Il y a près d’un an maintenant que Roger Misès nous a quittés. Bien que profondément affectés par sa disparition, les pédopsychiatres français qui ont tant bénéficié de son souci de transmettre ses idées et ses convictions, loin d’être confrontés à un vide prennent conscience de la formidable empreinte qu’il a laissée dans la profession. Plusieurs générations de praticiens se sentent durablement habités par sa mémoire, stimulés par son action, enrichis par son enseignement clinique, portés par sa réflexion théorique et touchés par ses témoignages d’amitié. Voilà bien longtemps qu’il s’était déjà imposé dans notre imaginaire collectif comme un des pères fondateurs de notre discipline avec Serge Lebovici et René Diatkine. Il aimait raconter ses semestres d’internat dans le service d’Henry Ey, son clinicat chez Georges Heuyer, ses années d’analyse sur le divan de Francis Pasche, ses discussions avec Pierre Mâle, ses échanges avec le Professeur de Ajuriaguerra, son travail en commission auprès du Pr Lafont. Il a incontestablement su tirer profit de toutes ces rencontres pour se forger ses propres conceptions et s’engager dans des actions de rénovation de structures asilaires, et le récit des transformations qu’il a opérées à la fondation Vallée a sans doute pris une dimension mythique comparable à celle qui entoure la référence historique à Philippe Pinel brisant les chaînes des aliénés. Roger Misès est en effet un des premiers à avoir révélé le pouvoir thérapeutique d’une équipe pluridisciplinaire mis en capacité d’ajuster collectivement ses réponses aux contraintes de fonctionnement de chacun des enfants bénéficiant de « la cure en institution ». Il a poursuivi ce mouvement d’ouverture des dispositifs de soins en créant un hôpital de jour, en diversifiant les interventions ambulatoires, en développant de multiples partenariats dans la communauté, mais aussi en prenant une part active à la rédaction des divers textes réglementaires sur les secteurs de psychiatrie infanto-juvéniles. C’est en s’inscrivant dans cette dynamique qu’il a impulsé la constitution d’un groupe de travail qui nous a fourni un outil de repérage diagnostic précieux : la classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent que beaucoup d’entre nous continuent d’appeler familièrement la classification Misès. C’est dire combien il est considéré comme un maître, non seulement par les internes qui ont eu la chance de passer dans son service ou de bénéficier de son enseignement dans un cadre universitaire, mais aussi par tous les praticiens qu’il a réunis pendant plus de 25 ans pour les cycles de perfectionnement en psychiatrie infanto-juvénile sous l’égide du ministère de la Santé. Entouré de S. Lebovici, R. Diatkine, M. Soulé puis de Ph. Jeammet, Roger Misès a su développer une action de formation exemplaire, faisant une large part aux présentations cliniques très étroitement articulées à la réflexion théorique et aux discussions thérapeutiques. Ces temps forts ont probablement compté au sein même des équipes de secteur pour que se dégagent des lignes de convergence et que se structure ainsi localement la mise en œuvre de soins de qualité dans une perspective psychodynamique ouverte à d’autres courants de pensée. R. Misès nous a aussi fait bénéficier de la rigueur et de la force de ses conceptions théoriques en rédigeant de nombreux articles dans des revues à large diffusion, en publiant des livres de référence sur l’institution, la déficience mentale, la psychopathologie ou les pathologies limites de l’enfance. Il a défendu ses idées dans de multiples colloques, assuré des fonctions de responsabilité dans plusieurs sociétés savantes ou conseils scientifique dont la SFPEA, la Société médico-psychologique, les Croix marines, Psychiatrie française ou l’Association française des psychiatres de service public. Il s’est imposé comme un homme de convictions, sachant défendre avec ardeur et intelligence les positions qui lui paraissaient justes et n’hésitant pas au besoin à fustiger avec une ironie mordante les conceptions réductrices, les carcans administratifs comme les protocolisations des soins empêchant le déploiement de la créativité. Ce maître qui savait se passionner dans les débats d’idées, s’indigner face à la mise en ordre des désordres mentaux façon DSM-IV, a longtemps gardé une pratique psychanalytique au sein de la SPP et assuré un travail de clinicien de terrain dont les observations présentées en équipe témoignaient toujours de sa finesse d’analyse et de sa prise en compte des enjeux transférentiels.

On ne saurait clore cet hommage à Roger Misès sans évoquer avec émotion les relations amicales qu’il a nouées avec beaucoup d’entre nous. Même si ses prises de positions lui ont souvent valu quelques franches inimitiés, il était entouré d’amis fidèles. Roger était conjointement chaleureux et exigeant, sachant faire preuve de bienveillance mais attendant en retour que ceux à qui il accordait sa confiance ne lâchent rien sur l’essentiel et s’efforcent de donner toujours le meilleur d’eux-mêmes.

Il restera à jamais un modèle, une référence, un maître et un ami pour un grand nombre de pédopsychiatres français qui lui doivent beaucoup et qui souhaitent témoigner de la sincérité de leur admiration, de leur reconnaissance et de leur amitié à son égard.

Références

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