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Perspectives Psy
Volume 48, Numéro 4, octobre-décembre 2009
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Page(s) | 318 - 321 | |
Section | Editorial invité | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2009484318 | |
Publié en ligne | 15 octobre 2009 |
La pensée menacée
The threatened mind
EA 4050-LRPC, Université de Poitiers, France.
Depuis quelques temps, un sujet n’a pas vraiment bonne presse dans le paysage politique français : la vie psychique. Celle des humains en tous cas. Et l’on peut dire que la campagne présidentielle de 2007 fut en quelque sorte le déclencheur de cet état d’esprit. Car, si tous les candidats s’opposaient frontalement sur la plupart des sujets comme les perspectives économiques de notre pays, son avenir industriel, l’engagement européen, etc., tous étaient d’accord en revanche sur un point : la stigmatisation des filières universitaires qui fabriquent des chômeurs, à savoir les sciences humaines (SH)1 Il faut dire que de ce point de vue, l’année 2009 n’a guère du faire évoluer leur avis. En effet, en se prolongeant plusieurs semaines voire plusieurs mois, le mouvement de grève des universités françaises a donné l’occasion à leurs détracteurs de confirmer leur opinion sur la piètre valeur de ces disciplines. Prenant sans doute leurs désirs pour des réalités, ces contempteurs des SH annonçaient d’ailleurs l’extinction progressive de ces sciences trop molles à leur goût, comme la psychologie. Selon eux et pour ne parler que d’elle, la psychologie aurait donc dû faire sa rentrée à l’université sous de sombres auspices. Ses effectifs annoncés à la baisse, il devait s’ensuivre une diminution des enseignants chargés de l’enseigner, voire, pourquoi pas, sa disparition à plus ou moins court terme. Or, la plupart des données objectives concernant cette rentrée 2009/2010 témoigne au contraire de sa vigueur disciplinaire. Ainsi, malgré quelques chiffres qui s’effritent ici ou là pour les étudiants primo entrants, ces effectifs loin de décroître globalement, se maintiennent dans la plupart des universités et augmentent même pour certaines d’entre elles.
Alors ? Que penser de cette situation pour le moins déconcertante : d’un côté une demande sociale qui n’a jamais été aussi forte à l’adresse des scientifiques et des praticiens de l’esprit, de l’autre un discours politique qui les condamne à se taire ou, faute d’y parvenir, les dénonce sans ambages pour manque de pertinence, voire même pour insignifiance. Concernant la demande sociale, la situation est claire et les principaux indices vont tous dans le même sens. Dans le grand public d’abord, l’engouement pour la presse « Psy » ne fait que croître et les ouvrages des “psys” se publient à un rythme effréné. Du côté du législateur ensuite : ses efforts pour mettre au point le statut de « psychothérapeute » sont en train d’aboutir et désormais, la responsabilité de cette formation revient pour l’essentiel aux universités. Du point de vue des professionnels enfin : jamais les institutions sanitaires et sociales n’ont autant fait appel aux psychologues, y compris là où les postes de psychiatres restent vacants. Dans ces conditions, d’où vient le malaise qui s’installe sournoisement dans notre société vis à vis des choses de l’esprit, et pas seulement de la psychologie ? A défaut d’une réponse satisfaisante à la question ainsi formulée, quelques éléments d’actualité sur le sujet peuvent éclairer le contexte où elle se pose. Le dernier en date est emblématique : au cours de l’été 2009, la ministre de la santé a fait voter la loi HPST qui, sans la moindre concertation avec les professionnels impliqués, fait disparaître purement et simplement ces mots : « Les établissements de santé, publics et privés, assurent les examens de diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes en tenant compte des aspects psychologiques du patient ». La phrase était pourtant inscrite dans la loi depuis 1991. Malgré les démarches des principales associations de psychologues (FFP, SFP, SNP), rien n’y a fait : l’aspect psychologique des personnes accueillies peut désormais être ignoré par les établissements de soin, quels qu’ils soient. Depuis les dénis de grossesse jusqu’aux problèmes posés par la fin de vie, les équipes hospitalières se trouvent ramenées près de 20 ans en arrière : dans leur travail, la vie psychique n’a plus droit de cité. En réalité, divers indices de ce progressif désintérêt “officiel” pour le psychisme s’accumulent depuis quelque temps déjà. Et malgré les mises en garde répétées de spécialistes incontestés comme Edouard Zarifian2, ces indices n’avaient pas été clairement identifiés comme tels. En tous cas, pas avant que, début 2009, le désormais fameux Appel des appels ne soit lancé par Roland Gori et Stefan Chedri 3. Qu’on en juge.
Revenons à la campagne présidentielle de 2007. Invoquant une étude de l’Inserm sur les comportements des enfants dès trois ans, un candidat préconise le dépistage des futurs délinquants à la maternelle. Sans entrer dans le détail de l’étude (qui fut finalement retirée du site de l’INSERM sous la pression des professionnels de l’enfance), rappelons simplement que la vie psychique y était présentée essentiellement sous deux aspects :
une analogie comportementale entre l’enfant et le « petit animal de laboratoire »4
une exploitation statistique portant d’une part sur des échelles comportementales concernant ces enfants, et d’autre part sur des auto-questionnaires à leur sujet remplis par leurs parents en tenant compte de « (leur tendance) à minimiser l’importance et la sévérité du trouble (de leur enfant) »5 Autant dire que, réduit à sa plus simple expression, le psychisme de ces enfants en souffrance n’intéressait pas le moins du monde ces chercheurs “officiels”, pas davantage que les politiques d’ailleurs, dont les prétentions au dépistage précoce du profil antisocial a déclenché le tollé que l’on sait6.
Fin 2008, on s’en souvient également : chargée par la ministre de l’intérieur d’étudier le problème des adolescents délinquants et de réformer l’ordonnance de 1945, la commission Varinard rend ses conclusions, parmi lesquelles l’incarcération des mineurs dès l’âge de 12 ans, désormais justifiée. L’esprit du texte de 1945 visant à protéger les adolescents contre eux-mêmes est balayé. Une fois encore, les autorités furent obligées de publier elles-mêmes, peu de temps après, un démenti peu glorieux annulant cette préconisation. Pressé de transformer les enfants en adultes – du moins sur le plan pénal – le pouvoir semble presque revendiquer son ignorance quant aux caractéristiques psychologiques de l’adolescence. Un délit est commis par un adolescent ? La prison. Le risque pour cet adolescent en prison n’est-il pas l’identification aux truands adultes qu’il côtoie ? Ce refus d’en connaître davantage sur le fonctionnement psychique des jeunes étant devenu la règle, ce risque est ignoré, purement et simplement.
C’est toujours en cette fin d’année 2008 qu’un homme hospitalisé en psychiatrie, armé d’un couteau qu’il vient d’acheter lors d’une sortie autorisée, frappe un jeune homme au hasard dans la rue et le tue. La réaction du pouvoir est instantanée : dans un sinistre discours où les paroles creuses se mêlent aux rodomontades, un plan de « sécurisation » des hôpitaux accompagné de mesures spéciales pour les “malades difficiles” est annoncé, avec le budget correspondant : 70 millions d’euros. Des fonds que ces hôpitaux attendaient depuis des années pour améliorer la prise en charge des patients, pour mieux comprendre leur souffrance et pour faire progresser les conditions de travail des soignants, sont ainsi débloqués en quelques jours, mais à de toutes autres fins, exclusivement sécuritaires celles-là : portillons électroniques, caméras de surveillance, chambres sécurisées, dispositifs de géo-localisation des malades, etc. Les dénégations présidentielles n’y changeront rien7, et la criminalisation insupportable de la souffrance psychiatrique provoquera, elle aussi, un tollé. Plus de 26 000 signataires répondent à l’appel lancé mi-décembre par un collectif de 39 citoyens-soignants indignés, dont l’action fait aujourd’hui tache d’huile8.
L’année 2009 n’a guère été plus réjouissante pour ceux qui, afin de mieux la connaître, se penchent d’une façon ou d’une autre sur la vie psychique humaine et ses avatars. Certains spécialistes de l’autisme ont par exemple été pris pour cible, dans une misérable campagne de dénigrement à propos d’une de leurs techniques de soin : le packing. Brandissant les termes de « torture » ou de « traitement dégradant » à propos de ce traitement éprouvé chez certains autistes, ses adversaires prêtent aux pédopsychiatres qui le pratiquent, des intentions perverses, cruelles et sadiques. Alors que bien des mystères entourent toujours cet état particulier du psychisme qu’est l’autisme, ces opposants au packing, loin de s’interroger sur les apports de cette technique avant tout relationnelle, semblent surtout animés d’une haine féroce à l’égard de la psychanalyse, qu’ils accusent d’être une « anti-science » s’acharnant sur ces enfants, la plupart murés dans le silence. Davantage que l’intérêt pour cette vie psychique muette, la motivation des manifestants « anti-packing » n’est rien moins que la disparition de la psychanalyse.
D’une façon générale, haïr la pensée et les manifestations qui témoignent de sa complexité a rarement pris de telles proportions. Et si l’on en doutait, l’orientation actuellement prise par l’organisation du travail dans le système libéral est malheureusement là pour nous le rappeler. Ce que les spécialistes de cette question – psychanalystes pour beaucoup – appellent sobrement la « souffrance au travail »9 n’est en réalité que la conséquence de cette négation du psychisme, sur les lieux mêmes où l’activité économique prend sa véritable source : l’entreprise. Des suicides qui, depuis peu, se multiplient sur les lieux de travail et dernièrement, un homicide accompli sur la personne d’un chef d’entreprise : autant de signes qui devraient être entendus comme de véritables alarmes. Si ces phénomènes se produisent, c’est que, non seulement l’investissement du sujet dans la société ne lui permet plus d’y occuper une place justifiée par son travail, mais c’est aussi parce que, en tant que personne pensante, son existence est purement et simplement niée. Agir par peur (peur de ne pas « être à la hauteur », peur d’être humilié, peur de perdre ses avantages ou –plus grave encore- son emploi), et ne plus agir par goût du travail bien fait, avec la conscience de partager un effort collectif, voilà sans doute le redoutable poison qui s’insinue en ce moment dans les rouages de la société libérale. Certaines entreprises ont récemment mis en place un système de « tickets psy », sur le modèle du « ticket restaurant » : on va voir « un psy » comme on va déjeuner. Comment ne pas voir là, au mieux l’ignorance, au pire le mépris que témoignent les dirigeants d’entreprise à l’égard du psychisme de leurs employés ?
Paradoxalement, un mot démontre, à lui seul, à quel point l’homme n’a jamais été aussi proche de se considérer, lui et son semblable, comme un simple animal : le mot stress. Omniprésent dans le langage courant – y compris pour « expliquer » le suicide au travail – le recours à ce terme en masque les origines expérimentales, qui remontent aux années 1960 avec Selye, et 1970 avec Laborit. Soumis à une multitude de stimulations nocives (isolement durable, chocs électriques, privation de sommeil, de nourriture, etc.), les animaux ainsi « testés » présentaient divers « troubles », physiques ou comportementaux. Les chercheurs voulaient ainsi établir et surtout mesurer, pour un organisme « animal », les limites supportables de ces contraintes, appelées « stress ». Curieusement, personne ne rappelle aujourd’hui l’histoire de ce terme, préférant recourir à l’usage « chiffrable » qui peut en être fait. Pas étonnant, dans ces conditions, d’entendre le PDG de France Télécom parler de « contagion » à propos des suicides survenant dans son entreprise : présente dans n’importe quel organisme au même titre qu’un microbe ou une fragilité particulière, l’envie de se donner la mort « s’attraperait » au contact de ceux qui en sont déjà « atteints ». Quant à la vie psychique du personnel « stressé », il suffirait simplement de savoir mieux la “gérer”, sur le modèle de la « gestion » du progrès technique accompli par l’entreprise (France Info, 15 septembre 2009). Il est d’ailleurs frappant de constater l’usage d’un nouveau terme, qui permet aux dirigeants de dissimuler leur gêne vis à vis de cet encombrant « facteur » : le psychisme de leurs salariés. Associé à un autre mot qu’ils connaissent bien et pensent maîtriser dans leur activité, risque, voici ce nouveau terme managérial où se confondent désormais le social et le psychique, ce qui permet de les ignorer en tant que tels, et l’un et l’autre : le « risque psychosocial ».
Ce désintérêt collectif à l’égard des choses de l’esprit est-il finalement si gênant pour les citoyens que nous sommes ? A première vue non, car chacun tient à cette idée, qu’il use à sa guise de sa liberté de penser. Mais, parallèlement, loin des lieux de soin et de recherche clinique, l’État investit des sommes colossales dans des entreprises comme NeuroSpin, à Saclay, qu’il charge officiellement de trouver, à l’intérieur du cerveau, les sources de la pensée. Fasciné par le cerveau, autant que le sot peut l’être par le doigt du sage qui lui montre la lune, le responsable politique, jour après jour, nous impose sa propre fascination. C’est ainsi qu’il y a peu, des scientifiques ont caressé l’espoir de trouver dans le cerveau de ces bambins jugés troublés et troublants, non seulement la source de leurs pensées déviantes, mais également celle de leurs futures conduites asociales10. Refusant de concevoir l’activité cérébrale seulement comme condition nécessaire à la pensée, bien des scientifiques font mine de croire qu’elle en est la condition suffisante. Puisqu’ils oublient que le psychisme ne surgit pas ex nihilo, il faudra bien, un jour ou l’autre, leur rappeler que pour penser comme pour aimer, il faut être deux. Ce jour là, puissions-nous être encore assez nombreux pour les y aider.
La mise en place de la LRU permet de rappeler qu’à l’université l’enseignement et la recherche se subdivise en domaines (en l’occurrence le domaine : « Sciences humaines »), eux-mêmes divisés en mentions (par exemple : mention « psychologie »), qui sont à leur tour découpés en spécialités (par exemple : « psychopathologie clinique » ou « psychologie cognitive »).
« Le rapprochement entre les travaux sur l’agressivité du petit animal de laboratoire et les études épidémiologiques et neurobiologiques du trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent permet de mettre en évidence une relation inverse entre conduites agressives et anxiété ». (p. 38 de la synthèse).
© EDK, 2010
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