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Perspectives Psy
Volume 46, Numéro 2, avril-juin 2007
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Page(s) | 109 - 110 | |
Section | Editoriaux | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2007462109 | |
Publié en ligne | 15 avril 2007 |
Darfour : une inhumanité terrifiante
Darfur: A terrifying inhumanity
Pédiatre, Président du Collectif Urgence Darfour (www.urgencedarfour.com) Ancien Président de Médecins du Monde
Au Darfour, c’est l’enfer sur terre , ainsi s’exprimait, il y a à peine quelques mois, Kofi Annan, alors Secrétaire général des Nations Unies. Le gouverne-ment islamiste soudanais a, en effet, déclenché et organisé une vague de vio-lence inouïe contre les populations du Darfour, à l’ouest du pays, depuis plus de qua-tre maintenant. Prenant prétexte de la présen-ce de cette région de petits groupes rebelles, l’aviation bombarde les villages, l’armée cadenasse la zone et les milices janjawids se livrent à d’innombrables exactions contre les civils : massacres, pillages, destruction des récoltes, incendie des maisons, empoisonne-ment des puits… Le bilan de cette frénésie meurtrière est effrayant : 400 000 morts, 2,5 millions de déplacés et de réfugiés. Toutes les victimes appartiennent à des grou-pes ethniques bien identifiés : les Four, les Massalit, les Zaghawa… Ils sont « non-Arabes », « noirs africains », dans un pays dont la langue officielle est l’arabe, et qui appartient à la Ligue arabe. Or que disent les spécialistes de la région ? « tout le monde est noir au Soudan , les citoyens de ce pays sont tous africains. Les Arabes sont minoritaires dans le pays. Et les islamistes ne sont que l’ultime incarnation his-torique de leur domination « ethno-régionale ». En effet, l’essentiel des milices recrutées, armées, encadrées par le régime appartiennent à certaines tribus qui se considèrent comme arabes. Dès lors, l’une des clés d’explication de la fureur des assaillants tient au caractère plus fantasmé que réel de leur appartenance à une arabité. Des phénomènes du même ordre ont été constatés parmi les hordes hutus pen-dant le génocide des populations tutsis du Rwanda. Les janjawids, mot à mot les cava-liers du diable, ça ne s’invente pas, ont l’habi-tude de se déplacer à cheval ou sur un cha-meau. Les témoignages sur l’acharnement et la cruauté des miliciens ont été documentés dans d’innombrables rapports et témoignages des organisations des droits de l’homme. Tous concordent sur le fait que les attaques sont fai-tes par des hommes à la peau noire, aux cris de « nous allons tuer tous les Noirs ! », « fuyez esclaves, cette terre n’est pas la terre des Noirs ! ». Et la fureur à faire souffrir l’autre, lui déniant ainsi toute humanité, ou la hargne à le faire disparaître ou fuir , comme si son seul regard est insupportable, ne peut trouver une explication que dans une pathologie col-lective de l’altérité. D’autant plus forte que les uns semblent plus semblables aux autres. On retrouve ces situations créées par des régimes dictatoriaux ou violents comme ce furent le cas au Cambodge, en ex-Yougoslavie, au Rwanda…
La référence à l’esclavage revient aussi fré-quemment dans les invectives contre les villa-geois, lors des attaques : « Vous autres Noirs, vous êtes nos esclaves ! » Longtemps le sud du Soudan a été une terre de prédation des populations noires jusqu’à une date récente. Et le Darfour était la région de passage de la traite trans-saharienne. Cette question, tou-jours niée, hante l’inconscient collectif de toute la société soudanaise. Elle resurgira, nul doute, avec une impétueuse puissance.
Les viols des femmes et des fillettes sont uti-lisés comme une arme de guerre par les Janjawids. Souvent ils sont collectifs et prati-qués en public. Ces violences sexuelles ont pour objectifs d’humilier, mais aussi de rom-pre le lien social. Dans des sociétés rurales traditionnelles et musulmanes, la virginité et la chasteté sont des valeurs hautement prisées. Les survivantes sont alors rejetées. Il est d’u-sage que l’homme transmette au Darfour l’ap-partenance ethnique de l’enfant à naître. Dès lors, souiller la descendance de ces femmes, c’est leur imposer le tourment supplémentaire de porter l’enfant de son bourreau… Les mêmes techniques avaient été utilisées par les milices nationalistes serbes en Bosnie. La jus-tice internationale a qualifié de crime contre l’humanité l’utilisation du viol comme arme de guerre. La Cour Pénale internationale n’a eu aucun effet dissuasif sur les soudards ni sur les donneurs d’ordres. Comme si, dans leur toute-puissance meurtrière, ils n’envisa-geaient même pas un instant d’être inquiété pour leurs actes. La « communauté internationale », semble absolument incapable d’agir efficacement pour protéger les populations, partagée entre un silence honteux ou des gesticulations inef-ficaces. La mondialisation de l’information, qui permet la diffusion instantanée des analy-ses des défenseurs des droits de l’homme et les informations des journalistes, exacerbent cette indifférence et cette sidération.
Dans les camps de réfugiés darfouris, comme dans tous les autres camps de réfugiés à tra-vers le monde, les enfants dessinent la guerre, jouent aux soldats et font des cauchemars. Pas de surprise au Darfour, les humains parti-cipent à ce que Desmond Tutu, l’archevêque sud-africain, leader de la lutte contre l’apar-theid, avait défini comme « l’exemple le plus terrifiant d’inhumanité ». Sous nos yeux.
© EDK, 2010
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