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Perspectives Psy
Volume 45, Numéro 4, octobre-décembre 2006
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Page(s) | 353 - 355 | |
Section | Dossier : Psychiatrie en milieu pénitentiaire | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2006454353 | |
Publié en ligne | 15 octobre 2006 |
Avant-propos : Soigner lorsque le temps et la vie sont mesurés à l’aune carcérale
Foreword: To treat when time and life are measured with the prison all
Praticien Hospitalier, Formateur prévention suicide, SMPR de Fleury-Mérogis 7, avenue des peupliers, 91705, Sainte Geneviève des Bois, France.
Psychiatre en prison, j’ai le bonheur d’exercer un métier passionnant : soigner les troubles psychiatriques et psychologiques des personnes incarcérées, patients-détenus, sans oublier dans nos prises en charge la dimension psychothérapique. Nous le constatons au quotidien, la prison engendre des pathologies particulières : hétéro- ou auto-agressions, dépression réactionnelle, choc carcéral, psychose carcérale… Les patients détenus sont des personnes étant passées à l’acte de manière transgressive de la loi. Ils échappent à la loi commune ; ils sont devenus étrangers à leurs groupes professionnels et de vie privée. Dans l’ensemble de la population carcérale, il existe bien sûr des personnes assumant leurs troubles névrotiques et leurs troubles réactionnels à l’incarcération. Mais il faut surtout faire mention des personnes présentant des troubles psychotiques francs, majeurs, qui peuvent recevoir des soins avec leur accord en prison. Si leur accord n’est pas obtenu (pour des raisons vastes et plurifactorielles), les soins peuvent se dérouler dans le cadre de l’hospitalisation d’office, en référence à l’article D398 du Code de Procédure Pénale. Par ailleurs, les incarcérations à répétition (par exemple, des patients-détenus connaissant leur dix-septième situation de privation de liberté) mettent en évidence l’existence d’une inadaptation définitive groupale et d’une souffrance psychique qui les pousse vers la recherche d’un cadre contenant, les murs de la prison et de leur cellule. La visée de contenant et de réassurance de ces incarcérations à répétition nous étonne, mais semble être recréé comme une protection par rapport aux passages à l’acte de ces patients. L’étude pluridisciplinaire de cette population particulière de patients détenus devrait permettre une diminution de l’incidence des privations de liberté chez une personne donnée, ainsi que du nombre des personnes incarcérées pour des faits délictueux et criminels. Autrement dit, elle pourrait contribuer à la prévention de la récidive. Le dossier que j’ai été chargée de coordonner a une visée positive et proactive de mise en valeur des pratiques actuelles de la psychiatrie en milieu pénitentiaire. Il s’agit d’un travail d’équipe et notre objectif prioritaire est de sensibiliser les collaborateurs, les partenaires (techniques et administratifs), les tutelles (notamment santé et justice). De sensibiliser aussi tous nos confrères du territoire national aux modes d’exercice de la psychiatrie en prison, dans ses aspects cliniques et institutionnels ; de les informer des contraintes et spécificités de la part des deux institutions (psychiatrie de service public et administration pénitentiaire) ; de souligner la nécessité des échanges pluridisciplinaires et pluri-professionnels. Nous avons également souhaité sensibiliser les lecteurs aux demandes et au vécu des patients détenus, des personnels soignants, des personnels pénitentiaires, ainsi qu’à ceux des médecins exerçant en prison, que ce soit dans le cadre de l’unité de consultations et soins ambulatoires ou dans celui du service médico- psychologique régional (ce dernier service représentant Le lieu de la psychiatrie en prison).
Le bilan et les perspectives que nous proposons dans ce dossier montre qu’il se réalise dans les prisons de France un travail théorique et clinique complexe et intéressant, qui peut encore être amélioré par la collaboration entre partenaires pluridisciplinaires et, en premier lieu, par la collaboration avec nos partenaires pénitentiaires. L’indépendance des personnels soignants par rapport aux personnels de l’administration pénitentiaire est un des éléments primordiaux de ce type d’exercice et, lorsque le secteur de psychiatrie a pris sa place en prison, la partie du pouvoir symbolique représentée par la dispensation des médicaments a été retirée aux surveillants gardiens de prison, agents de l’Administration Pénitentiaire, pour être confiée aux personnels soignants, de médecine générale et de psychiatrie. Une autre des fonctions symboliques importantes du psychiatre exerçant en prison est celle de participer activement à la circulation de la parole concernant les soins apportés aux patients-détenus et à celle entre les soignants, leurs collaborateurs et leurs partenaires pénitentiaires. L’exercice de la psychiatrie en milieu fermé est une oeuvre singulière, parfois paradoxale, et nous renvoie au principe de liberté fondamentale et à la notion que rien n’arrive sans cause… J’ai personnellement beaucoup appris de mes patients en presque cinq ans d’exercice à Fleury-Mérogis. Ils ont la gravité des enfants qui empilent des faits de vie et des affaires judiciaires comme des jouets les uns sur les autres, jusqu’à ce qu’ils perdent leur équilibre et qu’il n’y ait plus rien de construit ni de possibilité de construire quelque chose au même endroit. Ce sont les structures signifiantes qui demeurent concernées par cette construction et « déconstruction ». Ce phénomène touche de très près tous ceux qui ont gardé une intimité avec leur enfance. Nos patients s’emploient à déconstruire le monde, pour nous demander de le construire de nouveau avec eux. Dans un monde privé de liberté - la prison - qu’en est-il de la liberté morale de nos patients, de leur liberté d’expression, de leur liberté de se mouvoir ? Ce sont là des situations frustrantes qui font naître des fantasmes. La consultation post-carcérale et le suivi régulier après cette libération tant souhaitée (par aménagement de la peine ou en fin de peine) visent à consolider les acquis des patients-détenus et à continuer le travail entrepris en thérapie. Notre but est d’offrir un soutien aux ex-patients-détenus, de les aider à s’impliquer dans des groupes externes et dans les groupes sociaux en général. Le désir de « posséder » la liberté de parole et de penser librement sont retrouvés pendant les entretiens. Les paroles qu’ils utilisent dans la situation d’entretien psychiatrique se définissent par leur banalité mais leur grand humanisme. On peut les nommer et les détailler selon un spectre de propriétés auxquelles s’ajoute, comme pour la rendre plus humaine, la gamme subtile des émotions. L’exercice en milieu carcéral est, il me semble, une leçon positive d’expérience professionnelle et d’expérience de la vie. Car, du point de vue de la personne privée de liberté, le seul but possible qui représente le maximum de réalité est de recouvrer la liberté. On trouvera dans l’expression de la parole en prison plus de réalité dans l’effet que dans la cause. Les entretiens peuvent se dérouler dans un respectueux silence ou une paradoxale fécondité. Nos capacités d’empathie et d’engagement émotionnel avec le sujet lui-même favorisent cette identification à l’autre qui permet de le comprendre.
Les articles réunis dans ce dossier représentent une sorte de photographie illustrant les particularités actuelles de ce mode passionnant d’exercice qu’est la psychiatrie en milieu pénitentiaire. Ils sont rédigés par des cliniciens expérimentés qui exercent tous dans le service public : responsables d’équipes de SMPR, chefs de service et leurs collaborateurs… Nous espérons que cette mise en commun de nos expériences contribuera au développement et au transfert des connaissances, à la mise en valeur efficace des résultats de l’activité de recherche de chaque équipe, ainsi qu’à l’évaluation et au développement durable des pratiques actuelles de l’institution sanitaire en milieu pénitentiaire. Au terme de cette présentation de ce dossier, et avant d’engager le lecteur à en découvrir les témoignages, je voudrais remercier profondément l’ensemble des auteurs qui ont contribué à sa réalisation. Jean Garrabé reprend l’évolution des idées et des pratiques depuis le dossier que Perspectives Psychiatriques avait consacré à la criminologie en 1965. Roland Coutanceau propose avec moi - à partir d’un cas clinique - une réflexion sur la place du traumatisme originaire chez les agresseurs sexuels. Angelo Poli retrace une expérience d’organisation des soins spécialisés en maison d’arrêt par un secteur psychiatrique. Catherine Paulet nous livre ses réflexions sur les objectifs et conditions du soin psychiatrique en milieu pénitentiaire. J. Billard et l’équipe du SMPR de Seysse font le point sur la comorbidité psychose/toxicomanie en milieu carcéral. Louis Forgeard et l’équipe du SMPR de Lyon analysent les suicides survenus dans la maison d’arrêt où ils interviennent. Enfin, Pierre Lamothe soulève les questions posées actuellement par la pratique de l’expertise psychiatrique.
© EDK, 2010
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