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Numéro
Perspectives Psy
Volume 50, Numéro 1, janvier-mars 2011
Page(s) 10 - 12
Section Hommages
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2011501010
Publié en ligne 24 mai 2011

Didier-Jacques Duché, dont la place dans le développement de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est éminente, est mort le 5 décembre 2010 dans sa 95e année. Il a été enterré après une cérémonie religieuse très émouvante à l’église Notre Dame de Grâce de Passy, où, parmi d’autres, un de ses enfants, prêtre, et un autre, psychiatre, lui ont rendu hommage en présence d’une assistance particulièrement nombreuse.

C’est évidemment une très grande perte pour sa famille, pour son épouse, pour ses 9 enfants, ses petits-enfants et arrière-petits-enfants ; une très grande perte pour ses amis et bien entendu pour tous ses élèves, particulièrement nombreux, pour qui il représentait, en tout cas pour un certain nombre d’entre eux, un véritable père.

Avant de parler de sa vie, de ses activités et de son action professionnelles, particulièrement riches et déterminantes, puis des très exceptionnelles qualités de l’homme, évoquons d’abord quelques éléments biographiques. Dans ce registre, il est important de noter déjà deux points : la mort de son père à l’âge de 7 ans et demi et le fait qu’il a été en 1944 l’externe du Pr Georges Heuyer, dont il disait volontiers qu’il avait rencontré là une figure paternelle décisive pour lui et dont il n’est pas besoin de rappeler le rôle fondateur, en France et dans le monde, en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Remarquons que, pendant la Deuxième Guerre mondiale, Didier-Jacques Duché, mobilisé dès le 16 septembre 1939 dans le service de santé, a été fait prisonnier puis s’est évadé au bout de quelques jours, s’est engagé volontairement en décembre 1942 et a été actif dans la résistance comme agent du réseau Samson de juin 1942 au 18 décembre 1944, comme l’a rappelé le Pr G. Natali de l’Académie de Médecine lors de l’enterrement. Il s’est ensuite marié avec Marguerite-Marie, devenue orthophoniste dans son service, a eu 10 enfants, dont le premier, une fille, est morte dans l’enfance, événement dont il disait volontiers qu’il l’avait énormément marqué dans sa vie personnelle et professionnelle.

Didier-Jacques Duché était pédiatre de formation et a notamment été l’élève des Professeurs Lamy, Turpin et R. Laplane dont il fut l’assistant. Interne en 1948 du Dr Jenny Aubry qui avait aux Enfants-Malades un service de pédiatrie déjà très orienté vers la psychiatrie de l’enfant, il a été poussé par elle à avoir une formation psychanalytique et a alors entrepris une analyse avec Jacques Lacan. Il fut ensuite l’assistant, en même temps que Y. Le Moal et S. Lebovici, puis l’adjoint de Georges Heuyer aux Enfants Malades puis à la Salpêtrière, devenu le siège de la première chaire européenne de psychiatrie de l’enfant, créée en 1948 à la Faculté de Médecine de Paris et précisément confiée à Georges Heuyer.

Didier-Jacques Duché est donc devenu lors de la retraite de Georges Heuyer l’adjoint du Pr Léon Michaux avant de devenir lui-même de 1970 à 1985 le chef du service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à La Salpêtrière. Il y a contribué à la création d’un nouveau service devenu le remarquable instrument de travail que l’on sait avec centre de consultation et de traitement ambulatoire, psychothérapique, orthophonique, de psychomotricité, et unités d’hospitalisation de jour et à plein temps, notamment en urgence, bénéficiant de la collaboration d’une équipe pluridisciplinaire très motivée et de la présence sur place d’une école et d’enseignants, ce jusqu’en 1985 où il a pris sa retraite hospitalo-universitaire. C’est cette même année d’ailleurs où il est entré à l’Académie de Médecine sensibilisant toujours plus ses collègues de l’Académie à l’importance de la santé mentale dans l’enfance et l’adolescence. Parallèlement, il a contribué à créer ou à développer la formation dans le domaine de l’orthophonie et de la psychomotricité, mettant en place des formations spécifiques à la Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière à la suite de l’éclatement après 1968 de l’ancienne faculté de médecine de Paris en 11 facultés de médecine en région parisienne.

Sa contribution à la Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent a évidemment été nationale. Il a organisé ou participé à de très nombreux congrès, colloques et journées scientifiques, notamment dans le cadre de la Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent dont il a été secrétaire général et président, étant par ailleurs rédacteur en chef de la Revue de Neuro-Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, organe de cette société, pendant de très nombreuses années. Très intéressé par la recherche clinique, il a été responsable d’une unité de recherche Inserm. Sur un plan plus général, il a bien entendu participé à la séparation de la neurologie et de la psychiatrie en 1969, puis à l’individualisation de le psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent par rapport à la psychiatrie d’adulte et pour la création d’intersecteurs de psychiatrie dite infanto-juvénile.

Il a eu aussi d’importantes responsabilités et initiatives au plan international, comme par exemple secrétaire général de la IACAPAP (International Association for Child and Adolescent Psychiatry and Allied Professions), comme vice-président de l’Union Européenne des Pédopsychiatres (ESCAP) ou bien grâce à de nombreuses missions à l’étranger et ses relations privilégiées avec les collègues européens et dans le monde.

Ses intérêts et ses publications ont porté sur tous les champs de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Sans doute faut-il citer plus particulièrement son intérêt pour l’énurésie, au sujet duquel il a fait sa thèse en 1950, sur les troubles de la parole et du langage, sur les troubles psychomoteurs, sur les tentatives de suicide de l’enfant, notamment avant la puberté, sur les conduites délinquantes, sur l’autisme et sur l’histoire de la psychiatrie de l’enfant (son dernier livre, très documenté, en 1990).

Très grand clinicien, il aimait beaucoup son travail de consultation, de suivi et d’abord psychothérapique des enfants et des adolescents qu’il voyait en consultation en se souciant beaucoup de toute la dimension d’accompagnement parental et de travail avec les parents. Autant sa pratique clinique que sa compréhension des troubles psychopathologiques de l’enfant et de l’adolescent et de son développement étaient extrêmement ouvertes et sans dogmatisme, se référant à un modèle intégratif biopsychosocial du développement bien avant une telle formulation, plus récente, à une époque où il avait du mal parfois à accepter la référence « tout psychanalyse » de collègues psychiatres d’enfants et d’adolescents dans la compréhension de l’étiologie et des mécanismes de troubles de l’enfant et de l’adolescent et dans l’affirmation trop systématique et dogmatique selon lui du rôle pathogène des parents.

Il est évidemment important de parler des qualités exceptionnelles de l’homme tel qu’il apparaissait à ses collaborateurs, dont j’ai eu le plaisir de faire partie pendant de nombreuses années comme interne, chef de clinique, PUPH adjoint jusqu’à son départ en retraite en 1985 puis son successeur comme chef de service quelques années après. C’était un homme d’une grande culture générale sur tous les plans, de la musique, de la peinture, mais plus particulièrement de la littérature. Il n’est pas inutile de rappeler que sa mère fut une romancière et illustratrice de livres pour enfants fort connue et très appréciée à son époque. C’est ainsi qu’il évoquait souvent son intérêt pour Balzac, Zola, Flaubert, Proust. Ses intérêts étaient multiples, il aimait dessiner, faire des « gribouillages ». D’ailleurs lors de réunions dans son service, tout en étant extrêmement attentif, il « gribouillait ». Dans ses relations professionnelles, il est apparu toujours particulièrement chaleureux, généreux, très empathique à l’égard des enfants et des parents, mais bien entendu aussi avec ses collaborateurs, ses élèves. Pour beaucoup, il représentait d’une certaine manière un maître, un père, très soucieux de transmettre ce qui lui paraissait important dans notre pratique de psychiatre d’enfants et d’adolescents, en référence de manière plus générale à une véritable éthique et morale professionnelles soucieuses du respect de l’autre. On peut dire ici que Didier-Jacques Duché a toujours montré l’élégance, la modestie et l’humanisme des plus grands.

Il a eu de très nombreux élèves tant dans le milieu universitaire que de manière plus générale dans le domaine de la psychiatrie publique ou libérale tant il était actif, soutenait, aidait ses élèves. On comprend donc que la disparition de Didier-Jacques Duché soit une véritable perte pour eux comme elle l’a été pour ses amis et sa famille.


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