Numéro
Perspectives Psy
Volume 61, Numéro 3, Juillet-Septembre 2022
Page(s) 234 - 239
Section Les Équipes Mobiles en Psychiatrie : du bébé au sujet âgé
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2022613234
Publié en ligne 15 septembre 2022

© GEPPSS 2022

Introduction

Du fait de la réorganisation de la psychiatrie de secteur, de son manque chronique et continu de moyens depuis des décennies, de la diminution des lits d’hospitalisation et de l’augmentation des demandes, l’accès aux soins psychiatriques est plus que jamais difficile pour les patients âgés.

En étant optimiste, on peut dire que l’absence de moyens a pour vertu de stimuler la créativité, comme l’absence de la lettre e dans l’ouvrage « La disparition » avait pu stimuler celle de Georges Perec... Dès lors, les soignants ont fait appel à leur inventivité et ont expérimenté d’autres formes de soins, plus efficientes, plus proches des patients et de leurs aidants, naturels et professionnels. Le mouvement n’est d’ailleurs pas limité à la France et l’inspiration étant une maladie contagieuse, les soins en mobilité se sont développés, le plus souvent avec succès sur le plan international.

Une trentaine d’années après les premières réflexions, les équipes mobiles de psychiatrie du sujet âgé (EMPSA) s’imposent aujourd’hui comme une forme de réponse efficace et opérante pour faire face à une demande de soins croissante pour une population vulnérable et de fait, peu mobile.

La population française vieillit, la part des personnes âgées de 65 ans ou plus représente au 1er janvier 2020 20,5% de la population, soit une augmentation de 4,7 points en 20 ans; en se basant sur les projections de population publiées par l’INSEE, la part de cette population représenterait un habitant sur quatre en France en 2040 (Insee, 2020).

Au sein de cette population, on sait que l’un des facteurs de risque des troubles psychiques est l’isolement, qu’il soit social ou familial. Il génère le sentiment douloureux de solitude. D’après l’enquête réalisée en 2014 : une personne âgée sur quatre est isolée, soit 25% contre 16% en 2010, quatre millions de personnes de plus de 60 ans vivent seules, et un tiers des Français de ce groupe d’âge n’a plus personne à qui parler de ses problèmes personnels (Association Mona Lisa, 2020). Cet isolement accroît également les difficultés pour réaliser les actes de la vie quotidienne : qui de l’accompagnement chez le médecin, qui du partage d’expérience, qui de l’épaule sur laquelle s’appuyer ou des bras à éteindre lorsqu’on est heureux de se retrouver ?

Or on sait que les troubles mentaux constituent la première cause de morbidité et de mortalité prématurée chez le sujet âgé (Artero et al., 2006). Le trouble le plus fréquent, le plus morbide et pourvoyeur de baisse de qualité de vie est la dépression. Les valeurs de prévalence sont extrêmement variées, de 10 à 50%, en fonction du lieu de vie et de l’avancée en âge (Tayaa et al., 2020). La probable sous-estimation des troubles dépressifs chez la personne âgée étant liée à son sous-diagnostic, en raison d’une présentation clinique atypique, de l’intrication avec des pathologies neurocognitives ou de symptômes associés à tort à un vieillissement « normal ». Le corollaire direct du sous-diagnostic de la dépression est le suicide, dont le taux augmente de façon très significative avec l’âge (Hanon et al., 2018). En 2016, 32% des suicides ont concerné les plus de 65 ans (Lavaud et al., 2022).

Contexte

Depuis la naissance de la politique de secteur française dans les années 60, son application en 19722 puis sa généralisation dans les années 80, le secteur psychiatrique a pour mission de soigner les patients au plus près de leur lieu de vie et de maintenir au mieux leur intégration dans la cité. Les soins ambulatoires représentent l’essentiel des prises en charge psychiatriques, près de 80%. Or, pour les personnes âgées, l’idée qu’on puisse développer l’ambulatoire est assez récente... et pourtant, s’il y a bien une population qui a du mal à accéder à des soins en dehors du domicile, c’est bien celle-ci ! De plus il a été montré qu’une hospitalisation chez une personne âgée de plus de 75 ans était pourvoyeuse d’une iatrogénie nosocomiale de façon significative, avec risque de perte d’autonomie plus importante à la sortie qu’à l’entrée : perte de la marche, incontinence, troubles cognitifs, etc. (HAS, 2017).

Avec la reconnaissance de la gériatrie en tant que spécialité en France en 2004 et son développement, les soins se sont décentrés de l’hôpital avec la création des équipes mobiles gériatriques (BO, 2007).

Plus récemment, sur le modèle canadien PRISMA (programme de recherche sur l’intégration des services de maintien de l’autonomie), plusieurs dispositifs de coordination entre la ville et l’hôpital se sont créés (Hébert et al., 2008) : réseaux de santé, méthodes d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie (MAIA), gestion de cas, coordinations territoriales d’appui, expérimentation nationale sur les personnes âgées en risque de perte d’autonomie (PAERPA), etc. À partir de 2021, une volonté de simplification et de lisibilité de ces offres a conduit à la mise en place d’une structure unique : le dispositif d’appui à la coordination (DAC). Ce changement montre l’investissement de la politique de santé publique dans la prise en charge ambulatoire et la gestion des situations au domicile de manière fluide et simplifiée.

Les EMPSA s’intègrent dans ce mouvement général de simplification du parcours de soins des patients âgés. Parallèlement, ce type de dispositif psychiatrique a été bien accueilli par les centres médico-psychologiques (CMP), dispositifs connus et fonctionnels, mais pour beau-coup en manque de disponibilité de soignants et d’expertise gérontopsychiatrique. L’expérience montre que la sanctuarisation du temps dédié à la mobilité majore l’efficience et l’expertise du soignant concerné, ce qui est sou-vent difficile à mettre en place sur les CMP. Par essence, les troubles psychiatriques du sujet âgé relèvent de situations complexes nécessitant des compétences, du temps, une organisation et une articulation spécifiques. Lorsque les aidants et les professionnels se retrouvent confrontés à un trouble psychiatrique, il est souvent difficile d’avoir un accès rapide vers une consultation dédiée.

Deux cas de figure peuvent se présenter : la personne est atteinte d’une maladie psychiatrique chronique, connue et vieillissante, le suivi ne pose généralement pas de soucis en dehors des changements de secteur lors de l’entrée en institution par exemple; la situation se complique lorsque la personne est atteinte d’un trouble psychiatrique de novo, du fait de la perte d’autonomie, des intrications neurocognitives, de la polymédication, d’éventuels troubles de la marche ou également d’une forme de réticence à consulter en psychiatrie.

Enfin, le bénéfice des hospitalisations de patients âgés au sein d’un secteur de psychiatrie adulte est parfois relatif, du fait de l’inadaptation des locaux, de la moindre disponibilité de soins somatiques, a fortiori gériatriques, du risque de perte d’autonomie et de régression inhérents à l’hospitalisation et de l’absence de structures d’aval.

Les missions d’une EMPSA sont donc multiples :

  • améliorer l’offre de soins psychiatriques spécialisés auprès des personnes âgées;

  • favoriser l’accès et la continuité des soins;

  • initier des prises en charges ambulatoires;

  • favoriser les alternatives aux hospitalisations;

  • proposer une évaluation du diagnostic et de la thérapeutique et une orientation vers des soins adaptés;

  • améliorer et rendre lisible un travail de réseau avec les différents partenaires;

  • apporter une offre de formation.

Modalités de fonctionnement

L’intervention au domicile des patients, à leur demande ou à celle des aidants naturels (famille, proches) ou professionnels, permet sou-vent une meilleure acceptabilité des soins, et apporte une expertise et une ouverture vers un parcours de soins individualisé et adapté (Houbin, 2015).

L’organisation d’une EMPSA, bien que différant d’une équipe à l’autre, s’articule autour de plusieurs points communs :

  • la détermination d’un territoire d’intervention;

  • le seuil d’âge (60, 65, 70 ans selon les équipes);

  • les modalités de fonctionnement (accessibilité de l’équipe, modalités de réponses, identification des partenaires etc.).

Les équipes sont pluridisciplinaires, formées d’infirmiers, de psychiatres, parfois de psychologues, d’orthophonistes, d’ergothérapeutes et d’assistants sociaux, afin d’enrichir les regards et d’assurer des missions à différents niveaux : recueil de données, évaluations cliniques spécifiques, passation d’échelles psychométriques, rédaction de préconisations thérapeutiques individualisées, entretiens familiaux et démarches institutionnelles, supervision d’équipes...

La durée du suivi est limitée, dans le temps ou dans le nombre d’intervention, et est variable en fonction des équipes et des moyens. Cette limitation est liée au fait du territoire d’intervention, qui s’étend en général sur un bassin de vie de 500 000 habitants, soit l’équivalent de 5 à 7 secteurs de psychiatrie adulte, et qui est la condition sine qua none pour garder une fluidité dans les prises en charge. L’intersectorialité permet également de répondre à l’hétérogénéité des ressources disponibles en psychiatrie de la personne âgée d’une commune à l’autre, et de rendre plus lisible l’offre de soins.

Des équipes articulées sur un seul secteur peuvent alors fonctionner sur des modalités différentes, plus assimilées à celle de l’activité ambulatoire classique, et assurer les suivis des personnes au long cours.

Les visites se font à domicile, en établissements et services médico-sociaux (ESMS) ou en établissements d’hébergement pour personnes âgées (EHPAD et résidences autonomie).

La plupart des EMPSA assurent des missions d’évaluation et d’accès aux soins. Enfin, un relais de suivi est à organiser, que ça soit au sein du secteur psychiatrique quand cela le nécessite, mais aussi avec le médecin traitant, les réseaux de santé ou via les dispositifs de la filière gériatrique et/ou neurologique. Ce relais est d’autant plus facilité qu’il y a des visites réalisées conjointement avec l’EMPSA et les partenaires.

Perspectives

En se rendant au domicile de la personne âgée, le soignant concerné quitte volontairement le confort de son bureau. Il ne reçoit pas un patient dans son cabinet de consultation mais est invité par le patient dans son environnement. C’est une formidable occasion de faire du lien, d’aller vers.

En se déplaçant au sein d’une institution comme un EHPAD, le soignant se met à disposition de cette dernière, permettant le recueil des plaintes et des difficultés rencontrées avec un résident, apportant une meilleure compréhension des situations, et améliorant ainsi la tolérance et l’acceptabilité de la maladie mentale, par une acculturation progressive et nécessaire. Les soignants d’EHPAD sont bien trop souvent démunis face à la souffrance de résidents qui s’exprime par des propos suicidaires ou des troubles du comportement. Le recours à l’expertise psychiatrique ne doit plus relever du parcours du combattant !

En juin 2018, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, 2018, présentait une feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie. Parmi les différentes mesures envisagées, plusieurs pouvaient s’appliquer à la population âgée et aux missions des équipes mobiles :

Cette prise en considération de la psychiatrie qui reste toujours le « parent pauvre » de la médecine en France fut une avancée bienvenue pour notre spécialité avec certaines mesures qui commencent à se concrétiser. D’abord un délégué ministériel, professeur de psychiatrie, Franck Bellivier a été nommé en 20193. Deux ans plus tard, les 27 et 28 septembre 2021, se tenaient les Assises de la Santé Mentale et de la Psychiatrie durant lesquelles une évaluation des actions entreprises était réalisée. L’annonce, via l’action 17 bis, d’une « augmentation du nombre d’équipes mobiles psychiatriques intervenant auprès des personnes âgées en EHPAD et autres ESMS » permit une avancée majeure et une ouverture en termes d’offre de soins, lui donnant toute la place qu’elle nécessite auprès de cette population vulnérable.

Cette action a mis en lumière les enjeux d’une prise en charge des troubles psychiques vieillissants, accompagnés des problématiques somatiques intriquées et de la perte d’autonomie, des difficultés d’accès à la médecine générale et des accompagnements sociaux.

La mesure 7 des Assises de la Santé Mentale a dédié une enveloppe de 5 millions d’euros dès 2022 pour la création des 20 équipes mobiles en direction des personnes âgées (Lejoyeux, 2021). Des travaux sont prévus pour définir les modalités d’allocation des crédits via des échanges préalables avec les ARS et la Commission nationale de la psychiatrie.

Conclusion

Les EMPSA, dont les missions s’articulent au-tour de 3 principaux axes : évaluer, orienter et coordonner, assurent une modalité d’évaluation et de prise en charge pertinentes, pour des situations complexes auprès de personnes âgées vulnérables.

La reconnaissance sociétale et les mesures sanitaires actuelles laissent présager d’une volonté et d’une dynamique positive envers un essor de ces équipes au niveau national dans les prochaines années. Force est de constater que ces équipes, souvent de dimensionnement modeste en termes de ressources humaines, demeurent fragiles et tributaires de l’engagement et de la motivation des soignants concernés, à défaut d’être portées sur un plan institutionnel. Les EMPSA doivent constituer un maillon essentiel dans les soins proposés à la population âgée, elles doivent se développer et se pérenniser pour participer à un parcours de soins et de santé optimisés.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

DAC : Dispositif d’Appui à la Coordination.

2

Circulaire du 14 mars 1972 relative au règlement départemental de lutte contre les maladies mentales, l’alcoolisme et les toxicomanies, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000850881

3

Décret no 2019-380 du 29 avril 2019.

Références

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  2. Circulaire du 14 mars 1972 relative au règlement départemental de lutte contre les maladies men-tales, l’alcoolisme et les toxicomanies. [Google Scholar]
  3. Décret no 2019–380 du 29 avril 2019 portant création d’un délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, 2019–380 (2019). [Google Scholar]
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