Accès gratuit
Numéro
Perspectives Psy
Volume 61, Numéro 4, Octobre-Décembre 2022
Page(s) 371 - 373
Section Hommage
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2022614371
Publié en ligne 4 janvier 2023

Le Professeur Paul Wiener nous a quittés le 18 décembre 2021. Je veux ici rendre hommage à mon camarade d’Internat puis de Médicat des Hôpitaux psychiatriques, et mon grand ami depuis lors.

Il s’est voué tout entier à la pensée et à la créativité, et la psychiatrie et la psychologie dans lesquelles il brilla, au service des patients et des étudiants, furent aussi pour lui les voies royales de la compréhension de cette Pensée et de cette Créativité. Ainsi y a-t-il là une grande cohérence dans toute sa vie avec sa fréquentation, sa générosité et son amitié envers les artistes les plus novateurs ? Et son amour de la liberté, liberté physique et liberté de parole. C’était un homme agissant avec honneur, intégrité et attention envers les autres. Un « Honnête Homme » à tous les sens du terme.

Il était né à Debrecen en Hongrie en octobre 1935. On sait d’après un entretien préparatoire à une Rencontre avec Paul Wiener organisée en 2013 à l’Institut Hongrois de Paris que son grand-père maternel était Président d’une communauté juive située à une soixantaine de kilomètres de cette ville, dont il avait fait construire la synagogue. Lui-même passa donc les dix premières années de sa vie sous le régime antisémite de l’Amiral Horthy, puis sous le nazisme. Il raconta que converti par ses parents en 1940 dans l’espoir de le protéger, il avait réintégré à sa demande la communauté juive en 1955.

Pendant les déportations des Juifs de Budapest puis le siège de cette ville, il vécut caché avec sa mère, dans une cave si mes souvenirs de son récit sont exacts.

Il fut un adolescent très sportif puis un jeune homme créatif, inventant une technique de « statuettes de thé ».

Il bénéficia des excellents enseignements de l’École Supérieure de Psychopédagogie de Budapest, fondée autrefois par Leopold Szondy, l’auteur du fameux test de personnalité portant son nom, dans laquelle l’orthophonie, la psychomotricité, l’éducation spécialisée étaient matières obligatoires pour tous les étudiants.

Profitant des premiers jours de la Révolution hongroise de 1956, il réussit à quitter le pays et à se réfugier à Vienne. Il souhaitait partir en Angleterre ou aux États-Unis, mais un départ organisé pour la France offrait quelques places et il décida brusquement d’en profiter.

À Paris, il étudia la médecine puis la psychiatrie. C’est je crois en salle de garde de Sainte-Anne que je fis sa connaissance, je me souviens que je fus impressionné par l’humour et la culture de cet homme à l’accent prononcé, qu’il ne perdit d’ailleurs jamais. Nous passâmes la même année, 1967, l’Internat des Hôpitaux Psychiatriques de la Seine, puis en 1974 le concours du Psychiatricat.

Il sut toujours choisir les maîtres dont la finesse et la culture correspondaient à la sienne. Licencié en Psychologie en 1960, il soutint sa Thèse de lettres, mention Psychologie, sous la direction de Didier Anzieu en 1979. Il s’intéressa à la psychosomatique avec Pierre Marty, s’orienta vers la psychanalyse avec Janine Chasseguet-Smirgel. Bela Grunberger et l’ethnopsychiatre Georges Devereux le firent aussi bénéficier de leur savoir.

Il trouva toujours le temps d’être un militant engagé et un animateur d’associations professionnelles : dès le début des années soixante dans le « Groupe d’Étude de Psychologie des Étudiants en Médecine de la Faculté de Médecine de Paris » qui organisa en 1962 le premier cycle de conférences sur la psychanalyse dans une Faculté de Médecine en France et a contribué à l’introduction en France des groupes Balint [1]. Il s’engagea dans le mouvement des jeunes psychiatres qui à partir de 1968 contribua à la réorganisation des Hôpitaux Psychiatriques et de l’enseignement de la psychiatrie. Co-président de l’Association « Psychologues et Médecins » il organisa en 1969 une Journée de travail sur « La place du psychologue dans l’Équipe psychiatrique ». Présidée par Mme Juliette Favez-Boutonnier, y participèrent notamment Georges Daumezon et Roger Mises [2]. Avec Jacques Constant il fonda en 1985 l’Association des Psychiatres de Secteurs Infanto-Juvéniles (API). De 1997 à 2001 il anima le Groupe des Psychiatres Publics d’Enfants et d’Adolescent d’Île-de-France et prit part à l’organisation de nombreux groupes de travail et de Journées de Travail régionales en collaboration avec l’ARH d’Île-de-France.

Il fut Maître de Conférences en Sciences Humaines Cliniques à Paris VII de 1970 à 1981 puis Professeur de Psychopathologie à Paris XIII jusqu’en 1983.

Sur le plan hospitalier, après avoir été Assistant dans le service de Lantéri-Laura à l’Hôpital Esquirol, il fut nommé Médecin-Chef de service et de secteur de Psychiatrie infantojuvénile à Meaux en Seine-et-Marne. Il pratiquait la psychanalyse, la psychothérapie familiale et affrontait les difficultés de la psychothérapie des jeunes psychotiques.

En Seine-et-Marne, il organisa dix-sept Journées d’Études départementales avec la participation des psychiatres et psychanalystes Léon Kreisler, Philippe Jeammet, Philippe Gutton, du juge pour enfants Jean-Pierre Rosenczveig et de bien d’autres.

Dans ses recherches, passionné justement par les problèmes posés par les psychoses, il fut un précurseur dans l’interdisciplinarité, travaillant sur l’application en psychologie de la théorie des catastrophes de René Thom et des travaux sur la thermodynamique d’Ilya Prigogine.

Il faut aussi particulièrement insister sur la relation que toute sa vie il entretint avec les arts et les artistes les plus doués et originaux. Déjà depuis l’époque de Saint-Maurice, il fut accueilli dans le groupe de théâtre de Bob Wilson pendant une dizaine d’années. Lorsque le poète hongrois János Pilinszky ou le célèbre pianiste Zoltán Kocsis, qui fut aussi compositeur et chef d’orchestre, venaient à Paris, c’était dans son appartement rue Lacépède à Paris qu’ils séjournaient.

En 1983, Paul Wiener publia aux PUF Structure et processus dans la psychose, et en 2010, avec Miklos Bokor, chez L’Harmattan, un livre très remarquable : Peut-on en finir avec Hitler ? qui porte en sous-titre « Long cheminement, dénouement abrupt. – Essai d’inspiration psychanalytique ». Dans ce livre, d’une grande actualité en nos temps où fleurissent négationnisme et reprise de l’antisémitisme, Paul Wiener considère successivement la personne d’Hitler, les relations entre fidèles des religions chrétiennes et du judaïsme, l’Europe et l’Allemagne, ensuite « la régression national- socialiste en partant de l’étude de certains mécanismes de vécus individuels, comme la régression et le sublime »; puis l’action d’Hitler et les responsabilités de ses adversaires. Le dernier chapitre interroge : quel peut être l’apport des survivants ?

Il existe en hongrois un mot venu du yiddish : « Mensch » : un Mensch est un homme agissant avec honneur, intégrité et attention envers les autres.

Cet homme, qui brilla au service de ses patients et de ses étudiants, par son amour de la liberté, sa générosité et son amitié envers les artistes les plus novateurs, sa propre créativité dans de multiples domaines, cet homme, Paul Wiener, doit être qualifié de Mensch.

Paul Wiener est mort entouré d’Anne sa compagne et de ses deux enfants, Anne-Judith et Nandor.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Sur les groupes Balint : « Activités du Groupede Psychologie de l’Association des Étudiants en Médecine de Paris » (1964) numéro consacré à la Formation psychologique des médecins dans la Revue de Médecine Psychosomatique, 6 (4). [Google Scholar]
  2. Les travaux de cette journée ont fait l’objet d’un No spécial de L’information Psychiatrique (1969), 45 (9). [Google Scholar]

© GEPPSS 2022

Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.

Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.

Le chargement des statistiques peut être long.