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Perspectives Psy
Volume 52, Numéro 2, avril-juin 2013
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Page(s) | 125 - 126 | |
Section | Identifications et agressions sexuelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2013522125 | |
Publié en ligne | 21 juin 2013 |
Avant-propos : Identifications et agressions sexuelles
Foreword: Identification and sexual abuse
Professeur de Psychologie clinique et de Psychopathologie, UTRPP, Université Paris 13-Nord, Psychologue, expert judiciaire, Bourges (18), 10, rue de la Vallée, 18230
Saint-Doulchard, France
La clinique des agressions sexuelles d’enfants et d’adolescents (pédophilie, inceste) est aujourd’hui l’objet d’une attention particulière de la part des professionnels de l’enfance. Attention redoublée, mais également troublée, par la focalisation/fascination médiatique sur des cas d’exception dont la survenue dramatique sert de levier à des discours et pratiques de plus en plus sécuritaires au détriment d’une analyse quelque peu rigoureuse du problème et de la mise en œuvre de mesures psychosociales et judiciaires adaptées.
Qu’ont à dire les cliniciens sur la question qui soit audible par les autorités ? Du côté des agresseurs, la prise en compte des troubles de la personnalité, dont une éventuelle dimension perverse, qui sous-tendent généralement ce type de passage à l’acte, sert davantage la rhétorique répressive des procureurs et le rejet par les équipes de soins que la mise en œuvre de traitements psychiques cohérents. Du côté des victimes, la préoccupation essentielle concerne moins la prise en compte de leur souffrance psychique et des ses effets pathogènes que la recherche de son indemnisation dont la seule occurrence aurait des vertus apaisantes.
Pourtant, les travaux des cliniciens et des psychopathologues contemporains (Conférences de consensus, 2001 ; 2003), spécialistes de l’évaluation psychique et du traitement des différents acteurs de ces drames, nous montrent la complexité des phénomènes à l’œuvre. Sur le plan du fonctionnement mental individuel, la seule référence à un mode d’organisation perverse ne suffit pas à rendre compte des particularités des auteurs, alors que sur le plan du fonctionnement intersubjectif, il est nécessaire de prendre en compte la dimension familiale du « crime » ainsi que la répétition transgénérationnelle des passages à l’acte et des traumatismes sexuels et narcissiques cumulatifs. De ce point de vue, la centration sur les phénomènes d’identification à l’œuvre, dans leur double dimension intra – et intersubjective, offre des perspectives intéressantes qu’il faut cependant examiner attentivement.
La notion d’identification à l’agresseur est, on le sait, remise au goût du jour du fait de l’engouement contemporain pour les travaux de Ferenczi, lui-même sous-tendu par le réexamen de la question du traumatisme dans ses différentes versions (sexuelle/narcissique ; chaude/froide ; en plein/en creux, etc.). Mais ne risque-t-elle pas de devenir une explication linéaire simpliste risquant, comme Freud le craignait lui-même quand Ferenczi prononça sa conférence sur « La confusion des langues » en 1932, de colmater la complexité des processus psychiques à l’œuvre, la conflictualité interne, et d’opérer un retour à la Neurotica ? Dans les cas où elle est repérable, quels sont ses rapports avec d’autres mécanismes identificatoires comme l’introjection, l’incorporation, l’identification projective ? Et finalement, quelle est la spécificité du transfert et du contre-transfert dans le travail psychothérapique avec ce type de patients agresseurs et/ou agressés ? L’approfondissement de ces questions permettrait, souhaitons-le, une meilleure acuité des mesures préventives, diagnostiques et thérapeutiques auxquelles participent psychiatres et psychologues.
Le dossier, qui reprend certaines des communications du colloque « Identifications et agressions sexuelles » , organisé par l’UTRPP de l’Université Paris 13-Nord le 29 avril 2011, présentera 6 textes théoriques et cliniques sur cette problématique.
Françoise Neau propose une réflexion sur la notion d’identification à l’agresseur telle que conceptualisée par Ferenczi puis Anna Freud. À partir de deux cas, où les violences agies ont été précédées de violences subies, l’auteur montre comment, et dans quelles limites, ces deux conceptions différentes de l’identification à l’agresseur peuvent contribuer à éclairer des configurations et des processus psychiques distincts, par-delà le type d’acte commis.
Jean Yves Chagnon s’interroge sur les mécanismes identificatoires à l’œuvre dans les passages ou recours à l’acte à l’adolescence. À l’appui d’un exemple clinique dramatique rencontré dans un cadre expertal, il soutient l’idée selon laquelle le mécanisme d’identification à l’agresseur repose sur certaines formes d’identification projective, d’où le concept d’identification projective à l’agresseur. Ceci rendrait compte des phénomènes de dépersonnalisation et de désubjectivation qui sous-tendent le recours à l’acte où l’agresseur entre dans la peau d’un autre et où la victime vient incarner des parties de soi non subjectivées à dominer, écraser ou tuer.
François Pommier, à partir de l’histoire clinique d’un patient exhibitionniste suivi en psychothérapie analytique, se propose de montrer en quoi l’exhibition sexuelle peut être mise en rapport avec l’image idéalisée du père et comment s’effectuent les mouvements contre-transférentiels avec un tel patient. On voit à travers ce texte comment l’agresseur peut être aussi victime, et comment le patient transpose sur le praticien le scénario fantasmatique d’un extrême dénuement à l’image du modèle du peintre ou de l’enfant ébahi, double symbolique du père mort.
Hélène Parat traitera de la place des agirs incestueux entre perversion et perversité. Dans sa dimension fondamentale de transgression d’un interdit majeur, l’inceste peut sembler un paradigme de la perversion. Mais cette seule référence ne saurait rendre compte de la complexité des agirs incestueux. L’attaque ou le déni de la double dimension de la différence des sexes et des générations y est en effet sous-tendue par une confusion identitaire entre les protagonistes, une confusion identificatoire qui brouille les rôles et les genres.
Vladimir Marinov abordera la question de la transmission transgénérationnelle et du rôle de la mère dans les cas d’agressions sexuelles et d’inceste. Si celles-ci sont considérées classiquement comme une histoire à deux entre une victime et un agresseur, l’auteur suggère qu’elles impliquent au moins trois sinon quatre protagonistes. Quatre cas de cures analytiques d’adultes montreront la complexité des processus en jeu et les conditions qui, du côté maternel, ouvrent la voie à l’intromission d’un monstre pédophile rattaché à la voie maternelle ou paternelle. La clinique met également en évidence l’existence de recoupements entre abus sexuels, abus de substances et abus de pouvoir.
Alain Guérin étudiera le lien entre un traumatisme parental inaugural et la survenue d’« agirs violents » chez des enfants à la période de latence. Ce traumatisme parental, objet d’une transmission transgénérationnelle fortement marquée par l’incestualité, viendrait altérer et fragiliser la qualité des relations précoces favorisant ainsi l’apparition de conjonctures traumatiques. Une des conséquences de cette fragilité serait une atteinte narcissique et une exacerbation des mouvements destructeurs. L’auteur présente une situation clinique étayée par un entretien et des épreuves projectives témoignant des empreintes de la transmission de ce traumatisme.
Références
- Collectif (2001). Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agressions sexuelles (Conférence de consensus, 22 et 23 novembre 2001). Paris : John Libbey Eurotext et Fédération Française de Psychiatrie. [Google Scholar]
- Collectif (2003). Conséquences des maltraitances sexuelles (Conférence de consensus 5 et 7, novembre 2003). Paris : John Libbey Eurotext et Fédération Française de Psychiatrie. [Google Scholar]
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