pinel et d’Esquirol. La souffrance d’un homme n’est pas réductible à ses gènes, à sa maturation cérébrale, à son histoire, à ses échecs, à ses traumatismes, à son travail, à sa place au sein de la société, à la singularité de son fonctionnement mental... C’est le rôle du psychiatre d’accueillir cette souffrance, d’en comprendre tous les ressorts, afin de l’aider à s’en dégager, à l’aide de théories dont aucune n’est exclusive et d’approches qui ne méprisent aucune des dimensions, biologique, psychologique, relationnelle, familiale, sociale... C’est pourquoi, c’est une discipline magnifique, dont il faut restaurer toute la place dans notre pays.

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L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


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