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Perspectives Psy
Volume 45, Numéro 3, juillet-septembre 2006
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Page(s) | 209 - 210 | |
Section | Editorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2006453209 | |
Publié en ligne | 15 juillet 2006 |
Les réseaux : pour quoi faire ?
Networks: for what to make ?
Psychiatre des hôpitaux, Médecin chef de l’intersecteur VI des Hauts de Seine, Ancien directeur médical de la clinique médico-universitaire Georges Heuyer, Paris, France.
Le bon professionnel est celui qui se débrouille seul des situations problématiques qui lui sont confiées ; ou qui ne recoure à d’autres que lorsqu’il est débordé. Que de dégâts engendrés par cette vision des choses ! Le mouvement accéléré de spécialisation et l’éclatement des métiers a conduit à ranger les « généralistes » au rang de figures du passé, autant dans le domaine de la santé que dans les autres champs professionnels. L’appréhension globale d’une situation et la cohérence des offres thérapeutiques deviennent quasi impossibles au profit d’un morcellement des réponses apportées chacune par un « spécialiste ». Même si elle y résiste davantage que d’autres, notre discipline n’échappe pas à ce mouvement, les sur-spécialistes de telle pathologie ou de telle modalité d’intervention thérapeutique pesant de tout leur poids pour drainer des crédits, des cohortes de patients venant renforçer le bien fondé de leur démarche. Pour eux, le « réseau » vient appuyer leur façon de voir, en donnant plus de poids aux messages qu’ils souhaitent faire passer. À l’opposé de cette manière de voir, se trouvent ceux qui estiment que la complexité de l’être humain et la faible connaissance que nous avons des mécanismes générateurs de ses dysfonctionnements devraient nous conduire à une modestie suffisante pour laisser toute leur place aux autres compétences, dans une alliance de réflexion, de recherche de compréhension et de mise en place de réponses, dans une dynamique adaptée à ce que le sujet en souffrance nous indique de son évolution. L’être humain étant encore de nos jours somatique, psychique, social, il va de soi, dans cette perspective, qu’il y a tout intérêt à associer les savoirs des professionnels de ces domaines. Le réseau, dans ces conditions, vient alors comme représentation d’un ensemble aux multiples facettes, chacune ayant son importance dans des proportions variées d’un sujet à l’autre, mobilisant du même coup des ressources diversifiées, loin d’un modèle univoque de réponse. Il permet idéalement la confection de réponses individualisées empruntant leurs ingrédients - dans un dosage à chaque fois unique - aux ressources du réseau. C’est ce type de modèle que j’avais pu mettre en œuvre dans l’Essonne à la fin des années 70, autour des problèmes de l’adolescence, avec les secteurs de psychiatrie générale, l’intersecteur de Tony Lainé, le service de pédiatrie de l’hôpital général d’Évry, l’éducation nationale, la PJJ 1… même si l’appellation « Maison de l’adolescent » n’était pas encore d’actualité ! Et l’on passe alors, en tant que professionnel ou en tant qu’équipe, du « je (on) m’(s’)occupe de tout de A à Z » à « je m’occupe de ce que je sais et peux faire, en lien avec ceux qui peuvent apporter une aide complémentaire utile ». Ce n’est plus eux ou moi, mais eux et moi. À défaut, l’exercice professionnel court le risque - et le fait courir aux patients -, de se mettre au service d’une réassurance quant au bien fondé de l’activité, les patients s’y soumettant ou se démettant… Mais tout dépend de la place que l’on accorde à l’altérité, de la reconnaissance que l’on a de nos limites et de nos imperfections, ce qui justifie la mise en commun et permet aux patients de faire avec leurs propres limites. De plus, en psychiatrie plus qu’ailleurs, nous sommes soumis aux risques de dé-liaisons, de clivages, en rapport avec les mécanismes psychopathologiques de nos patients. D’où l’importance des liens que nous établissons entre nous - et de leur qualité - pour supporter ces mouvements et permettre qu’ils soient mis au travail et élaborés.
Ce n’est sans doute pas un hasard si les premiers réseaux sont apparus à l’initiative de professionnels confrontés aux questions de l’autisme, des addictions, de la périnatalité, de l’émergence psychotique, de l’adolescence, de la précarité…, c'est-à-dire là où la complexité des problèmes, la pluralité des facteurs et des niveaux impliqués condamnent les interventions isolées à des résultats partiels et transitoires au mieux. C’est ce que nous avons pu créer à Paris dans la partie centre-est sous forme d’un réseau de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent impliquant la clinique universitaire Georges Heuyer, le service de psychiatrie de la Pitié-Salpêtrière, le 1er intersecteur de Paris, l’ASM 13, les CMPP Étienne Marcel et de l’OSE…, et dans l’ouest de la même ville entre la clinique médico-universitaire Georges Heuyer, la clinique Edouard Rist, les équipes des secteurs de psychiatrie desservant le 16e arrondissement, ainsi que le CMPP Claude Bernard et le CAPP Molitor (le Groupement des professionnels de santé pour les adolescents du 16e : GPS Ado 16 !). Ou encore le réseau pour les adolescents des Hauts de Seine (RESADO), celui consacré à la périnatalité dans le même département, le réseau PREPSY en Ile-de-France… Reste pour ces dispositifs humains fragiles, car dépendant souvent de quelques éléments moteurs, à rester vivants, c'est-à-dire ouverts, perméables et évolutifs. L’officialisation de leur existence n’est pas toujours une garantie en la matière, les risques de l’institutionnalisation étant aussi importants que les avantages attendus en terme de financement et de reconnaissance. La clarté des objectifs définis, la dimension du territoire desservi, les apports pratiques pour les usagers et les professionnels sont, en termes de durée et d’investissement, des éléments tout aussi essentiels.
© EDK, 2010
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