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Editorial
Numéro
Perspectives Psy
Volume 62, Numéro 1, Janvier-Mars 2023
Page(s) 5 - 6
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2023621005
Publié en ligne 3 mars 2023

L’invasion russe en Ukraine semble en voie de déstabiliser profondément nos conforts et certitudes, et de remettre radicalement en cause nombre de nos pratiques. Les Européens de l’Ouest que nous sommes pensaient bien en avoir fini pour longtemps chez eux de la destruction devenue insidieusement inimaginable des corps, des esprits et des choses, telle qu’elle réapparaît pourtant depuis quelques mois sur les écrans et dans les commentaires.

Lorsque la vice-présidente de l’association des psychiatres ukrainiens, le Dr Irina Pinchuk, a invité la FFP à participer à une table ronde sur le thème des possibilités et modalités de reconstruction de leur système de santé psychiatrique largement détruit, nous avons bien évidemment répondu présents, et avons pu participer à cet événement organisé à Varsovie, la Pologne étant particulièrement concernée par l’accueil de réfugiés ukrainiens (plus d’1,2 million de personnes !) et par le danger de la proximité avec le grand frère russe… De nombreux autres pays européens ont pu contribuer, notamment les voisins proches de l’Europe de l’Est et du Nord, mais aussi l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les USA, Israël, le Japon.

Le Dr Irina Pinchuk a pu faire un bref mais terrible bilan des dégâts causés par cette agression sur le dispositif de soins psychiatriques : pas moins de neuf hôpitaux détruits, dont six de façon irréparable, des milliers de patients déplacés vers l’Ouest du pays, une vingtaine de morts parmi le personnel soignant, de très nombreux blessés, une grave désorganisation des soins…, et une souffrance considérable dans une population d’origine souvent mixte, comme elle-même.

La question posée pour cette table ronde fut-elle réellement traitée ? Pas vraiment, et on ne saurait s’en étonner, tant les perspectives à court terme paraissent troublées, aucune issue ou fin des hostilités n’apparaissant à l’horizon. Mais l’événement était sans doute utile et nécessaire à la mobilisation des esprits et au développement des réflexions et actions, au niveau européen et mondial.

Que peut-on faire aujourd’hui et demain pour aider l’Ukraine à retrouver un dispositif de soins psychiatriques suffisant ? Il est probable que les pays les plus expérimentés en matière de situations extrêmes, entre guerre, actes de terrorisme et catastrophes, sont bien plus à même d’intervenir sans délai, et l’association israélienne Enosh semble avoir missionné près de six cents de ses membres sur le terrain pour aider les Ukrainiens à faire face aux besoins des populations, malades ou pas, victimes de la guerre. Mais il faut bien reconnaître l’énorme écart existant entre les pays riches et en paix, sis à distance du champ de bataille, et les pays de moindre niveau économique, situés à une portée de bombe des agresseurs dont les menaces ne sont certainement pas prises à la légère. Que ce soient les Géorgiens, qui ont eu récemment à en découdre avec les Russes, les Polonais, les Roumains, les Baltes et les Scandinaves, tous sont à l’évidence très inquiets de la situation, et volontaires pour organiser une solidarité et une résistance.

Il n’en reste pas moins que :

  • Pour nous, Français, les distances géographique et culturelle, la barrière des langues, le chiffre modeste des réfugiés ukrainiens sur notre sol (moins de 100 000) font sans doute que la mobilisation des professionnels en santé mentale est restée relativement limitée.

  • La situation actuelle nous interpelle radicalement sur nos compétences en matière de psychiatrie de guerre, en quelque sorte, car si les précédentes décennies ont montré au cours de nos pratiques la persistance d’effets terribles et durables des guerres sur la vie psychique individuelle, familiale et sociale, s’étalant volontiers sur plusieurs générations, il s’est agi de traiter des effets d’après-coup, et non pas de conséquences immédiates, en général. Autrement dit, il nous faudra sûrement nous interroger plus avant sur la pertinence de nos analyses se référant aux PTSD, par exemple : quelles urgences en matière de santé mentale pour les civils ou militaires pris dans ces situations de guerre, quelles prises en charge utiles, de quelle manière et par qui ? Ou encore nous interroger sur notre offre de soins et d’accompagnement aux réfugiés.

  • Enfin, cette thématique des effets de guerre revient poser avec acuité la question de la langue, car si le recours à l’anglais dans les échanges techniques entre professionnels est une ressource incontournable dans une première approche, on ne voit pas qu’un soin cohérent puisse se construire hors la langue d’origine de l’intéressé; il nous serait sans doute utile de connaître le détail de nos ressources sur ce point, via un recensement des professionnels compétents ayant une bonne connaissance d’une ou plusieurs langues étrangères, et peut-être la FFP pourrait à ce propos prendre des initiatives utiles… De la guerre, donc, on en reprendra bien une portion, peut-être plus copieuse qu’on ne l’avait jamais pensée en tant que réalité actuelle sur notre sol ou à proximité; et si l’on sait que sa digestion peut être particulièrement longue et laborieuse, elle nous somme également d’imaginer comment il paraît possible d’en contrer les effets immédiats ou à court terme, et de nous préparer à inventer les dispositifs les plus adéquats, toutes populations confondues. Car si l’on sait bien que les plus vulnérables seront ceux qui paieront le tribut le plus lourd, comme les malades psychiques, par exemple, personne ne peut se prétendre psychiquement à l’abri lors des déchaînements de destruction systématique comme celui que l’on a sous les yeux.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


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