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Editorial
Numéro
Perspectives Psy
Volume 57, Numéro 3, juillet-septembre 2018
Page(s) 163 - 165
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2018573163
Publié en ligne 22 mars 2019

Les fondateurs de la pédopsychiatrie dans la seconde partie du XXe siècle ont imaginé qu’on pouvait instaurer une pratique médicale qui aborderait les enfants des autres dans un type de relations très spécifique et très différent des usages dans les professions traditionnelles de l’enfance.

Ils nous ont légué :

  • le droit de traiter presque d’égal à égal entre adulte et enfant sans visée éducative ou pédagogique, en dehors du type de rapport habituel entre adultes et enfants.

  • la représentation des enfantillages comme des choses sérieuses, le jeu spontané comme une expression de la condition enfantine parfois même du tragique de sa condition, le dessin comme discours autobiographique.

  • la permission de rencontrer la personne de chaque enfant en deçà de son comportement, de partager son vécu existentiel d’aller le chercher dans ses opinions, croyances, certitudes et doutes, angoisses plus ou moins formulables et peurs plus ou moins enfantines.

  • la possibilité de traiter l’enfant à la fois comme un petit d’homme en cours de construction mais aussi déjà comme un petit homme vivant avec ses moyens d’enfant les problématiques de toute l’humanité : sens de la vie, sens de la mort, destin de l’amour et autres bricoles philosophiques.

Pour soutenir ces positions les pédopsychiatres ont eu besoin de se forger une représentation de l’enfance assez différente de celle des autres métiers. Ils nous ont laissé un portrait qui s’est maintenu à travers les modifications de références scientifiques et les évolutions des mœurs, en se situant en permanent décalage avec les représentations des autres professionnels du champ.

L’enfant de la pédopsychiatrie ce n’est pas l’enfant des sciences de l’éducation même s’il doit comme tous les enfants performer et apprendre. Ce n’est pas l’enfant de Jules Ferry ou de ses successeurs qui aspire à la citoyenneté républicaine. Le portrait n’est pas celui de l’écolier type sur sa trajectoire avec son passage progressif de l’état de nature à l’état de culture via les initiations, les imitations, les apprentissages, dans un cadre voulu et orienté par l’adulte éducateur. Ce n’est pas l’enfant d’Yves Duteil « qu’on prend par la main pour l’emmener vers demain ». Il ne se réduit pas non plus uniquement à l’enfant de la psychologie génétique de Piaget qui grimpe l’escalier des stades développementaux selon des lois maturatives intrinsèques qu’il s’amuse parfois à bousculer sous l’effet de sa pathologie. Ce n’est pas le petit être neuro-développemental précablé que peignent les constructivistes et qui suit une route montante en lacets, entre équipement neurophysiologique de base et rencontre avec l’environnement. Ce n’est pas tout à fait non plus, du moins pas exclusivement, l’enfant des psychanalystes sujet de son désir menant sa barque au fil du fleuve libidinal avec ses tourbillons conflictuels, ses barrages et leurs retenues, ses défilés torrentueux.

L’enfant de la pédopsychiatrie tel qu’il a été esquissé à l’origine de la discipline est un petit de l’espèce humaine, être sexué qui travaille à partir de son équipement à la naissance, et même avant, pour domestiquer son potentiel biologique. Il investit ses équipements et peu à peu les intègre pour gagner la possibilité de bouger, penser et exprimer ses émotions. Il s’occupe à endiguer tous ses tumultes intérieurs car toute évolution suppose des tensions, des transformations, des conflits, des progressions, des régressions. L’enfant que se représente le pédopsychiatre est un enfant qui joue, qui rêve et qui joue à rêver. C’est une personne en période d’enfance, qui peu à peu va devenir capable de remplir les rôles sociaux que les adultes attendent de lui. Cela au prix d’un travail psychique que lui demande son métier d’enfant avec la nécessaire mise en place d’une frontière entre le monde externe qu’il a à découvrir et à construire, et son monde interne qu’il lui faut reconnaître comme sien. Cette personne en devenir, elle va accomplir plus ou moins aisément son métier d’enfant dans sa famille, son métier d’élève dans son école, c’est ce que nous avons à évaluer quand nous le rencontrons.

La pédopsychiatrie décrit un enfant qui se fraie un passage à travers les lois de la nature dans l’enfance, en construisant dialectiquement sa personnalité entre les exigences naturelles de son état d’enfance, et les contraintes culturelles de son statut d’enfant. Aujourd’hui cette représentation a tendance à s’estomper.

Notre société technique exige des référentiels scientifiques, des outils d’évaluations et de quantifications qui ne mentionnent ni le jeu ni le rêve, des mises en forme statistiques qui risquent d’effacer les singularités. Cette orientation correspond à la sensibilité contemporaine, mais il ne faudrait pas, qu’elle fasse oublier le coté anthropologique de notre métier d’autant que la demande sociale évolue dans ce sens. L’objectif de notre discipline se modifie. Nous sommes passés insensiblement de médecins des enfants fous à la fonction de spécialistes de l’enfance ordinaire. La conception de santé mentale associée à celle de souffrance psychique nous a conduits ainsi à estomper et à élargir les limites de notre champ au risque d’y perdre cette spécificité, cette originalité, cette pratique hors représentation dominante que nous ont transmis nos aînés.

Quand dans une rencontre inter-services, l’équipe pédopsychiatrique pour être comprise de ses partenaires, finit par adopter le langage et le point de vue des autres professionnels de l’enfance, elle risque de perdre tout simplement sa raison d’être. Elle tient un discours normatif, éducatif, de bientraitance, de pédo-protection… Tout cela est certes socialement utile, parfois même prioritairement nécessaire, mais ce n’est plus l’essence de la pédopsychiatrie.

Chaque acte en pédopsychiatrie nous rappelle que si notre activité est scientifique, notamment en évaluant la situation de cet enfant-là, à ce moment-là, par rapport aux lois du développement naturel de l’enfance, elle est aussi une rencontre culturelle entre des adultes qui ont chacun leurs propres représentations légitimes de ce que doit être et de ce que doit faire un enfant à leurs yeux. Une grande partie du tra vail pédopsychiatrique consiste en une négociation autour de la représentation de l’enfant et de ses rôles sociaux. Que valent nos évaluations, nos bilans, nos échelles, nos nuances nosographiques, face à la représentation mentale des adultes qui consultent pour cet enfant et qui ont leurs certitudes sur ce que devrait être leur rejeton ou leur élève ? Dans l’atmosphère scientiste qui prévaut ces temps-ci et qui risque d’effacer le scandaleux portrait de l’énigmatique enfant de la pédopsychiatrie souvenons-nous d’une remarque de J.B. Pontalis (1979) « lorsque l’enfant paraît, il n’en finit pas de paraître, chacun a son mot à dire... On dirait que l’enfant a pour fonction de déconcerter tout savoir sur lui. »

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


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