La malédiction de l’art-thérapie est de n’être bien souvent comprise que comme une « psychothérapie » avec support expressif, qui reprend les vieilles tentations du début de la psychothérapie traditionnelle qui décrypte des expressions en vue de conscientisation, ce dont elle a heureusement réussi en général à se dégager. Une autre malédiction consiste à la prendre pour du loisir distrayant le malade de ses obsessions délirantes, ce qui correspond cette fois à une conception de l’occupation marquée de la pensée psychiatrique du 19e siècle.

Je m’occupe d’art-thérapie depuis 1973 (fondation de mon ancien service au Centre Hospitalier de Blois) et, plus officiellement depuis 1981 (création de mon association Art et Thérapie suivie peu après de celle de l’institut INECAT de formation à l’art-thérapie) et j’ai pu constater l’évolution inespérée des opinions quant à l’art-thérapie, à tel point qu’elle attire bien des convoitises de la part de professions soignantes qui voient se restreindre le marché du travail dans leurs branches…

L’art-thérapie, du fait du terme thérapie – qui pourtant n’a apeuré personne lorsqu’il s’agissait d’ergo- ou d’occupational – a en France encore mauvaise presse auprès de thérapeutes patentés ! C’est pourquoi le vocable « médiation artistique » s’est imposé qui a fini par être reconnu par le Répertoire national de Certification Professionnelle interministériel (l’inecat a été agréé comme pouvant former des médiateurs artistiques) et même par les commissions de la Formation Médicale Continue qui nous a aussi été accordée. Signe de la progression des mœurs officielles qui ne sont toujours pas aussi ouvertes à l’art-thérapie qu’à l’étranger…

Ce dossier thématique prend pour parti qu’il est nécessaire d’avoir la fibre ou mieux, la pratique artistique personnelle, pour exercer la médiation artistique et ainsi pouvoir aider autrui, y compris de façon technique, dans la douleur, la fragilité, l’épreuve à travers l’acte et la production dans le champ artistique de telle sorte que la personne participe activement à sa transformation grâce à ce chemin de traverse de la mise en situation de création. L’accompagnement de la forme sans que l’attention au contenu ne soit au premier plan apparent de la rencontre permet que la création fasse processus de transformation.

Nous avons ainsi d’abord visité les précurseurs en particulier plusieurs psychiatres inspirés au rang desquels il faut placer Lucien Bonnafé qui a concilié pratique psychiatrique, réflexion sur la psychiatrie et le personnage du psychiatre, insertion de sa pratique dans un engagement politique, références constantes à la pensée de son temps, et tempérament profondément surréaliste. C’est lui tout particulièrement qui m’a révélé la compatibilité entre la fonction poétique du langage et la rigueur de l’approche psy !

Les textes de la seconde partie exposent des pratiques art-thérapeutiques détaillées et réfléchies – il nous a fallu choisir parmi de nombreux exemples tout aussi riches – qui, elles aussi, concilient le sérieux de l’art et une méthodologie thérapeutique. Nous sommes convaincus que la thérapie, comme certains l’ont dit de ce siècle, sera créatrice ou ne sera pas.

© EDK, 2010