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Perspectives Psy
Volume 62, Numéro 3, Juillet-Septembre 2023
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Page(s) | 295 - 297 | |
Section | Hommage | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2023623295 | |
Publié en ligne | 29 septembre 2023 |
Hommage à Serban lonescu (23 septembre 1950-26 septembre 2022)
Tribute to Serban lonescu (1950-2022)
Professeure de Psychologie Clinique et Psychopathologique à l’Université de Picardie Jules Verne (Laboratoire CRP-CPO, UR 7273). UPJVUFR SHS, Département de Psychologie, Laboratoire CRP-CPO (UR 7273), Chemin du Thil, 80025 Amiens, France
Par ce témoignage, je tiens à rendre hommage au Professeur Serban Ionescu pour me souvenir, avec gratitude et admiration, de ce qu’il m’a, de ce qu’il nous a apporté. Se souvenir de l’être perdu, c’est moins en subir la perte. Se souvenir, c’est pouvoir l’évoquer presque sans la douleur qui lui est associée. Inscrire son souvenir dans un mouvement partagé, commun à tous : c’est ce partage essentiel qui a animé l’écriture de ce texte.
Parmi les multiples qualités qui caractérisent Serban Ionescu, j’en ai choisi trois que je souhaite évoquer ici : constance, responsabilité et empathie. Celles-ci seront la trame de mes souvenirs.
Constance
Serban Ionescu a été quelqu’un de remarquablement constant dans ses investissements. Que ce soit ses responsabilités universitaires à l’Université Paris 8, à l’Université Paris Descartes ou encore à l’IED, l’Institut d’Enseignement à Distance qu’un ami et collègue de longue date, le Pr. Rodolphe Ghiglione avait fondé dans chaque cadre institutionnel, Serban Ionescu s’était impliqué totalement, assumant pendant des années, parfois même des décennies, les tâches administratives qui lui incombaient. Même continuation, même constance dans l’enseignement universitaire. Alors qu’il était déjà professeur émérite depuis une décennie, il acceptait de donner la première conférence dans le cycle Mise en récit du traumatisme que je venais de mettre en place, en collaboration avec le Professeur Michel Wawrzyniak, à l’Université de Picardie Jules Verne. Constance à accepter de siéger, en tant que membre de jury, dans trois soutenances de thèse à ma nouvelle Université qui m’avait accueillie en tant que professeure en Psychologie Clinique et Psychopathologique en 2012. Par la suite, Serban Ionescu demandait toujours des nouvelles de mes thésards, s’intéressait à leur évolution, leurs projets, à leur devenir. Il assurait une véritable transmission auprès d’eux pour leur offrir l’opportunité d’exposer leurs travaux à Trois-Rivières au Canada, à Marseille, aux différents colloques de son association Résilio.
Constance dans les choix d’objets de recherche : parmi les nombreux concepts abordés pendant sa longue carrière universitaire, c’est notamment la résilience qui a été au cœur de ses travaux pendant une trentaine d’années où patiemment, constamment, il a contribué de manière décisive à étudier, développer et valider ce concept essentiel en faveur de différentes populations fragilisées à travers le monde. Même constance dans les liens avec ses étudiants : j’ai eu le bonheur de connaître Serban Ionescu pendant 35 ans. Tout a commencé avec la soutenance de mon Master 1 en 1988 - qui à l’époque s’appelait encore Maîtrise - sous la direction de Nicolas Dantchev et avec Serban Ionescu en président du jury. Très émue par l’obtention de mon premier diplôme en France, j’étais alors repartie sans mon PV1. Toquant à la porte pour réparer mon oubli, je vois encore Serban Ionescu assis à son bureau, me tendant le précieux papier avant que je ne le demande : « Je viens de signer votre PV. C’est bien ! » Puis le séminaire de DEA2 où j’ai fait la connaissance d’Évelyne Bouteyre, Karinne Gueniche, Jacques Roucher et tant d’autres qui, fidèles à la capacité de Serban Ionescu de mettre en lien les uns avec les autres, ont construit des relations amicales et professionnelles dont la plupart sont encore actives aujourd’hui. Puis sa direction de ma thèse en 1996, mon HDR3 en 2008.
Responsabilité
Je viens d’évoquer quelques exemples de constance dont a su faire preuve Serban Ionescu. Son sens très fort des responsabilités y est directement lié. Ses apports à la communauté scientifique, nous les connaissons tous, la liste est trop longue pour les énumérer ici. Plus de 200 articles dans des revues universitaires, une trentaine de livres, la direction d’une centaine de thèses, une quinzaine de HDR encadrées. S’y expriment une fécondité scientifique rare et une capacité de transmission extraordinaire : 25 de ses doctorants sont devenus des Maîtres de Conférence, une bonne dizaine des MCF-HDR ont été nommés Professeur des Universités. J’ai le bonheur d’en être, avec Évelyne Bouteyre, Nathalie Nader-Grosbois, Isabelle Varescon et d’autres…
Malgré leur diversité, leur niveau et leur nombre important, Serban Ionescu a pu remplir ses fonctions universitaires, ses multiples responsabilités grâce au fait qu’il était un travailleur infatigable, avec des capacités organisationnelles hors pair. Multitâche n’arrêtant jamais, poursuivant constamment plusieurs projets à la fois, il pouvait étourdir son interlocuteur par la formidable farandole de ses projets. Grand voyageur, il était, jusqu’à un âge avancé, perpétuellement en mouvement, telle sa pensée et sa créativité extraordinaires. Extraordinaire était d’ailleurs son mot préféré. En citoyen du monde, cosmopolite, il savait s’émerveiller du monde tout en en reconnaissant la gravité. Quand il me relatait dans des termes précis et secs, sa visite d’un charnier au Rwanda, il avait presque les larmes aux yeux devant la folie du monde. Il a reconnu que c’était un des rares moments, là, au Rwanda, où il n’avait plus espoir en l’humain. Venant d’un pays blessé4, Serban Ionescu avait la triple nationalité qui lui permettait de participer dans trois pays à la fois, à l’acte citoyen le plus essentiel : voter en Roumanie, en France, au Canada, acte qu’il ne manquait jamais. Son intérêt pour la politique témoignait également d’une responsabilité entière vis-à-vis de notre planète. Lors de colloques aux quatre coins du globe, nous autres émergions difficilement du jet lag, du décalage horaire et du manque de sommeil : Serban Ionescu, lui, avait déjà regardé CNN, comparé les informations sur plusieurs chaînes internationales, lu des journaux avant d’entamer le colloque avec quelques longueurs d’avance.
Empathie
Comment s’est manifestée l’empathie dans les manières d’être de Serban Ionescu ? Son accompagnement d’étudiants qu’il prenait très au sérieux, était non seulement solide sur le plan scientifique et pédagogique, mais profondément humain5. Il connaissait les noms de nos membres de familles, conjoints, enfants. Sa constante attention à ses étudiants, son partage de nos soucis et joies montrait son identification à nos succès, mais aussi à nos difficultés. Avec une sorte de bonté exigeante, il a su se rendre présent lors de nos découragements tout comme à nos aboutissements. Je lui avais appris pratiquement en temps réel mon classement aux fonctions de Maître de conférences en 19986. Je me vois encore dans cette cabine téléphonique, en face de la salle des auditions de Paris 8. Il disait alors, avec son inimitable accent : « C’est comme si c’était moi. » Puis, il a su se réjouir de ma nomination en 2012 aux fonctions de Professeur des Universités, à l’Université de Picardie Jules Verne, où il allait venir plusieurs fois apporter son soutien à des projets.
Son visage s’illuminait toujours quand il parlait de sa femme et de ses enfants et, plus récemment, de son petit-fils dont il ne se lassait pas de montrer sur son téléphone des vidéos qui retraçaient ses progrès. Il évoquait sa famille avec une telle précision, une telle vivacité que son interlocuteur avait le sentiment qu’ils étaient dans la pièce à côté alors que, la plupart du temps, ils étaient à l’autre bout du monde.
Pour terminer mon hommage, je souhaite partager, avec l’accord de Colette Jourdan-Ionescu, trois anecdotes personnelles qui représentent pour partie l’être exceptionnel qu’a été Serban Ionescu. Lors de ma soutenance de thèse en 1996, ma fille qui à l’époque avait trois ans, a refusé de lui serrer la main. Pendant des années, il se plaisait à re-évoquer avec gourmandise cette scène mémorable : louant l’indépendance de ma fille et interprétant le fait qu’elle ait caché ses mains derrière son dos en secouant vigoureusement sa tête, comme un geste de révolte contre quelqu’un qui l’avait privé de sa mère pendant toute la rédaction de la thèse. La version de ma fille en diffère légèrement : pour elle, Serban Ionescu qui était venu la saluer lors de mon pot de thèse, avait une voix tellement basse qu’il lui avait fait peur. Je suis assise en face de Serban et Colette Ionescu à une table lors d’un colloque à Bucarest en 2018. Nous déjeunons, parlons du succès du colloque et de la nécessité de poursuivre. Je lui ai raconté que lors de la soutenance de thèse de Jacques Roucher, j’étais fortement marquée par la façon dont il avait pris la main du Professeur Michel Mercier, aveugle, pour la refermer autour d’un verre d’eau, infiniment attentif malgré la situation de stress que représente toute soutenance. Il était alors très ému de mon évocation, comme si les multiples réussites d’un grand homme tenaient, aussi, à la reconnaissance de petits gestes.
Mon dernier souvenir qui m’est le plus cher, est le plus douloureux aussi
Je reçois un SMS le 25 septembre 2022, un dimanche, à minuit. Serban Ionescu m’apprend que son état s’est aggravé. Que ses jours étaient comptés. Qu’il me remerciait de nos échanges fructueux. Je ne voulais, je ne pouvais pas comprendre l’absence de sa réponse le lendemain. C’est Colette Jourdan-Ionescu qui a répondu à mes SMS à la fois inquiets et espérants. Et j’ai compris qu’avec la délicatesse qui le caractérisait, que Serban Ionescu m’avait prévenu qu’il allait partir. Il s’en est allé le lendemain, le 26 septembre 2022.
Cette attention extraordinaire portée aux autres, elle était là encore une fois. Pour moi, tout ce qui participe de l’être de Serban Ionescu est là. En toutes circonstances, il lui fallait d’abord penser aux autres, les aider pour qu’ils puissent faire face à l’adversité, les accompagner pour dépasser leurs difficultés, les soutenir dans leur chagrin. Aujourd’hui, je pense à Serban Ionescu avec chagrin, mais surtout avec un immense respect, une gratitude infinie pour tout ce qu’il m’a, pour tout ce qu’il nous a donné.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
De manière assez naturelle, son empathie ne se limitait pas aux humains, mais pouvait aussi bénéficier aux animaux. Ainsi, il m’a relaté l’adoption par sa femme et lui d’un éléphanteau en Afrique dont la mère a été tuée par des braconniers. Je me rappelle à quel point il était outré de ce crime abominable et content de pouvoir faire quelque chose pour cet éléphanteau qu’il appelait, en riant, sa « troisième fille ». Il était fier de son développement qui lui permettait de passer du biberon au foin, et rassuré de recevoir régulièrement des photos d’elle jusqu’à ce que l’éléphanteau, devenu éléphant, était à nouveau introduit, en autonomie, dans la savane.
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