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Perspectives Psy
Volume 56, Numéro 4, octobre-décembre 2017
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Page(s) | 299 - 302 | |
Section | Éditorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2017564299 | |
Publié en ligne | 18 mai 2018 |
Pédopsychiatrie et psychanalyse – Une seule et même crise ?
Child psychiatry and psychoanalysis – – The same one crisis?
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Pédopsychiatre-Psychanalyste (Membre de l’Association Psychanalytique de France)/Chef du service de Pédopsychiatrie de l’Hôpital Necker-Enfants Malades (Paris)/Professeur de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université René Descartes (Paris 5)/Inserm, U669, Paris, France
2
Université Paris-Sud et Université Paris Descartes, UMR-S0669, Paris, France
3
Membre titulaire du PCPP, EA 4056, Université Paris Descartes/Membre associé du CRPMS, EA 3522, Université Paris Diderot/Ancien Membre du Conseil Supérieur de l’Adoption (CSA)/Ancien Président du Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP)/Membre du Conseil Scientifique de la Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent et des Disciplines alliées (SFPEADA)/Président de l’Association Pikler Loczy-France/Président de l’Association pour la Formation à la Psychothérapie Psychanalytique de l’Enfant et de l’Adolescent (AFPPEA)/Président de l’Association CEREP/Phymentin/Président de l’Association Européenne de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent (AEPEA)/Président de la CIPPA (Coordination Internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes s’occupant de personnes Autistes et membres associés). Service de Pédopsychiatrie, Hôpital Necker-Enfants Malades, 149 rue de Sèvres, 75015 Paris, France.
À l’occasion du 50e anniversaire du Centre Alfred Binet, un hommage a été rendu en décembre dernier à quatre fondateurs de la Psychiatrie de l’enfant qui ont initié et/ou accompagné l’aventure du 13e « enfants » à savoir : Serge Lebovici, René Diatkine, Colette Chiland et Myriam David.
J’ai eu l’honneur d’introduire la matinée de ce Colloque émouvant et donc de dire quelques mots d’ouverture qui m’ont permis de rappeler ma double dette professionnelle personnelle : visà-vis de Michel Soulé tout d’abord qui m’a appris l’essentiel de ce que j’ai sais quant à la pédopsychiatrie psychanalytique, et vis-à-vis de Serge Lebovici ensuite que j’ai rencontré plus tardivement et qui m’a introduit, quant à lui, à la dynamique des institutions en me soulignant l’énergie et à la patience qu’il faut pour faire progresser telle ou telle idée au sein de celles-ci…
Quoi qu’il en soit de ce privilège incontestable que j’ai eu de m’inscrire, professionnellement parlant, dans cette double filiation prestigieuse, ce colloque a donné aux uns et aux autres l’opportunité de réfléchir à la crise que traverse actuellement la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, crise dont les racines sont certainement multiples et dont les effets n’ont pas certes pas fini, hélas, de se faire sentir.
Cette crise est suffisamment sensible pour avoir fait l’objet, récemment, d’un rapport d’information1 effectué – au nom de la mission d’information du Sénat sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France – par Mrs Alain Million et Michel Amiel (rapport n° 494 enregistré à la Présidence du sénat le 4 avril 2017), document pour la rédaction duquel nombre de professionnels ont été auditionnés parmi lesquels Marie Rose Moro et moi-même.
La crise de la pédopsychiatrie est de toute évidence pluri-déterminée, mais la crise de la psychanalyse y ajoute une dimension de gravité inédite et un germe de dangers plus que préoccupants.
La crise de la pédopsychiatrie
La psychiatrie des mineurs, ou pédopsychiatrie, se trouve actuellement, en France, dans une situation véritablement sinistrée.
Il est évidemment grand temps de redresser la situation au risque de voir disparaître, purement et simplement, cette discipline pourtant garante d’une attention particulière au développement de la personne.
On constate aujourd’hui un certain nombre de dérives et d’illusions scientistes qui se font au détriment de la question de la souffrance psychique quotidienne, et les attaques contre la psychanalyse affaiblissent, finalement, la pédopsychiatrie dans son ensemble. La pédopsychiatrie, comme la psychiatrie, doit évidemment demeurer une discipline rattachée à la médecine, mais elle n’est cependant pas une discipline strictement « MCO » (Médecine, Chirurgie, Obstétrique) en ce sens qu’elle comporte aussi une dimension narrative (au même titre que l’histoire). À l’interface des sciences expérimentales et des sciences narratives, elle implique une approche complémentariste (dans l’optique des travaux de G. Devereux, 1967, 1980, 1998) qui doit se traduire à la fois dans sa clinique, dans son organisation fonctionnelle, dans sa modélisation théorique et dans les méthodes de formation qui conduisent à la profession de pédopsychiatre.
La crise de la psychanalyse
Chacun sait bien aujourd’hui la virulence des attaques envers la psychanalyse dans le champ de l’autisme.
Mais ces attaques vont en réalité bien au-delà, dans la mesure où elles visent en fait, plus profondément, le soin psychique en général voire les sciences humaines dans leur ensemble, sciences humaines dont la psychanalyse fait évidemment partie, ce qui est lourd de danger pour la liberté de penser tout simplement…
Quels liens alors entre la crise de la pédopsychiatrie et celle de la psychanalyse ?
Plusieurs hypothèses peuvent être évoquées pour rendre compte de la crise de la pédopsychiatrie :
• Une hypothèse sociologique tout d’abord
Cela concerne les modifications de la demande que la collectivité adresse aux psychiatres et aux pédopsychiatres. Les sociologues tels que J.-Y. Barreyre (2000) nous aident à repérer ce type de modifications progressives.
Il est clair par exemple qu’en France, la demande sociale dans les années 1960/70, à l’égard de la pédopsychiatrie, était une demande centrée principalement autour de la question du sujet, de sa souffrance et de ses conditions de soin, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
C’est dans cette perspective, que s’est déployé, me semble-t-il, tout le mouvement de sectorisation (en psychiatrie de l’adulte comme en psychiatrie de l’enfant) dont on sait par ailleurs qu’il renvoyait également à des objectifs égalitaires, et qu’il cherchait à tenir compte, pour lutter contre l’enfermement, de la terrible et douloureuse expérience concentrationnaire à laquelle la Seconde Guerre mondiale avait, hélas, donné lieu.
• Une hypothèse économique ensuite
La pression des laboratoires pharmaceutiques est énorme dans le champ de la psychiatrie adulte, privant d’ailleurs les enseignants d’une possibilité de transmission véritablement libre des connaissances, et la situation, si nous n’y prenons garde, risque de devenir identique dans le champ de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.
La honteuse expertise collective Inserm de 2005 sur « Le trouble des conduites » ouvrait ainsi délibérément la porte à une prescription élargie de psychotropes chez l’enfant dans une perspective dite « préventive » et ceci, avant l’âge de trois ans (alors que jusqu’à maintenant, les autorisations de mise sur le marché sont encore très resserrées en psychiatrie infanto-juvénile, ne serait-ce qu’en raison d’un principe élémentaire de précaution).
• Une hypothèse psychologique ou anthropologique, enfin
Il existe depuis longtemps une sorte de consensus tacite entre les medias et le grand public pour toujours évacuer la complexité qui nous confronte imman Il existe depuis longtemps une sorte de consensus tacite entre les medias et le grand public pour toujours évacuer la complexité qui nous confronte immanquablement à la question de la sexualité, de la souffrance psychique et de la mort.
Tout se passe alors comme si la pensée avait horreur d’elle-même, comme s’il existait, partout et toujours, une sorte de haine masochiste de la pensée envers elle-même.
• Mais une autre hypothèse retient actuellement mon attention
En repensant au Colloque du 50e anniversaire du Centre Alfred Binet, l’idée me vient en effet que la pédopsychiatrie souffre aujourd’hui de l’abandon progressif de ses fondements psychanalytiques.
La première génération de pédopsychiatres français a jeté les bases de cette discipline (la génération des fondateurs célébrés dans ce colloque), la deuxième génération a transmis ce socle initial de connaissances aux médecins, aux psychologues et autres professionnels impliqués dans le champ de l’enfance, la troisième génération enfin, celle d’aujourd’hui, se trouve désormais en mal d’identité car notre modèle pédopsychiatrique a la tentation de se calquer sur un modèle purement médical (monofactoriel, déductif et référé à une temporalité linéaire) en abandonnant le modèle psycho-pathologique (polyfactoriel, inférentiel et référé à la temporalité circulaire de l’après-coup).
Pourtant, dans le champ de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie, si nous renonçons à comprendre, c’est-à-dire à donner du sens, alors nous ouvrons un boulevard aux traitements psychotropes linéaires et monotones, nous nous privons de toute analyse psychopathologique complexe mais fascinante, et nous laissons libre champ à notre masochisme fondamental.
Ce n’est pas seulement l’existence d’une psychiatrie et d’une pédopsychiatrie authentiques qui se trouve, ici, mise en cause.
Il en va tout simplement du respect et de la dignité des sujets et des patients dont nous avons la responsabilité en tant que professionnels et soignants de la psyché. ╼
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Devereux G. (1967), De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Paris, Flammarion, 1980, rééd., Paris, Aubier Montaigne, 1998. [Google Scholar]
- Barreyre J.Y. (2000). Classer les exclus : enjeux d’une doctrine de politique sociale, Paris, Dunod. [Google Scholar]
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