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Editorial
Numéro
Perspectives Psy
Volume 60, Numéro 3, Juillet-Septembre 2021
Page(s) 209 - 211
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2021603209
Publié en ligne 1 février 2022

Da pandémie du Covid-19 a créé une situation expérimentale inédite, éprouvant la santé mentale à travers nos capacités d’adaptation individuelles et collectives; nous avons vu chaque État donner sa réponse pour protéger (ou pas) sa population. En France, nous avons vécu individuellement durant l’année 2020, un confinement strict de 55 jours puis des restrictions qui au to tal auront concerné 60% des 365 jours. Sur cette situation unique, de nombreuses études ont été menées, avec comme a priori le postulat d’effets délétères de cette situation sur la santé mentale. Ainsi, la plupart des recherches se sont centrées sur les effets négatifs de ces contraintes sur la population générale, les patients ou les soignants. Toutefois, en France, Florence Sordes (2021) [1] a souligné que contrairement à ce que l’on pouvait attendre, les comportements humains se sont adaptés rapidement aux changements brutaux du confinement généralisé.

« Dans nos modèles » écrit-elle, « on considérait que dix jours de claustration engendreraient un stress post-traumatique et des perturbations psychologiques. Or, après le premier confinement, il n’y a eu que 23% de troubles anxio-dépressifs nécessitant un suivi. Une grosse moitié de la population a été affectée mais s’est adaptée. Et surprise : 20% d’entre nous ont très bien vécu le confinement. Ils ont du mal à revenir au travail ou en ville ».

Systèmes stables – systèmes instables – théorie du chaos

La théorie des systèmes offre un cadre intéressant pour penser la dynamique d’un système soumis à des contraintes extérieures. Un système stable se caractérise par l’amortissement d’une perturbation extérieure : un tel système ne changera pas fondamentalement la trajectoire des variables qui le composent. Dans cette hypothèse, cela signifierait que la moitié des Français de l’étude relèvent d’un système d’adaptation stable, si l’on ne considère bien sûr que la réaction au Covid.

D’un point de vue collectif, le choc du Covid faisait craindre un effondrement sanitaire, économique et logistique. Avec l’interdépendance mondiale existante, le principe généralisé du flux tendu, la perspective d’un cataclysme mondial était envisagée par les plus anxieux. Il n’en a rien été.

Le système socio-économique en place a certes été mis sous tension mais il a résisté, s’est adapté et a même prospéré à l’instar du CAC 40 qui vient d’atteindre son somment historique dépassant les 7 000 points. Là encore, point de déstabilisation massive, point de changement non plus.

Pour Chavalarias [2], mathématicien spécialiste des systèmes complexes, les sociétés ont résisté parce qu’un virus ne perturbe pas les éléments structurels des chaînes logistiques mondiales. « Nous ne pouvions » dit-il « plus sortir pour acheter, (mais avec) une reconfiguration de l’acheminement des biens par l’achat en ligne et la livraison à domicile, le télétravail… la vie a continué ». A contrario, le psychologue Jérémie Vandevoorde [3] écrit cependant qu’« il existe (aussi) des systèmes instables qui n’amortissent aucune modification et pour lesquels l’introduction d’un élément nouveau, aussi intime soit-il, ébranle toute l’organisation. Ce trouble crée une entropie, c’est-à-dire une certaine quantité de hasard. […] un petit changement dans l’état du système au temps zéro produit un changement ultérieur qui croît exponentiellement avec le temps (Ruelle, 1991), ce que l’on a vulgarisé sous l’expression “effet papillon”… C’est d’autant plus vrai lorsque le système instable est composé d’une matrice d’interactions tellement complexe que son état virevolte dans tous les sens comme dans un orage, par exemple, et forment des structures spontanées éphémères et dansantes ».

Privés du petit passage à la machine à café le matin du fait du télétravail, privés des rencontres éphémères, incertaines mais essentielles entre étudiants de première année venant de quitter le domicile parental, immobilisés dans des logements exigus, réduits aux apéros virtuels où l’on trinque avec son écran, nous approchons peut-être la problématique globale des 23% de Français qui ont le plus souffert du confinement et ont décompensé. Mais il est également possible de questionner les 20% de Français qui semblent avoir « bien » vécu le confinement et décrit une évolution positive de leur existence, marquée parfois par des changements importants de leur rapport au travail et plus largement à l’existence, nouvelle configuration désormais installée de façon stable.

Crise de la psychiatrie

Comment allons-nous répondre, dans le soin, à ces problématiques que nous n’avons fait qu’effleurer ? Avant la survenue de cette crise, la psychiatrie en France, se trouvait déjà elle-même en situation d’urgence (Leboyer et al., 2018) [4]; le système de soins fonctionnait déjà sur un mode dégradé, effondré à certains endroits, en raison d’une pénurie médicale qu’il aurait pourtant été facile d’anticiper.

Cet état de crise est sans doute amplifié par un manque de vocations (ce qui se formule actuellement « manque d’attractivité »), l’adoption de concepts erronés comme l’hôpital entreprise, le culte de la compétition ou de la performance économique basée sur le soin immédiat au détriment de la prévention et du soin long.

De façon paradoxale, cette situation survient à un moment où jamais les perspectives de progrès et de découvertes dans notre discipline, n’ont été aussi nombreuses et prometteuses. Les possibilités technologiques n’ont jamais été aussi importantes, ce qu’a prouvé la mise au point du vaccin en un temps inimaginable.

Confronté à un nouvel élément qui le déstabilise un peu plus, le Covid, le système « psychiatrie » rentre-t-il maintenant dans une zone d’instabilité, de chaos, cette zone paradoxalement propice aux changements ?

Des possibilités de mutations s’ouvrent sans doute aux psychiatres d’aujourd’hui et nous avons confiance en leur enthousiasme et leur inventivité. Souvent, une crise grave débouche sur une avancée. Les serfs, devenus « essentiels », ont accédé au statut d’agriculteurs après la Grande Peste et après la Seconde Guerre mondiale, la Sécurité Sociale ou la politique de sectorisation ont vus le jour.

Pour Boris Cyrulnik et Xavier Emmanuelli (2021) [5] « un être humain accompli est un être qui se sait mortel et qui produit quelque chose de particulier : du sens et de l’amour, de la sociabilité, de la compassion et de la transcendance. Pour autant qu’il parvienne à éviter le gouffre du virtuel, l’individu de l’après-Covid saura se réinventer dans une perspective plus douce, plus solidaire en phase avec l’autre ».

Partageons leur optimisme.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Sordes Florence (2021). Étude Epidemic citée dans Philosophie magazine n° 152, septembre 2021, p. 53. [Google Scholar]
  2. Chavalarias David (2021). Docteur de l’École polytechnique en sciences cognitives, chercheur au CREA et vice-président de la Complex Systems Society, cité dans Philosophie magazine n° 152, septembre 2021, p. 53. [Google Scholar]
  3. Vandervoorde Jérémie (2010). Les processus dynamiques. La théorie du chaos en psychologie, Le journal des Psychologues n° 283, décembre 2010, janvier 2011, p. 70–74. [Google Scholar]
  4. Leboyer Marion, Llorca Pierre-Michel, Durand-Zaleski Isabelle (2018). Psychiatrie. L’état d’urgence, Fayar, prix de littérature Politique Edgar Faure. [Google Scholar]
  5. Cyrulnik Boris et Emmanuelli Xavier (2021). Se reconstruire dans un monde meilleur, HumenSciences. [Google Scholar]

© GEPPSS 2021

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