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Foreword
Numéro
Perspectives Psy
Volume 50, Numéro 4, octobre-décembre 2011
Page(s) 309 - 310
Section Regards sur l’infanticide : du néonaticide au filicide
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2011504309
Publié en ligne 9 février 2012

La rareté de l’infanticide à notre époque, alors que c’était un acte meurtrier très répandu jusqu’au XIXe siècle, le fait apparaître, aux yeux de nos contemporains, comme un crime déroutant et difficilement explicable.

Les professionnels de la santé qu’ils soient psychiatres auprès d’adultes ou d’enfants, psychologues, médecins de Protection Maternelle Infantile, médecins de santé scolaire, généralistes ou gynécologues obstétriciens, sont tous pris au dépourvu, lorsqu’ils apprennent tout à la fois la grossesse, la naissance et la mort du bébé. Même les équipes les plus chevronnées sont plongées dans le désarroi.

Les qualificatifs utilisés habituellement dans les médias pour qualifier l’infanticide mettent en relief l’étrangeté qui entoure ce crime : « il faudrait être folle pour faire cela », mais la majorité des mères infanticides ne le sont pas. Penser l’infanticide est probablement une des choses les plus difficiles qui soit.

Freud en 1910, dans « Un choix particulier d’objet chez l’homme » nous donne une piste pour comprendre cette difficulté d’élaboration : L’acte de naissance est précisément le danger dont on a été sauvé par les efforts de la mère. La naissance est aussi bien le premier danger qui menace la vie que le prototype de tous ceux qui suivront, devant lesquels nous éprouvons de l’angoisse (Freud, 1910). Penser une mère meurtrière est angoissant et, dans une publication précédente, nous avons montré l’importance des contre-attitudes suscitées par ce crime tant dans les milieux judiciaires que sociaux et éducatifs (Welniarz, 1977).

Le titre de ce dossier montre déjà la difficulté de nommer l’acte. L’infanticide est un terme venant du latin infans, infantis : enfant qui ne parle pas, et caedere : tuer ; on retrouve le terme infanticidium chez Pertulien au IIe siècle. Il fut probablement introduit en français au XVIe siècle et désigne le meurtre d’un enfant et spécialement d’un nouveau-né. De façon paradoxale, « infanticide » désigne à la fois l’acte et celui qui le commet. Dans les publications psychiatriques, ce terme désigne assez spécifiquement le meurtre d’un nouveau-né. Il est proche du terme de néonaticide, qui désigne le meurtre d’un enfant le premier jour de sa vie, et qui a été introduit en 1970 par un auteur américain, P.J. Resnick (1970).

Filicide et libericide sont deux termes que l’on retrouve pour désigner le meurtre d’un enfant plus âgé. Filicide vient du latin filius, fils et caedere ; nous pouvons noter au passage que fileo présent dans la racine filius signifie « se taire ». Entre « l’enfant qui ne parle pas » et le filius qui se tait, il va nous falloir mettre des mots sur l’indicible : des dénis de grossesse inimaginables, la mort inexpliquée d’enfants à la naissance ou dans les jours ou semaines qui suivent, voire plus tardivement, dans des circonstances très différentes les unes des autres.

C’est pour permettre les rencontres entre tous ces acteurs de la santé au quotidien, afin de susciter les réactions des uns et des autres, que nous présentons ce dossier contenant des textes très élaborés. Nous proposons d’axer notre réflexion autour de quatre articles qui éclairent chacun l’infanticide selon un angle particulier, réduisant d’autant l’ombre qui entoure ce sujet.

Monique Bydlowski introduit le dossier avec un article qui rappelle la clinique stéréotypée de l’infanticide d’un nouveau-né : « Le néonaticide ou infanticide néonatal ». À travers l’exposé d’un cas, elle pose la question des grossesses cachées chez les femmes déprimées et incite à un travail de prévention.

Daniel Zagury avec « Quelques remarques sur le déni de grossesse » explore de façon très riche le champ du déni de grossesse, actuellement mis systématiquement en avant dans les cas d’infanticide. Il lève un malentendu terminologique et, à l’aide d’un cas médiatisé et de trois observations cliniques, il approfondit cette notion en la distinguant nettement du déni schizophrénique. Il « décline » ce champ clinique en distinguant les dénis de la conception ; déni des métamorphoses corporelles ; déni d’altérité ; déni du processus vital en cours ; déni de signification ; déni de l’inéluctabilité du terme de la grossesse. Ces dénis ne conduisent pas automatiquement à l’infanticide mais à « une improvisation catastrophique au moment de l’accouchement ».

Bertrand Welniarz met en lien deux issues tragiques : « Mort subite inexpliquée du nourrisson et infanticide ». Après avoir discuté les statistiques montrant la sous-estimation du nombre d’infanticides, il reprend l’étude de Asch de 1968 qui, le premier, a émis l’hypothèse que certaines morts subites inexpliquées du nourrisson (MSIN) pouvaient être des infanticides. En s’appuyant sur la psychopathologie de la dépression post-natale, il met en rapport des faits troublants qui, après avoir été contestés pendant plusieurs années, sont maintenant admis comme représentant une petite fraction des MSIN. L’auteur poursuit la réflexion en englobant le syndrome de Münchhausen par procuration dans la problématique de la MSIN.

Daniella Angueli relate de façon très détaillée un cas de filicide : « Mère empoisonneuse ». Il s’agit d’une réflexion sur des entretiens menés en prison peu avant la libération d’une femme ayant empoisonné ses trois enfants. Deux d’entre eux sont décédés et la troisième garde des séquelles graves. Comme souvent dans les cas de meurtres d’enfants plus âgés, la mère souffre de troubles psychiatriques et d’une déficience intellectuelle. Mais la richesse de l’observation clinique nous entraîne dans cet espace où les champs de la psychose, du meurtre altruiste du mélancolique et celui du syndrome de Münchhausen par procuration sont difficiles à démêler.

Nous espérons que ce dossier permettra d’aller plus loin dans la compréhension de l’infanticide et, qu’au-delà du champ de la santé, il puisse interpeller les travailleurs sociaux et les professionnels de la justice.

Références

  1. Freud S. (1910). Un type particulier de choix d’objet chez l’homme. In La vie sexuelle. Paris, PUF 1977, 47–55. [Google Scholar]
  2. Welniarz B., Barral A. (1977). D’un possible ou impossible lien mère-enfant après une tentative d’infanticide. Devenir, 2(9), 33–48. [Google Scholar]
  3. Resnick P.J. (1970). Murder of the newborn : a psychiatric review of neonaticide. Am J Psychatr., 126, 1414–1420. [Google Scholar]

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