Numéro |
Perspectives Psy
Volume 60, Numéro 1, Janvier-Mars 2021
|
|
---|---|---|
Page(s) | 94 - 96 | |
Section | Hommage | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2021601094 | |
Publié en ligne | 14 juillet 2021 |
Hommage Jean Garrabé de Lara (11 août 1931-13 septembre 2020)
A tribute to Jean Garrabé de Lara (1931-2020)
Psychiatre, praticien hospitalier, secteur 78 GXV, Institut Marcel Rivière, 78321 le Mesnil Saint-Denis Cedex, France
Jean Garrabé de Lara aimait dire que les aborigènes australiens s’orientaient dans le temps d’une toute autre manière que nous, « pour eux c’est le passé qui est devant et le futur qui est derrière ». Il remarquait ainsi que partir aux antipodes de la vie, c’était donc voir, comme un aborigène, s’ouvrir devant soi le passé.
Évoquer le parcours de Jean Garrabé de Lara est bien entendu illusoire. Nous essayerons de parler tout simplement de lui. Il remarquait avoir fréquenté les hôpitaux alors étudiant en médecine, évoquant des locaux vétustes, des salles communes, des baraquements provisoires où les soins relevaient plus d’un accompagnement, la vocation restant celle de soigner. Il disait alors que la médecine ne s’attribuait jamais le mérite de la guérison selon la pensée d’Ambroise Paré « je le pansais, Dieu le guérit ». Jean Garrabé de Lara évoquait, lors de discussions informelles, avoir eu trois chances dans sa carrière. Sa première chance sera d’avoir assisté, nous dirions participé, à la révolution qu’a connu dans les années 1950 la médecine; celle de l’entrée dans l’ère thérapeutique. Il signalait cependant qu’il lui semblait dans le même temps que de plus en plus l’on soignait non plus des maladies et par là même des malades mais des organes, des pièces détachées sans prendre en considération l’ensemble de la totalité de la personne. Sa deuxième chance sera, à l’occasion d’un remplacement purement alimentaire d’interne, d’avoir redécouvert l’approche globale de l’être humain à La Charité sur Loire, « asile » ayant commencé à entreprendre une nouvelle révolution, celle de la psychothérapie institutionnelle qui déterminera son orientation vers la psychiatrie et son insistance récurrente sur les soins simples à donner en priorité, écouter le malade, lui parler… avant tout acte technique.
Après le concours d’interne des hôpitaux psychiatriques de la Seine, internat interrompu par deux années de psychiatrie militaire en raison des événements d’Algérie selon le terme de l’époque, Jean Garrabé de Lara passera le concours de médecin des hôpitaux psychiatriques. Sa troisième chance sera sa nomination comme médecin chef non chef de service au Centre de Traitement et de Réadaptation Sociale de Ville-Évrard dont le médecin-chef était Hélène Chaigneau « La Patronne » dont il disait qu’elle était « son vrai maître en psychiatrie » même s’il pouvait parler beaucoup plus fréquemment de « son maître » Henri Ey. Au bout de trois ans, alors qu’il devait partir en province, il rencontrera, au Congrès Mondial de Psychiatrie de Madrid, le Professeur Paul Sivadon qui lui proposera un poste de médecin-chef à La Verrière, alors lieu mythique dans le milieu de la psychiatrie et dans celui de l’enseignement dont il était proche, ayant épousé, avant son départ en Algérie, la fille d’un inspecteur directeur du journal des instituteurs. Il fera ainsi toute sa carrière à la MGEN devenant médecin coordonnateur du dispositif francilien de psychiatrie de cette mutuelle. À cette occasion, il dira, avec réserve, avoir arrêté une psychanalyse didactique. Jean Garrabé de Lara notait qu’il avait été étonné de la proposition du Professeur Paul Sivadon quant à ce poste à La Verrière; le questionnant celui-ci lui répondra « parce que vous êtes ponctuel aux réunions… ». Nous rappellerons ici que le Professeur Paul Siva- don créera en juillet 1948 avec Madame Suzanne Baume, conseillère de travail, l’association l’Élan Retrouvé, considérant « qu’il n’était pas possible d’envisager la guérison du malade mental sans rétablir simultanément son aptitude à la vie sociale ». À partir de là se développeront les créations de structures extrahospitalières; l’Élan Retrouvé étant le premier hôpital de jour créé. Jean Garrabé de Lara sera par la suite administrateur de cette association et c’est sous son égide et sa présidence que sera ouvert le chantier de la transformation de celle-ci en fondation d’utilité publique à l’été 2016.
Sa préoccupation incessante durant sa carrière, se contentant selon ses propos, des seuls moyens humains et des intelligences naturelles, sera de pratiquer une psychiatrie d’une qualité aussi grande que possible. Il rajoutait, sur le tard, qu’il ne doutait pas, de manière septique et ironique, que cette psychiatrie serait de meilleure qualité encore quand elle serait évaluée par des spécialistes de l’évaluation qui, n’ayant aucun contact avec les malades, ne se laisseraient pas influencer par l’opinion de ceux-ci. L’avis des malades était, à contrario, pour Jean Garrabé de Lara, le premier critère de l’évaluation des soins, avis à son sens sans lendemain… lors du discours de son départ à la retraite le 13 octobre 1997 « avec des idées aussi dépassées, il est temps que je parte… ».
Jean Garrabé de Lara disait les choses pour que les gens apprennent à penser par eux- mêmes. Il répétait à l’envi que l’on pouvait penser le contraire de ce que l’on avait dit quelques années auparavant, simplement parce que la pensée évolue, qu’elle est relative à une histoire individuelle, à des histoires individuelles, rien n’étant définitif. À son sens, la véritable transmission était donc une transmission de la pensée c’est-à-dire apprendre à penser, sachant que si l’on pouvait mettre en perspective les idées, il ne fallait jamais se départir de les remettre dans leur contexte politique, historique, culturel et social de l’époque d’alors.
Ainsi, en ce qui concerne les classifications, il pensait bien évidemment qu’il ne pouvait y avoir une « psychiatrie » une fois pour toutes et il remarquera notamment dans l’une de ses interventions « Peut-on classer sans penser ? », « je me bornerai d’avancer l’idée que classer les maladies mentales revient à tenter de définir ce qu’elles sont… une classification internationale ne peut pas ne tenir compte que d’une pensée unique ». Quoi qu’il en soit il aimait se dire, dans un souci (?) de classification personnelle, être atteint de TPM, Trouble Présidence Multiple… Il avait en effet étendu son influence, son « aura » à d’innombrables sociétés savantes nationales et internationales dont il sera président ou membre éminent. Il est ici impossible de toutes les citer et nous n’en évoquerons que quelques-unes, françaises de surcroit, Fédération Française de Psychiatrie, Société Médico-psychologique, Association pour la Fondation Henri Ey, Groupe d’Études de Psychiatrie, Psychologie et Sciences Sociales, Évolution psychiatrique… Au-delà, psychiatre français universel de renommée internationale, Jean Garrabé de Lara parcourait le monde. Né de père français et de mère espagnole, il retournera à Madrid après la guerre civile et fréquentera le Lycée Français de Madrid. Ainsi parfaitement bilingue il sera dès le plus jeune âge ouvert aux différentes cultures et il n’aura alors de cesse de multiplier les contacts et il développera plus particulièrement des liens avec le monde ibérico-américain et le monde japonais. Il sera en particulier « Ambassadeur » de la pensée d’Henri Ey dans ces différents pays et au-delà, avec une disponibilité sans faille. Nous renvoyons ici aux hommages de Patrice Belzeaux et d’Eduardo Mahieu pour de bien plus amples développements. Nous signalerons néanmoins ici qu’il sera tout autant rigoureux, dans sa participation, et sa présence inaltérable aux différents colloques, tant au Japon qu’en France tous les deux ans, de la Société franco- japonaise de médecine. Nous nous rappelons en 2004 qu’il fit connaître à André Green la Thérapie de Morita dans le cadre d’une de ses interventions à l’hôpital Sansei où se pratiquait la thérapie Morita inspirée par le bouddhisme zen puis lors d’une discussion, d’un débat avec le Docteur Usa psychiatre qui dirigeait l’hôpital, débat somme toute tendu entre André Green et son interlocuteur japonais…
Multipliant les fonctions et les relations, nationales et internationales, il aura écrit plus de 450 textes et interventions parmi lesquels quelques ouvrages incontournables, Dictionnaire Taxinomique de Psychiatrie (1989), Histoire de la Schizophrénie (1992), Philippe Pi- nel (1994), Henri Ey et la pensée psychiatrique contemporaine (1997), cent mots pour comprendre la psychiatrie (2006), Promenades dans le Paris de la folie (2015). Au-delà de ses ouvrages, de ses livres, lors des colloques Jean Garrabé de Lara parlait comme un livre, d’une voix douce, calme et posée, répétant parfois à l’identique une ou plusieurs phrases avec un sourire malicieux, captant alors son auditoire avec qui, par ailleurs, il partageait des anecdotes délicieuses…
Jean Garrabé de Lara était un homme simple, d’apparence tranquille, bienveillante, qui ne courrait pas après les honneurs, qui somme toute ne fréquentait pas le « gotha » psychiatrique sauf lorsque nécessaire et qui préférait s’échapper et rester avec quelques jeunes et moins jeunes psychiatres anonymes. La documentaliste de La Verrière remarquait récemment, ce que j’avais oublié, que lors de son «pot» de départ à la retraite il avait invité les délégués des patients des différents pavillons de l’Institut, ce qu’elle voyait pour la première fois de la part d’un médecin. Par ailleurs il les avait, lors de son discours, remerciés en priorité.
Qu’il reçoive ici le témoignage de notre gratitude pour son humanité. Jean Garrabé de Lara, maintenant absent mais toujours présent.
© GEPPSS 2021
Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.
Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.
Le chargement des statistiques peut être long.