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Editorial
Numéro
Perspectives Psy
Volume 49, Numéro 4, octobre-décembre 2010
Page(s) 277 - 279
Section Editorial
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2010494277
Publié en ligne 15 octobre 2010

En application de la très controversée Loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoires », dite Loi Bachelot, voir éditorial de Perspectives Psy nº 2/2009 (Guilé, 2009), paraissait le 20 mai 2010 le décret relatif à l’usage du titre de psychothérapeute en France1. Très attendu depuis la loi du 9 août 2004, ce décret a pour objectif de préciser qui peut faire usage du titre de psychothérapeute. Globalement selon le tableau annexé au décret, les psychiatres peuvent de droit faire usage du titre, les psychologues, cliniciens ou non, les médecins non psychiatres, les psychanalystes et les autres professions (qui peuvent être du « tout venant ») doivent pour y avoir accès suivre des heures d’enseignement supplémentaires et quelques mois de stage dont l’importance est variable selon les catégories considérées.

D’emblée, le texte est décrié par des dizaines de groupements en psychologie et dans le champ de la santé mentale, du fait de multiples confusions et imprécisions. Confusions, car le texte mêle de façon ambiguë les professions avec titres (médecins, psychologues) et les professions sans titre (psychanalystes), 1. Décret n° 2010-534 du 20 mai 2010 relatif à l’usage du titre de psychothérapeute. les diplômes (doctorats, masters mention psychologie ou psychanalyse), des exigences en matière de formation initiale (psychologie, psychiatrie, médecine hors psychiatrie) ou simplement une inscription à un annuaire professionnel (psychanalystes), voire aucune formation initiale du tout. Imprécisions, car les commissions devant statuer sur les candidatures ne sont pas précisées dans leur composition ni dans leur fonctionnement. Également ne sont pas précisés les critères d’habilitation des structures pouvant donner les cours complémentaires le cas échéant, laissant supposer que des organismes privés pourraient subvenir aux besoins. Mais l’ire des psychologues (particulièrement les cliniciens) vient également du fait qu’implicitement, ce décret situe la pratique de la psychothérapie du côté de la médecine, puisque seuls les psychiatres sont psychothérapeutes « de fait », alors même que les psychothérapies sont également pratiquées par les psychologues cliniciens. Certes, Bernard Accoyer, interpellé sur ce point, et quelques lecteurs avertis sur le net, précisent que le décret ne vise qu’à une reconnaissance de l’usage du titre de psychothérapeute et que les psychologues sont tout à fait libres de faire des psychothérapies sans pour autant avoir à justifier de ce titre. La psychothérapie comme méthode peut être employée librement, mais l’usage du titre qui l’accompagne serait par contre réglementée. Situation paradoxale et ubuesque qui laisse à penser qu’il ne s’agit là que d’un argument mineur pour « éteindre les incendies » que ce décret a provoqués dans les rangs des spécialistes du psychisme non médecins, s’étant sentis injustement dépossédés d’une fonction jusque-là librement partagée avec leurs collègues psychiatres.

Bataille d’égos ? Corporatisme ? Pas vraiment, ou pas seulement en tout cas. En effet, le décret d’une part nie la réalité du travail du psychologue clinicien, très axé autour des suivis psychothérapeutiques en plus de l’évaluation de la dynamique psychique, et d’autre part laisse à penser que le niveau de connaissance en psychopathologie et en méthodes et recherches en psychothérapie serait insuffisants ou en tout cas moins importants que celui des psychiatres, ce qui n’est pas le cas. Si ce décret ne « désavouait » pas les psychologues cliniciens sur ces points, alors pourquoi leur demander d’effectuer une formation complémentaire composée de 50 heures en « critères de discernement des grandes pathologies psychiatriques », de 50 heures de « théories se rapportant à la psychopathologie », et de 50 autres heures concernant les « principales approches utilisées en psychothérapie » ? S’y ajoute dans le décret la nécessité d’effectuer deux mois de stage dans le champ de la santé mentale, alors que les psychologues cliniciens font déjà au minimum 16 mois de stage sur deux années consécutives dans ce champ.

Mais paradoxalement, le problème central et majeur de ce décret ne nous semble pas se situer dans ce qui pourrait être trop rapidement perçu comme une injustice faite aux psychologues au regard de ce qui est accordé aux psychiatres. En fait, l’incohérence totale du décret tient dans le fait que ni les psychologues cliniciens, ni les psychiatres ne sont réellement formés à la psychothérapie lorsqu’ils terminent leurs études. S’ils possèdent les connaissances théoriques nécessaires et les bases de l’entretien clinique, ce qui leur manque est une pratique spécialisée dans un champ psychothérapeutique donné. Autrement dit, là où l’on attendait au niveau du décret des détails sur une formation à la psychothérapie, on a des détails sur une formation à la psychopathologie, qui exclut la notion d’un réel apprentissage clinique spécifique. Là où l’on pensait que le décret, à l’instar d’autres pays européens, obligerait à une, deux ou trois années d’apprentissage spécifique de terrain et la nécessité d’acquérir des méthodes concrètes, on se retrouve avec quelques heures de cours en plus en sémiologie psychopathologique et de théorie générale. Immense désillusion et une incompréhensible logique du législateur qui pourtant a consulté des années durant des professionnels de terrain.

Autre problème de taille à la lecture du tableau annexé au décret et en écart avec la Loi HPST dont le décret est censé découler, le titre de psychothérapeute s’ouvre aux personnes qui n’ont aucune formation dans le champ de la santé mais qui pourraient néanmoins être employées pour « psychothérapeutiser » à l’issu d’heures d’enseignement dispensées dans des structures spécialement dévolues à cela ou à l’issue d’un simple diplôme universitaire. Cette « ouverture », en fait une régression (puisque la Loi devait conduire à une certaine protection des usagers), va permettre à des structures sanitaires et sociales d’embaucher pour cette seule fonction des parvenus de la psychothérapie, au mépris d’un corpus global de connaissance sur le psychisme humain pourtant nécessaire pour approcher l’autre en souffrance. Difficile de ne pas y voir une concurrence déloyale organisée à l’encontre des psychologues, dont l’importance de la formation sur 5 années est un peu plus ici remise en question. Aussi, la grande majorité des structures professionnelles qui réunissent les psychologues s’opposent à ce texte, et actuellement malgré la pression des directions universitaires locales, les enseignants chercheurs en psychologie s’opposent pour la plupart à la création d’un diplôme universitaire qui permettrait aux non psychologues et psychiatres d’acquérir le titre de psychothérapeute. Mais pour combien de temps ? Et tiendront-ils si de leurs côtés les facultés de médecine acceptent de former « à tout va » et ouvrent des cursus spécifiques ? Si un recours devant le conseil d’état a été déposé, il a peu de chances d’aboutir.

Au final, il nous semble pour notre part qu’il ne faut pas réclamer que les psychologues cliniciens rejoignent les psychiatres et soient de droit reconnus comme psychothérapeute. Pour le motif que nous avons exprimé : à la sortie des bancs universitaires, aucun étudiant de ces deux métiers n’a les compétences pour exercer la psychothérapie, même s’ils sont compétents dans la tenue d’entretiens à visée d’évaluation, de recherche, voire de thérapie de soutien. En revanche, il nous semble que nous devrions réclamer une abrogation du décret, pour ensuite mettre en place pour les psychiatres et psychologues qui le souhaitent un texte réglementant l’exercice du titre de psychothérapeute en partant d’une formation axée autour de la pratique, plus que sur la connaissance psychopathologique, qu’ils possèdent déjà. Cette formation devrait inclure une formation psychothérapeutique spécifique sur le terrain, adossée aux connaissances techniques attenantes et à la connaissance des recherches générales portant sur les psychothérapies et leurs effets. Une supervision dans l’apprentissage de la méthode psychothérapeutique devrait dans ce cadre être obligatoire. Plusieurs pays du continent européen ont franchi ce pas, pourquoi pas nous ? Cela mettrait un peu d’éthique autour de cette affaire, bien mal menée et qui ne présage pas grand chose de bon.


1

Décret n° 2010-534 du 20 mai 2010 relatif à l’usage du titre de psychothérapeute.

Références

  1. Guilé, J.M. (2009). Logique de performance et soins psychiques. Perspectives Psy, 48(2), 113-116. [Google Scholar]

© EDK, 2010

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