Numéro
Perspectives Psy
Volume 60, Numéro 4, Octobre-Décembre 2021
Page(s) 345 - 346
Section Hommage au Docteur Jean-Luc Marcel
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2021604345
Publié en ligne 28 février 2022

Il y a un an, le 6 juillet 2020, l’équipe de Psychiatrie de la Personne Agée apprenait avec stupeur la mort soudaine du Dr Jean-Luc Marcel. La mort est une donnée qui travaille en sourdine l’équipe par le simple fait qu’elle est « présente » dans un lieu où l’âge moyen des patients pris en charge est de 77 ans. La mort est une donnée qui émerge dans l’équipe lors des décès des patients, mort quelquefois inattendue, mais pensable dans l’inscription de la temporalité humaine et plus souvent, attendue, après des maladies longues et accompagnées. La mort est enfin une donnée qui rôde dans l’équipe sans que des mots la désignent d’emblée. La mort, dans une équipe de gérontopsychiatrie est celle des patients que nous prenons en charge.

Emportant notre chef de service et chef de pôle, elle emportait avec lui l’assurance d’être accompagnés dans notre mission de soin. Le Dr Marcel a soutenu notre équipe durant des années, lui permettant, simplement, de travailler. Précurseur1, il reconnaissait la psychiatrie du sujet âgé comme une spécialité à part entière avec toutes ses spécificités et les difficultés de prise en charge qu’elle génère, d’un point de vue médical mais aussi psychologique. Aussi, depuis plus de 20 ans, l’équipe « Personnes Âgées » des 5e et 6e arrondissements a pu travailler en liberté grâce à un dispositif dédié : psychiatres, infirmiers, psychologue, psychomotricienne et assistante-sociale. Autant de professionnels spécialisés dans l’avancée en âge, se déplaçant déjà au domicile des patients et travaillant en étroite collaboration avec les services médicaux et sociaux implantés dans la ville. En 2019, il a suscité la création d’un CATTP spécifique réservé aux patients seniors qui permet aux patients d’accéder à des soins spécifiques en groupe2, une première dans l’offre francilienne. Depuis le 1er janvier 2021 ce dispositif complet et pluridisciplinaire que constitue « l’Equipe Mobile de Psychiatrie de la Personne Âgée » est élargi au 7e arrondissement dans le cadre du projet de fusion de nos secteurs.

Ainsi depuis des années, les professionnels se déplacent et rencontrent le patient dans son environnement quotidien, pour un suivi au long cours, une consultation ponctuelle, ou une évaluation. La psychiatrie du sujet âgé fait appel à un savoir faire et un savoir être respectant les repères de la personne, sa temporalité, ses ancrages, ses désirs et ses peurs.

En voici des exemples : Madame Z vit dans un petit studio vétuste, sombre où le lit n’est qu’un grabat et l’unique fauteuil permet de recevoir l’infirmière qui la suit. Le sol est fait de morceaux de moquette arrachée, vestige d’un confort lointain, et l’atmosphère est lourde d’une odeur rance. Madame Z ne veut rien, pas même le minimum auquel elle aurait droit et surtout, elle ne veut pas quitter ce lieu qui est celui de sa vie. Elle mange quelquefois les restes trouvés dans les poubelles et se fait, lorsqu’il fait froid, une sorte de houppelande de ses cheveux compacts et traînants jusqu’à terre. Le suivi durera plusieurs années pour qu’elle accepte de retrouver des papiers d’identité, des aides auxquelles elle avait droit. Enfermée par une culpabilité et un masochisme tyrannique, elle sera emmenée pour une décompensation somatique, et mourra dans les draps blancs d’une première nuit d’hôpital.

Monsieur X, bien connu de son quartier, hurle, vocifère dans la rue, attend un signe, une lettre du Vatican : aucune réponse. Les injections régulières prévues par le programme de soins l’empoisonnent, et au décours de sa maladie il les refuse. Après plusieurs années de suivi et à l’occasion de départ de soignants, pour lui à la fois amis presque intimes et persécuteurs, il refuse les passages infirmiers et tout le suivi. Monsieur X ne va pas plus mal depuis son arrêt des traitements... On le rencontre toujours... assis à la terrasse d’un café... soliloquant, on le salue en passant, il fait de même, tranquillement... pour combien de temps ? Personne ne peut le savoir. Il suffira d’un mouvement infime ou d’un cataclysme pour ce patient, pour qu’il se produise un bouleversement, une rupture. Tout comme l’équipe «Personnes Âgées» apprenant la mort du Dr Marcel a-t-elle été traversée par la sidération, la douleur puis le deuil ? Deuil de cette silhouette dynamique, arpentant Paris d’institution en institution, d’équipe en équipe, blazer bleu et sac en bandoulière... oui... dynamique. Quel soignant aurait pu pensé que ce lundi 6 juillet, absent à la réunion des médecins, il ne serait plus là, plus jamais ? Qui ? « On ne sait ni le jour ni l’heure... ». Alors veillez... Sur vos collègues, sur ces personnes qui sont les compagnons de route de cette psychiatrie de secteur car en effet on ne sait ni le jour ni l’heure.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


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