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Editorial
Numéro
Perspectives Psy
Volume 52, Numéro 2, avril-juin 2013
Page(s) 121 - 124
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2013522121
Publié en ligne 21 juin 2013

Le troisième plan autisme 2013-2017 a été dévoilé début mai alors que, sur les 4 100 créations de places prévues lors du second plan (2008-2010), seulement 1672 étaient installées fin 20111. Le budget contraint qui accompagne ce troisième plan est bien en deçà des besoins recensés puisque le nombre de personnes concernées se situerait entre 400 000 et 600 000 et qu’entre 5 000 et 8 000 nouveau-nés par an seraient touchés par des troubles du spectre autistique. On peut mesurer la faiblesse des ambitions de ce plan, pour la petite enfance par exemple, à l’échelle de la création prévue à terme d’une unité d’enseignement en classe maternelle par département et de 30 postes d’enseignants à l’échelon national en 2014, alors qu’actuellement les Auxiliaires de vie scolaire qui accompagnent à l’école les enfants présentant des Troubles envahissants du développement attendent toujours un statut professionnel et une réelle formation.

Le plan met en avant le dépistage précoce et la mise en place dès 18 mois « d’interventions à visée éducative ». Quelles sont ces interventions et pour quel type de troubles ?

Le journal Le Monde rapportait le 2 mai 2013 les propos de Madame Carlotti, Ministre déléguée aux personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion : « En France depuis 40 ans, l’approche psychanalytique est partout et aujourd’hui elle concentre tous les moyens. Il est temps de laisser la place à d’autres méthodes pour une raison simple : ce sont celles qui marchent et qui sont recommandées par la haute autorité de santé… N’auront les moyens pour agir que les établissements qui travaillerons dans le sens où nous leur demanderons de travailler ». Il s’agit donc d’une immixtion du pouvoir politique dans le registre du soin et de l’éducation et cela sans nuances. Les recommandations visent les enfants et adolescents porteurs d’autisme et de troubles envahissants du développement, appelés par extension « troubles du spectre autistique », et recouvrant une multitude de situations très différentes qui, au cas par cas, demandent une approche spécifique, un projet individuel ne pouvant être réduit à l’application simple d’un programme éducatif – fut-il recommandé par la Haute Autorité de Santé.

Ces propos de la ministre et la construction du plan appellent d’emblée trois commentaires : sur la méconnaissance du travail du service public de psychiatrie, sur le manque de validité consensuelle des recommandations de la HAS, et sur les conflits d’intérêt mis en jeu.

La méconnaissance du travail sur le terrain

Nous observons depuis plusieurs années un refus de reconnaître la qualité des actions diagnostiques et thérapeutiques menées par les services et secteurs de psychiatrie infanto-juvénile. Par une volonté d’amalgame, les pratiques de la psychiatrie publique sont assimilées à la psychanalyse alors que ces services proposent majoritairement une pratique dite « intégrative », associant dans une optique multidimensionnelle actions thérapeutiques, éducatives et pédagogiques.

En nombre d’actes, c’est la troisième pathologie prise en charge par les services de psychiatre pour les tranches d’âge de 0 à 20 ans, après les troubles du comportement et les troubles instrumentaux et des apprentissages. Une statistique effectuée sur la base de données du RIMP 2010 évalue à 375 353 les actes et journées d’hospitalisation réalisées par ces services auprès de jeunes atteints de TED.

Le plan autisme ignore superbement cette activité ; seules sont comptabilisées les places en établissement médico-social. Aucune mesure n’est prévue pour les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile dont le rôle est réduit au dépistage de première ligne au côté des CAMPS et CMPP. En dehors d’une subvention de 3 millions d’euros pour renforcer les centres de dépistage complexe, il ne comprend aucune mesure sanitaire. Il est entièrement dédié au secteur médico-social et à l’éducation (195 millions d’euros).

Les communiqués de la Société de l’Information Psychiatrique (SIP), du Syndicat des psychiatres des Hôpitaux (SPH) et du Comité d’Action Syndicale de la Psychiatrie (CASP) soulignent cette défiance dont fait preuve le gouvernement vis-à-vis de son propre service public.

Des recommandations qui ne font pas consensus

Quelques conclusions simplificatrices sont tirées des recommandations de la HAS de mars 2012 : il faut appliquer uniquement les programmes éducatifs, ABA de préférence, qui auraient fait les preuves de leur validité scientifiques.

Or dans ces mêmes recommandations la page de garde indique bien que : « Les Recommandations de Bonne Pratique sont des synthèses rigoureuses de l’état de l’art et des données de la science à un temps donné, décrites dans l’argumentaire scientifique. Elles ne sauraient dispenser le professionnel de santé de faire preuve de discernement dans sa prise en charge du patient qui doit être celle qu’il estime la plus appropriée, en fonction de ses propres constatations ».

Le praticien exerçant son discernement doit prendre en compte le fait que ces recommandations ne font pas l’unanimité. Plusieurs associations scientifiques de psychiatres et pédopsychiatres, et non des moindres, ayant répondu à la consultation publique précédant la publication des recommandations ont constaté que leurs réserves n’avaient absolument pas été prises en compte. Les recommandations appuient leur légitimité sur une méthodologie : « la méthode de recommandation par consensus formalisé ». À défaut de consensus, il reste une pseudo « vérité scientifique » : les publications formatées EBM sur les thérapies cognitivo-comportementales. Il faut savoir que les recommandations de bonne pratique reposent sur deux documents : un argumentaire scientifique de 340 pages, et une synthèse de 60 pages.

La méthodologie et la partialité de ces recommandations ont été récemment mises en cause. Tout d’abord par la revue Prescrire – dont on ne peut mettre en doute la légitimité scientifique – qui, dans son numéro d’avril 20132 a analysé le guide et est arrivé à la conclusion qu’il reflétait surtout des désaccords sans consensus. En effet, 53 participants ont émis des désaccords (complets ou partiels) ou des réserves sur la méthode d’élaboration et sur certaines recommandations, dont 12 membres parmi les 24 du comité d’organisation. Dans l’argumentaire de 340 pages, 70 présentent l’intérêt des techniques dites cognitivo-comportementales, 32 pages sont consacrées aux traitements médicamenteux, et 3 pages aux interventions personnalisées, globales et coordonnées fondées sur une approche psychanalytique ou sur une psychothérapie institutionnelle. La rédaction de Prescrire conclut : « Les recommandations de ce guide ne reflètent que l’opinion des spécialistes des méthodes cognitivo-comportementales. Mieux vaut ne pas se laisser Ieurrer par un faux “consensus” ».

D’autre part Régine Castaing a analysé la méthodologie de la partie cognitivo-comportementale de l’argumentaire de la HAS3 et met en relief un certain nombre de contre-vérités et de déclarations mensongères sur la validité scientifique de ces méthodes. En outre, même si les techniques de renforcement aversif des comportements ont été abandonnées, il n’en demeure pas moins qu’il y a eu une  plainte de parents pour maltraitance4 dans la structure modèle de Villeneuve d’Asq. Deux associations d’adultes autistes se sont constituées en Amérique pour dénoncer la maltraitance physique et psychique subie quand ils étaient soumis à la méthode ABA durant leur enfance. Laurent Mottron, chercheur canadien qui travaille avec des autistes de haut niveau comme Michelle Dawson, conteste également ces méthodes.

L’analyse des publications de Lovaas et son équipe, qui ont initié la méthode ABA, montre une efficacité très relative et uniquement sur des sujets sélectionnés, principalement des autistes de haut niveau. Lovaas lui-même écrit en 2002 : « Nous estimons que les résultats de retour au développement normal obtenu par l’application de la méthode dans ces conditions, si le traitement est complet (intensif) et véritablement administré, seraient inférieurs à 10 % ».

Régine Castaing cite ensuite dans son texte des études anglaises et canadiennes qui relativisent largement le triomphalisme affiché par la synthèse de la HAS.

Pourquoi cette volonté d’imposer exclusivement ces méthodes, pourquoi un ministre se permet-il de parler de « méthodes qui marchent » au risque, au pire de tromper la population et, pour le moins, de déstabiliser des familles fragiles et en souffrance qui s’adressent au service public dont on a l’impression qu’il est désavoué ? Pour aller plus loin dans notre réflexion demandons-nous à qui cela profite.

Une marchandisation de la souffrance

Brigitte Chamak, sociologue et neurobiologiste (chercheuse Inserm/CNRS et université Paris V) est responsable scientifique du projet « Vie sociale des neurosciences : le rôle des associations de patients ». Elle dénonce des stratégies de marketing, des conflits d’intérêt visant à détourner vers le secteur privé des moyens du service public5. Le manque de moyens pour prendre en charge de nombreux enfants autistes permet au marché privé de l’accompagnement de l’autisme de se développer : « une aubaine pour les psychologues comportementalistes qui, par l’intermédiaire des associations s’assurent une clientèle mais aussi pour les établissements privés de gestion qui étendent leur influence… d’autres anciens présidents ou membres d’association de parents fondent leur société de gestion d’établissement ». Ces personnes qui veulent créer des établissements privés et qui connaissent le cadre étriqué du budget de l’assurance maladie, veulent que le financement accordé aux établissements publics leur revienne. On comprend alors les tenants et aboutissants de ces campagnes de dénigrement qui sont soutenues par des budgets de communication professionnels : voir à ce sujet les films réalisés contre le packing, les affiches contre la thérapie en pataugeoire, etc.

Ils obtiennent le soutien de personnalités politiques en campagne électorale6 ainsi que celui d’une presse en mal de sensationnel : quel intérêt y aurait-il à parler des structures de soins du public qui marchent et dont les familles sont satisfaites alors qu’il est plus médiatique de dénoncer le « scandale français ».

Conclusion : mobilisez-vous

Refusons les amalgames malsains : On nous parle du retard de la France dans la prise en charge de l’autisme. Il est réel mais par manque de moyens : de nombreux enfants, adolescents et adultes autistes sont presque entièrement à la charge de leur famille ou doivent trouver une structure d’accompagnement en Belgique. Sur les 4 100 places prévues dans le plan 2008-2010, 2530 restent à créer7 ! Il ne faut pas jouer sur les mots et faire croire que ce retard est lié à l’archaïsme des modalités de prise en charge en France qui ne se sont pas converties au tout cognitivo-comportementalisme anglo-saxon ou nord européen. Dans les pays qui ont appliqué massivement ces méthodes des chercheurs et des associations de personnes autistes prennent actuellement du recul et adoptent une attitude critique. Doit on faire les mêmes erreurs, sous prétexte de modernisme, avec une décennie de retard ? Doit-on absolument copier les pays anglo-saxons qui ont développé des méthodes éducatives à défaut d’avoir un service public de pédopsychiatrie digne de ce nom ?

Opposons-nous à une communication irresponsable : de nombreuses familles que nous suivons ont été désarçonnées par les annonces gouvernementales reprises de façon tonitruantes dans la presse. Elles on remis en cause les soins prodigués à leurs enfants. Cherchant, à juste titre, à donner les meilleures chances à leur enfant elles ont souffert, de peur de s’être trompées dans leur choix. L’alliance thérapeutique est difficile à construire avec des familles meurtries et en souffrance, mettre en cause les soins que reçoivent les enfants dans le service public relève d’une lourde responsabilité. Pour contenter quelques électeurs on occasionne des souffrances inutiles à une majorité silencieuse et on risque de mettre en péril la nécessaire continuité des soins.

Prenez conscience que les pouvoirs publics devraient être les premiers à défendre les plus vulnérables et à empêcher qu’un marché privé ne s’empare de la détresse des parents. Il faudrait que les politiques prennent enfin conscience que la France dispose d’un service public de pédopsychiatrie de grande qualité que beaucoup de pays nous envient. Des femmes et des hommes consciencieux et dévoués, réalisent ces prises charges difficiles auprès d’enfants présentant des problèmes complexes avec empathie et humanité. Ils sont à leur écoute et à celle de leur famille et traitent les enfants atteints de TED en utilisant une approche multidimensionnelle où les pratiques éducatives et pédagogiques ont leur place à côté d’une approche thérapeutique globale soucieuse du respect de l’enfant en tant que sujet. Il ne faudrait pas, pour satisfaire quelques lobbies, brader ce service public ou le jeter en pâture à une presse avide de sensationnel.


1

David Bilhaut. Bilan en demi-teinte du second plan Autisme. Le Quotidien du Médecin, 12 janvier 2012.

2

Autisme chez les enfants et les adolescents : un faux consensus. Prescrire, avril 2013, tome 33, n° 354, p. 305.

3

Régine Castaing. Réflexions et constats pour aborder l’autisme autrement. Médiapart, 10 avril 2012.

4

Sophie Dufau. Autisme : un courrier embarrassant pour un centre toujours cité en exemple. Médiapart, 4 avril 2012.

5

Brigitte Chamak. Autisme quand les familles s’en mêlent. Sciences Humaines, n° 31, juin-juillet-août 2013, pp. 62-63.

6

Lettre ouverte de Mireille Battut, Présidente de l’association La main à l’oreille, à Marie-Agnès Carlotti.

7

Troisième plan autisme 2013-2017, p. 33


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