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Editorial
Numéro
Perspectives Psy
Volume 58, Numéro 2, avril-juin 2019
Page(s) 89 - 91
Section Editorial
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2019582089
Publié en ligne 30 juillet 2019

« Un mal qui répand la terreur [...] La Peste [..] faisait aux animaux la guerre. Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés »

Jean de La Fontaine Les animaux malades de la peste, Fables, 1678-1679

La fable de La Fontaine est contemporaine du « grand renfermement ». En effet, en 1656, Louis XIV signe l’édit créant une institution vouée à l’assistance des indigents : l’hôpital Général, d’abord à Paris, puis dans tout le royaume à partir de 1676. On le sait, sous couvert de charité il s’agit d’organiser l’ordre social et les insensés y ont leur place.

En 2019 : il n’est plus question de folie mais de santé mentale. Les indigents sont devenus des précaires, les insensés des malades mentaux.

L’organisation des soins psychiatriques est au premier rang des préoccupations des responsables politiques qui se succèdent en ce début de XXIe siècle. L’heure est à la pratique inclusive, à la réhabilitation autant de conceptions de «l’accompagnement » qui ont tout leur intérêt mais qui nécessite une organisation soignante et sociale d’une grande complexité. Cette complexité est coûteuse, sans doute plus que l’organisation actuelle de notre système de soins reposant majoritairement sur la politique de secteur construite après-guerre. On peut craindre que la « psychiatrie », branche étrange de la médecine traitant d’une vulnérabilité de l’homme dont on peine à comprendre les origines aujourd’hui encore, ne soit le « baudet » misérable... Dans l’intervalle beaucoup a été fait pour aboutir aujourd’hui à ce que le sujet, adulte ou enfant, atteint de troubles mentaux trouve place au sein de la société, éventuellement en étant reconnu aujourd’hui comme porteur

d’un handicap psychique. L’heure est à la déstigmatisation, entreprise socié-tale de transformation en profondeur des représentations de la maladie mentale et de sa possible dangerosité.

On ne peut a priori que souscrire à une telle conception mais alors pourquoi tant d’inquiétudes dans le monde psychiatrique ? Au-delà des querelles de pouvoir, des problèmes économiques, des rejets catégoriques par certains de modèles de compréhension psychopathologiques, en particulier ceux sous-tendus par cette science du XIXe siècle qu’est la psychanalyse, au profit d’une conception neuroscientifique il n’en reste pas moins que le recours à la psychiatrie demeure et même s’accroit dans nos pays développés posant un réel problème politique, social et bien entendu économique. Nombre de troubles mentaux sont des affections au long cours et leur « prise en charge » est coûteuse pour le système de Sécurité Sociale. L’accompagnement des patients « hors les murs » nécessite des moyens humains importants en personnel soignant formé et soutenu dans sa mission par des échanges interprofessionnels nourris autrement que par la lecture du dossier patient informatisé. Un réel travail en commun avec tous les acteurs des sphères administratives, politiques, sociales et médicales est indispensable. Or la psychiatrie qui ne peut comme certaines autres disciplines médicales s’appuyer sur des changements techniques d’importance (comme par exemple la chirurgie ambulatoire) souffre plus que celles-ci des de la politique de maitrise des coûts. Les « moyens » de la psychiatrie sont principalement humains, hommes et femmes qui aujourd’hui expriment régulièrement la difficulté de leur travail, leur sentiment d’épuisement et souffrent de ne pas être entendus. Le recours aux pratiques de contention et d’isolement en est sans doute le reflet; si les abus sont légitimement décriés par les services du Contrôleur Général des Lieux de privation de Liberté, il faut aussi examiner le recours à ces pratiques à la lumière de la diminution des effectifs médicaux et soignants trop peu nombreux et souvent débordés face à des situations d’encombrement en milieu hospitalier, d’alourdissement des files actives en ambulatoire. La psychiatrie et ses acteurs souffrent sans aucun doute de la suspicion qui peut venir les frapper alors que leurs difficultés ne sont pas reconnues.

C’est ce même sentiment qu’expriment les familles à qui reviennent souvent le poids de l’accompagnement de leur enfant ou de leur proche. On retrouve là la question de la dépendance qui n’est pas seulement celle de la personne âgée, mais aussi celle de l’enfant malade ou handicapé, celle du malade mental adulte qui n’a pas acquis suffisamment d’autonomie. C’est sans doute ce poids qui entraîne chez certains un sentiment de colère contre ces « psy » qui ne peuvent remédier aux maux de leur enfant, colère qui hélas prend parfois la forme d’un rejet sans appel de la profession. Il est regrettable que certaines paroles ministérielles, certes reconnues secondairement comme « malheureuses », viennent valider cette colère. De même le traitement médiatique de la question, trop souvent tourné vers une surcharge émotionnelle marquée par l’immédia-teté de l’actualité. Récemment une grande chaîne de télévision a organisé une émission intitulée « psychiatrie : le naufrage » à laquelle participait la Ministre des Solidarités et de la Santé qui a bien identifié les problèmes et nous dit tenter d’y porter remède. Néanmoins, les acteurs de la psychiatrie qui ont suivi cette émission ne se sont sans doute pas, comme je l’ai été moi- même, reconnus dans le portrait qui

était ainsi tracé de leur travail. Le « psychiatrie bashing » fait recette ! et tout particulièrement en pédopsychiatrie. Les polémiques incessantes autour des troubles du spectre autistique et plus généralement des troubles neuro- développementaux, les plans qui se succèdent et peinent à trouver un consensus en sont le reflet.

Il est, fort heureusement, un sujet sur lequel l’accord de tous est acquis : que le malade mental, le sujet handicapé adulte ou enfant ne soit pas relégué dans des lieux où menace la chronicisa-tion, une fois encore faute d’un environnement soignant suffisamment adapté, que ces lieux soient sanitaires ou médico-sociaux. La politique inclusive, si elle se décrète, est difficile à mettre en place d’une manière qui ne soit pas un « bluff » comme l’a récemment dénoncé un député à propos de la scolarisation des enfants handicapés. Parmi toutes les questions brûlantes qui parcourent le monde de la psychiatrie, la formation des acteurs du soin, la prévention la plus précoce des vulnérabilités psychiques et neurodéveloppe-mentales de l’enfant, la prévention des rechutes, la mise en place d’une réelle pluridisciplinarité des approches sans anathème visant telle ou telle, on pense ici bien sûr à la psychanalyse, sont à souligner. De l’avis général la non spécialisation au cours des études générales d’infirmier au métier d’infirmier psychiatrique constitue une difficulté certaine de l’adaptation des nouveaux promus à ce métier où doivent se mêler étroitement compétences somatiques et psychologiques. Préoccupante aussi pour le futur la nouvelle grille de formation des internes en psychiatrie. Elle introduit très, trop précocement, l’orientation vers des surspécialisations telles que la pédopsychiatrie ou la psychiatrie du sujet âgé. Le « droit au remords » ne semble pas être prévu. La durée de l’internat est portée à cinq ans pour la pédopsychiatrie qui aboutit par ailleurs à un exercice exclusif; quand on connait la difficulté de cette discipline (qui implique une bonne connaissance de la psychopathologie générale et des liens très étroits avec tous les partenaires qui gravitent autour de l’enfant) on peut craindre de voir encore se raréfier cette formation spécifique. Depuis de très, trop, nombreuses années, la psychiatrie souffre de politiques publiques qui n’ont pas su répondre suffisamment bien à ses particularités et au fait que la maladie mentale, et plus globalement la souffrance psychique, en dépit de tous les progrès que les connaissances neuroscientifiques, neuro-psychologiques, génétiques, environnementales, sociologiques apportent et apporteront à sa compréhension, échappe encore, et peut être continuera d’échapper du fait de sa spécificité bio- psycho-sociale à une logique de rationalité du soin. Le coup par coup, le nombre important de rapports, de commissions, de plans spécifiques qui se sont penchés sur la question sans résultat probant, contribuent à ce que se développe ce sentiment de perte de sens pour eux-mêmes et d’incompréhension par leurs interlocuteurs qui peut assaillir les professionnels de la discipline. N’oublions pas que « le soin est un humanisme » (Cynthia Fleury), et le soin psychique tout particulièrement, et que c’est ce que nous devons défendre. La fable se termine par la morale bien connue « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Faisons en sorte que la psychiatrie ne soit pas du côté des misérables... mais qu’au contraire elle fasse l’objet de toute l’attention des puissants. ■

LIENS D’INTÉRÊT

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


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