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Numéro
Perspectives Psy
Volume 43, Numéro 2, avril-juin 2004
Page(s) 162 - 163
Section Thérapeutique
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2004432162
Publié en ligne 15 avril 2004

Marie-Hélène Revault-d’Allonnes-Fermé (1907-2003)

La vie de Marie-Hélène Fermé, née Revault-d’Allonnes, fille de Gabriel Revault-d’Allonnes, petite-fille d’Ernest Renan, révèle une personnalité «hors normes». Elle a d’abord été très brillante dans ses études : reçue première au PCN, puis externe des hôpitaux, prête à passer l’internat qu’elle ne présente pas pour des raisons familiales : elle se marie et suit son époux en Kabylie ; deux enfants naîtront de cette première union, Noémie Pasquier-Flaud, et Rosine Debray, Professeur de Psychologie clinique et Membre titulaire de la Société Psychanalytique de Paris. De 1934 à 1939, elle assure des consultations de pédiatrie et exécute des travaux d’anatomie pathologique à la Faculté de Médecine de Paris. En 1939, en raison du départ des médecins au front, elle demande à être «requis civil» et exerce la médecine générale en Île-de-France, en particulier à Houdan, où elle aura l’occasion de rencontrer le préfet Jean Moulin. En 1941, après avoir franchi la ligne de démarcation à bicyclette, elle passe en Amérique où elle survivra, ses diplômes n’étant pas reconnus, grâce à des boulots utilitaires en faveur, chaque fois que possible, de la France libre. Par exemple, elle participe à des émissions radio Free French par le «Docteur Olivier». En 1943, Henri Danon-Boileau l’ayant rencontrée à New York parle d’une jolie jeune femme, pétillante d’intelligence, d’enthousiasme et d’humour, affrontant avec courage un quotidien difficile, très attachée à la France libre, ce qui n’était pas si courant. Elle revient en France en avril 1945. Elle n’a ni travail, ni domicile et 50 dollars en poche. Son projet est de s’orienter vers la psychiatrie de l’enfant et la psychanalyse, projet qui pourra prendre corps par les retrouvailles avec un ami d’études : Jacques Fermé, Docteur en Pharmacie et dirigeant d’un laboratoire pharmaceutique.

« Jacques me retrouva rue Beautreillis » « Tiens vous voilà, Jacques » « Nous ne nous sommes plus quittés ».

Quand on a connu Jacques Fermé, on comprend pourquoi. Deux fils naîtront peu après, Jean-Pascal, puis Christophe, médecin oncologue. Aux États-Unis, elle avait fait quelques travaux dans le service de Lauretta Bender, publiés avec Louise Despert, ce qui indiquait déjà une certaine orientation. Malgré tous les problèmes matériels de cette époque, en particulier de logement, elle entreprend de se spécialiser en pédopsychiatrie, effectue sa psychanalyse personnelle, puis suit le cursus de l’Institut de psychanalyse (Société Psychanalytique de Paris). On peut souligner, par rapport à ce que l’on entend actuellement dire de la part de «psychothérapeutes» reconnus par eux seuls, que cette formation comprenait une psychanalyse personnelle, deux contrôles de plusieurs années et une formation théorique de longue durée, le tout s’étalant sur 10 à 15 ans. Elle a passé ses matinées pendant 10 ans dans le service de pédopsychiatrie du Professeur Georges Heuyer qui était fréquenté par les principaux acteurs ultérieurs de la psychiatrie infantile : Serge Lebovici, René Diatkine, Cyrille Koupernik, M. Guillemin, Henri Duchêne… On peut dire qu’elle a participé alors à la fondation de la pédopsychiatrie en France. Après des années de maigres salaires, elle a pu s’installer et établir une clientèle durable, d’abord avenue Victor Hugo, puis avenue Bosquet, enfin rue Faber, avec la magnifique esplanade des Invalides sous les yeux. Dans cette même période, elle a commencé à travailler au Centre Claude Bernard où elle a œuvré pendant 28 ans. Elle a aussi fondé un autre Centre Médico-Psycho-Pédagogique au Mans. Pendant la première année de reprise de travail après la guerre, outre les consultations de lycée et quelques vacations hospitalières, il lui fut proposé du travail à l’École des Parents. Elle a donc ouvert la première consultation en France pour parents dans une arrière boutique de la rue Gassendi. Elle note à cette époque : « Ces consultations ont pris beaucoup d’ampleur. Les parents y exposent leurs conflits, ils sont souvent maladroitement culpabilisés par certains enseignants ou psychopédagogues, ce qui n’améliore ni les relations avec l’enfant, ni les relations conjugales. Les parents, souvent persuadés que l’aide sociale est un dû, que la maladie, les handicaps, les accidents ne doivent rien leur coûter, ont souvent une mentalité d’assistés. Ils ne veulent ni assumer de responsabilité, ni courir de risques. Bien sûr, il y a ceux qui sont très pauvres, qui ont besoin d’une aide financière et bien sûr de l’Aide Médicale Gratuite ».

Vers les années 1955, elle fonde avec Marie-Andrée Lagroua-Weill-Hallé, «l’Association pour l’étude des problèmes de la naissance (AEPN)», dans l’idée que tous les problèmes de fécondité, de stérilité, de contrôle des naissances, seraient vus par un gynécologue, un psychanalyste et une conseillère non-médecin. Le mot conseiller étant employé ici dans le sens de «tenir conseil» et non pas de donner des conseils. Le demandeur (une femme ou un couple) n’ayant pas à être questionné par ces trois personnes, l’idée étant que le trio soit en mesure de délibérer au sujet des intéressés. Ce mouvement s’est fait connaître y compris au Ministère. Il est probable que la loi Simone Veil s’en est beaucoup inspirée.

À peu près à la même époque, vers 1957, a été fondé le premier syndicat de psychiatres «Le Syndicat des psychiatres salariés des organismes publics, semi-publics et privés CFE/CGC» dont elle a été un membre fondateur très actif. Les vacataires n’avaient à l’époque aucune couverture sociale, payés à la vacation sans jamais d’augmentation, sans préavis de licenciement, sans avantages sociaux. Ils étaient déjà très nombreux et le sont encore… Elle a assumé la présidence de ce syndicat, pendant plus de quarante ans et n’a passé le flambeau que quelques années avant sa disparition. Ceux qui l’ont connue dans ce rôle se souviennent de son efficacité, de sa disponibilité et de la chaleur de son accueil, les réunions mensuelles se tenant chez elle.

Nous pensions naïvement que cette activité syndicale avec ses occupations hospitalières et sa clientèle, ainsi bien sûr que sa vie de famille dont elle nous parlait souvent, suffisaient à remplir une vie. Ce n’est qu’après sa mort que nous avons découvert tous ses investissements dans le domaine psychopathologique et social. C’est ainsi que nous avons appris qu’elle avait été membre suppléante du Conseil de l’Ordre des Médecins de la Seine. Après ces quelques éléments biographiques, certainement incomplets, nous aimerions parler de la personne à travers ceux qui ont partagé ses activités. Un proche collaborateur d’une époque de sa vie, Guy Maruani, écrit à propos de l’AEPN : « Elle était arrivée à cette compréhension que les attitudes sexuelles et procréatives n’avaient rien à espérer des vœux pieux de la morale, mais tout à gagner de la neutralité bienveillante des médecins et de leurs équipes. Il fallait aussi promouvoir l’éthique du psychanalyste par les intervenants dans le champ des problèmes de la naissance. L’AEPN a sombré en partie victime de l’ambivalence constitutive de Marie-Andrée Lagroua-Weill-Hallé, mais l’essentiel était fait, puisque la loi française avait inscrit ses idées dans la réalité par la création des centres de planification et d’éducation familiale et par l’exigence d’entretiens d’élaboration psychologique avant l’interruption de grossesse, par ailleurs libre et médicalisée. Marie-Hélène Fermé savait favoriser la réflexion par de régulières réunions de travail dont certaines pouvaient se tenir à la campagne où l’accueil permettait de savoureux échanges. C’était la joie dans la finesse et l’intelligence ». À propos du Centre Claude Bernard, Paulette Dubuisson et Claire Doz, qui ont travaillé avec elle de nombreuses années, témoignent du mélange de vigueur, de sensibilité, de modestie, d’originalité et de solidité dans le travail. Dans un article publié dans le compte rendu du XXe anniversaire de la création des Centres Médico-PsychoPédagogiques, sa manière de travailler peut être résumée ainsi : une équipe non fusionnelle où chacun a un rôle déterminé et apporte son image du cas qui vient rencontrer les images rapportées par les consultants. Ainsi s’établit une dynamique thérapeutique sur les réactions transférentielles et contre-transférentielles. Cette équipe, placée autour du cas, suppose que les divers intervenants communiquent entre eux de sorte que les consultants sentent la cohérence du projet. Une attitude thérapeutique volontairement optimiste fait choisir le traitement qui paraît le plus approprié sans se soucier du faux problème des «transferts latéraux».

Enfin, il est nécessaire de confronter le point de départ - la première consultation - et le point d’arrivée, ce qu’est devenu le consultant en fin de traitement ? Cette confrontation, elle s’y livrait à la fin de chaque année scolaire avec conscience et lucidité. Restant toujours médecin, elle ne négligeait pas l’examen somatique. On lui avait un jour conduit un enfant pour des angoisses scolaires qui se manifestaient par des maux de ventre à chaque départ pour l’école. Elle l’avait fait déshabiller et avait trouvé une hernie, totalement passée inaperçue, tant l’hypothèse «psy» avait prévalu. Il n’y avait chez elle, ni dogmatisme, ni tentation de culpabiliser les parents. Son souci primordial était l’intérêt de l’enfant. Sa formation psychanalytique lui avait permis de devenir pleinement médecin psychiatre et d’établir un lien par sa seule présence, son écoute et son sens de l’humour.

Ses collaboratrices terminent en disant : « Elle a traversé quasiment le siècle, vécu deux guerres, une évolution sociale considérable, mais elle paraissait sans nostalgie avec un solide optimisme thérapeutique, là encore immergée dans le temps présent avec ses enfants et petits-enfants ». Nicole Alby, qui a travaillé avec elle au planning familial, écrit : « Nous avons travaillé ensemble au planning familial, faisant de la formation pour les médecins et autres personnels impliqués dans ces structures, notamment en ce qui concernait les demandes d’avortement. Je me souviens de son efficacité au sens fort du mot, elle comprenait tout ce qui se jouait en profondeur et donnait des conseils d’un pragmatisme redoutable : il fallait revenir au réel, fuir l’idéologie. Elle savait enseigner si bien, sans aucune pédanterie et montrer combien les convictions personnelles devaient s’effacer si l’on veut comprendre les autres. C’était peu après mai 1968, les idéologies fleurissaient, notamment dans les milieux féminins. Avec un humour souriant, elle rappelait les réalités utiles aux soignants. Elle enseignait par ce qu’elle était et ce que l’on percevait de sa propre personnalité : exigeante pour elle-même, comprenant tout et restant tolérante et chaleureuse ».

On ne peut terminer sans parler de sa passion pour la Bretagne, du berceau familial de Tréguier, des noms bretons qui chantent (Bénodet, Beg-Meil, la Forêt Fouesnant), sans évoquer le vent des folles aventures maritimes, mais aussi les voyages et la famille : elle laisse neuf petits-enfants et onze arrière-petits-enfants, toujours à tour de rôle présents dans ses conversations extra-professionnelles. Que dire de plus ? Pour nous elle était capable de rire de beaucoup de choses, sans méchanceté, ni dérision. Pour les deux signataires, nous ne pouvons que témoigner combien nous lui étions attachés et à quel point, pratiquement jusqu’à la fin, elle s’est inquiétée des tourments de la psychiatrie et de ce que nous pouvions faire pour tenter de les résoudre. Marie-Hélène vous n’avez pas fini de nous manquer. ?


© EDK, 2010

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