Numéro
Perspectives Psy
Volume 60, Numéro 3, Juillet-Septembre 2021
Page(s) 244 - 248
Section Douleur chronique : de la pédiatrie à la pédopsychiatrie (2)
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2021603244
Publié en ligne 1 février 2022

© GEPPSS 2021

Introduction

Devant des comportements surprenants, tels que marcher alors qu’il existe une fracture au niveau d’un membre inférieur; devant l’absence d’expression évidente de douleur, soit au niveau sonore, soit au niveau des mimiques faciales, en réponse à une stimulation douloureuse (douche trop chaude, piqûre, infection…); devant la reproduction ou la répétition d’automutilations sévères que l’on imagine douloureuses (coups, morsures…), nous pourrions rapidement conclure que les personnes porteuses de TSA ne ressentent pas la douleur ou y sont insensibles [2].

Les travaux consacrés à ce sujet ont montré qu’il est maintenant acquis que la douleur existe aussi pour ces personnes [3].

Il faut donc en faire la prévention, rechercher son expression souvent subtile afin de pouvoir la repérer et la prendre en charge.

Discussion

La question qui nous est posée dans nos consultations « douleur et TSA » est la suivante : les « comportements problèmes » décrits peuvent-ils être expliqués en partie ou totalement par l’existence d’une douleur ? Pour répondre au mieux à cette question il est nécessaire d’avoir une connaissance du profil sensoriel de la personne [15, 16] et d’une évaluation de la communication afin de préciser son niveau de compréhension au quotidien, en particulier lorsqu’il existe une déficience intellectuelle (DI) associée. Pour les personnes sans DI, les particularités sensorielles souvent présentes entraînent aussi une expression particulière de la douleur [4].

En effet, rapprochons la classification des TSA dans le DSM-5 et la définition de la douleur.

La classification des TSA dans le DSM-5

  1. Déficit de la communication et des interactions sociales :

    • Déficit de réciprocité sociale ou émotionnelle

    • Déficit des comportements non verbaux

    • Déficit du développement, du maintien et de la compréhension des relations

  2. Caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts :

    • Mouvements répétitifs ou stéréotypés

    • Intolérance aux changements, adhésion inflexibles à des routines

    • Intérêts restreints ou fixes, anormaux dans leur intensité ou leur but

    • Hyper ou hyposensibilité aux stimuli sensoriels

Définition de la douleur (IASP 1996)

« La douleur est l’expression d’une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle ou décrite dans les termes d’une telle lésion » [17].

La périphrase « décrite dans les termes d’une telle lésion » ne doit alors pas être comprise comme une expression orale descriptive mais une analyse de la modification du comportement.

Le retard de prise en compte de la douleur est aussi en lien avec une tendance à l’interprétation des comportements plutôt que leur observation fine et leur description précise. On entend souvent dire suite à une réaction inappropriée : « Il est intolérant à la frustration ». Nous savons bien pour nous-mêmes qu’une douleur chronique, sourde et permanente, peut nous conduire à répondre désagréablement à une personne qui viendrait nous interpeler alors que nous ne sommes pas vraiment disponibles.

Un autre fait remarquable qui participe au retard de prise en charge est que l’expression de la douleur peut être décalée dans le temps par rapport à la stimulation douloureuse. Dans les TSA, afin d’éviter l’apparition d’une anxiété majeure, il est nécessaire d’organiser au mieux les activités en les planifiant dans la journée pour qu’elles soient facilement identifiées. On a donc recours à des plannings ou des agendas adaptés à la compréhension de la personne. Cette dernière peut alors repérer ce qu’elle doit faire et le lieu où l’activité doit se réaliser. Cette structuration du temps et de l’espace participe au sentiment de sécurité et évite l’apparition trop rapide du stress induit par l’incertitude. Ce traitement séquentiel de l’information, c’est-à-dire la possibilité de ne traiter la demande que si elle est clairement exposée, isolée d’autres stimulations et priorisée dans le temps, va faire traiter l’action prévue et repérée puis la suivante attendue. Le traitement de « l’information douleur » se fera alors lorsqu’il n’y aura plus aucune tâche de prévue. Il est donc tout à fait possible d’avoir l’expression d’une douleur en fin de journée alors que la stimulation douloureuse initiale date de plusieurs heures auparavant [5].

De plus le lien n’est pas toujours fait par la personne entre la stimulation douloureuse et l’inconfort occasionné « Sentir et penser en même temps sont deux tâches difficiles pour la personne autiste » (Pierre Vermeulen – autisme et émotion) [12].

Le retard de prise en charge vient aussi de la méconnaissance de certains soignants de la non-intégration du schéma corporel dans les TSA. Se taper la tête ou dire j’ai mal à la tête peut être un signe de douleur mais rarement une indication de sa localisation. Beaucoup d’exemples illustrent cela.

Le langage souvent écholalique peut conduire à une orientation fausse. Les réponses sont très souvent induites par nos questions. L’expérience montre que pour ces personnes TSA avec déficience intellectuelle, avoir le langage conduit moins rapidement à une prise en charge correcte en comparaison de celles qui ne parlent pas. Pour les personnes qui ne parlent pas, nous sommes obligés de faire des observations plus fines.

Il est aussi nécessaire de parler de la fonction que peut avoir une automutilation et du lien entre antécédent de douleur (digestives par exemple) et automutilation [6]. En effet la prise en charge et donc le soulagement d’une douleur va alors entraîner une nette régression des automutilations. Il faut donc comprendre l’automutilation comme la recherche d’un soulagement (se produire une forte douleur permettant de ne plus ressentir la douleur initiale) et non pas comme le fait de ne pas ressentir la douleur. Malheureusement lorsque les interventions sont trop tardives nous avons pu constater que certains gestes (se frotter l’oreille, se mordre la main…) mis en place sous forme d’automutilation au moment de l’existence des lésions douloureuses vont rester et se transformer en gestes stéréotypés avec cependant un niveau d’intensité et de fréquence moindre [7]. Une prise en charge sensorielle est alors nécessaire pour participer à la réduction des troubles [14].

La prise en charge clinique doit donc tenir compte de la communication [8], des particularités sensorielles (avec la compréhension de la fonction de certaines automutilations) et de la non-intégration du schéma corporel. Sans oublier ce qui fait le plus défaut : le temps !

À ceci s’ajoute une anxiété quasi permanente qui se traduit par une augmentation de la fréquence cardiaque, par la présence de troubles neurovégétatifs, à l’origine de réactions qui nous semblent disproportionnées en regard du seul trouble somatique [9].

L’observation faite par les professionnels au plus près des personnes TSA et, bien entendu, celle faite par les parents, apportent des éléments indispensables à la recherche de la douleur.

Pour repérer la douleur, nous nous aidons d’outils d’hétéro-évaluation permettant de regrouper ces observations. Les grilles douleurs sont multiples et donc a priori peu supérieures les unes aux autres. Avec « le collectif douleur » de notre région Auvergne-Rhône-Alpes [18], nous avons choisi préférentiellement la grille GED-DI (NCCPC) en raison du système de cotation proposé [1, 10]. En effet, il s’agit de coter la fréquence des troubles. Cela nous a semblé le plus pertinent car il est très clairement observé une accentuation de troubles existants a minima mais qui vont augmenter en fréquence. Cela implique la réalisation d’un état de base avec la même grille qui permettra d’objectiver les expériences douloureuses par l’augmentation de fréquence des troubles décrits. Il est nécessaire d’avoir un apprentissage et un compagnonnage à l’utilisation de cette grille [10] (comme des autres d’ailleurs). Ainsi nous avons observé une réduction de moitié des événements indésirables d’une structure dans laquelle tous les professionnels ont été formés à la douleur et à l’utilisation de cette grille dans un projet porté sur le plan institutionnel.

Illustration à partir de cas cliniques

Monsieur M. est une personne avec DI et TSA. Il prend sa douche tous les matins. Un matin l’eau de la douche n’est pas à la bonne température (beaucoup trop chaude). Monsieur M. crie, s’agite, jette le savon, mais il ne se retire pas de la douche.

Monsieur S. est adressé en consultation pour des troubles du comportement avec agitation psychomotrice, instabilité sur des activités qu’il pouvait réaliser auparavant, cris, repas plus difficiles… Il conserve son « activité marche » quotidienne, ce qui semble être le seul plaisir qui lui reste. L’examen clinique met en évidence des lésions au niveau des pieds. Le constat que les lésions des pieds occasionnées par des ongles incarnés et des chaussures mal adaptées créant des ampoules, ajouté au fait que la marche reste le seul moment d’apaisement avait conduit à conclure qu’il n’avait pas mal aux pieds. Pourtant lorsque ses problèmes aux pieds ont pu être résolus, le calme est revenu et le patient a pu reprendre ses activités antérieures.

Monsieur T., jeune patient TSA de 30 ans avec déficience intellectuelle modérée, ayant un langage, a été amené aux urgences d’un hôpital du fait de beaucoup d’agitation et d’agressivité, avec des automutilations importantes : il se scarifiait le visage en répétant « j’ai mal à la tête ». Sa prise en charge nous a montré qu’il avait des coliques néphrétiques. Il n’a jamais montré ni nommé le siège réel de sa douleur.

Pour conclure

Revenons à la dernière phrase de la définition de la douleur qui a permis d’ouvrir notre propos : « décrite dans les termes d’une telle lésion », l’absence d’objectivation paraclinique de lésions n’exclue pas la présence d’une douleur, les migraineux le savent bien !

Une compréhension globale de la douleur chez un individu doit viser plus loin que l’expérience douloureuse et sa relation aux lésions tissulaires [13].

Aussi, l’augmentation en fréquence puis en intensité de comportements qui vont devenir « des comportements problèmes » doivent en priorité déclencher un réflexe : « Et si c’était de la douleur ? »

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Palese Alvisa, Conforto Ludovica, Meloni Francesca, Bordei Valeria, Domenighini Alessia, Bulfone Elena, Grassetti Luca, Gonella Silvia. Assessing pain in children with autism spectrumdisorders : findings from a preliminary validation study. Scandinavian journal of caring sciences 2021; 35 (2) : 457-67 [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Kornblau B, Robertson S, Mbiza Srah, Mottley SC, Clark H., Lang K, Alexander A. Autism and Pain : How Autistic Adults Perceive Pain 2020 AOTA Annual Conference and Expo. American Journal of Occupational Therapy 2020; 74 (Sup1) : 1 [Google Scholar]
  3. Lévesque M., Gaumond I., Marchand S. Douleur analg. 24 (2011). Douleur et Autisme. [Google Scholar]
  4. Saravane D., Mytych I. Douleur et autisme. Douleur et Analgésie 2021; (Preprints) : 1-12. [Google Scholar]
  5. Dubois A., Boudjarane M., Le Fur-Bonnabesse A., Dion A., L’Heveder G., Quinio B., Walter M., Marchand S., Bodéré C. Pain modulation mechanisms in ASD adults. Journal of Autism and Developmental Disorders 2020; 50 (8) : 2931-40. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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  7. Tordjman S., Antoine C., Cohen D.J., Gauvain Piquard A., Carlier M., Roubertoux P., Ferrari P. [Study of the relationships between self-injurious behavior and pain reactivity in infantile autism]. L’encéphale 1999; 25 (2) : 122-34. [Google Scholar]
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  10. Dubois A., Michelonc C., Rattaz C., Zabalia M., Baghdadli A. Daily living pain assessment in children with autism : Exploratory study. Research in Developmental Disabilities 62 (2017) : 238-46. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  11. Expression empruntée à Michel Foucault dans Naissance de la Clinique. Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical. Paris, Presses Universitaires de France, 1963, 212 p. [Google Scholar]
  12. Autisme et émotion – Peter Vermeulen : éditeur De Boeck Supérieur/parution 2020. [Google Scholar]
  13. Construct and definition of pain, Kenneth D. Graig, pain in children and adults with developmental disabilities – 2006). [Google Scholar]
  14. The approach or practice known as Snoezelen is defined as the controlled multi-sensory stimulation of a person’s sensoriality in a safe space. It has recognised benefits in the management of severe mental health disabilities. But, can it have a more specific benefit in psychiatry in terms of pain managment ? Hospital caregivers go some way to answering the question by sharing their thoughts and experience regarding an innovative clinical experiment using the Snoezelen approach for this purpose. (Copyright © 2018. Published by Elsevier Masson SAS.) [Google Scholar]
  15. Claire Degenne-Richard. Évaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec Autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement. Psychologie. Université René Descartes – Paris V, 2014. Français. NNT : 2014PA05H106 [Google Scholar]
  16. particularité sensorielle et profils sensorielles : http://www.cra-centre.org/sensorialite/index.php [Google Scholar]
  17. https://www.sfetd-douleur.org/nouvelle-definition-de-la-douleur [Google Scholar]
  18. http://www.cra-rhone-alpes.org/spip.php?page=recherche&recherche=collectif+douleur [Google Scholar]

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