Numéro
Perspectives Psy
Volume 60, Numéro 2, Avril-Juin 2021
Page(s) 144 - 147
Section Douleur chronique : de la pédiatrie à la pédopsychiatrie
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2021602144
Publié en ligne 7 octobre 2021

Notre évocation à peine voilée du titre de l’œuvre de Winnicott « Through Paediatrics to psychanalysis » [8] suggère une traversée – through – que nous tentons d’accomplir depuis une quinzaine d’années auprès d’une population d’enfants et d’adolescents souffrant de douleurs chroniques. Traversée d’un territoire médical mal connu des pédopsychiatres, celui de la médecine de la douleur en pédiatrie. C’est à leur chevet qu’invités par les médecins de Rééducation Fonctionnelle, discipline rebaptisée en 1998 Médecine Physique et de Réadaptation (MPR), nous avons appris de ces jeunes patients et des pathologies dont ils souffrent. Notre terrain d’expérience : la pédopsychiatrie de liaison dans une des cliniques de la FSEF (Fondation Santé des Étudiants de France) à Neufmoutiers-enBrie en Seine-et-Marne. Particularité de cette institution la cohabitation de trois spécialités au service de pré-adolescents, adolescents et jeunes adultes souffrant d’une pathologie chronique dans un dispositif de type Soins Études : la Pédopsychiatrie, la Pédiatrie de l’Adolescent et la Médecine Physique et de Réadaptation. Plus spécifique encore la création d’unités dites de double prise en soins à savoir l’Unité Somato-Psychiatrique et la MPR-Pédopsychiatrie. La première de 20 lits sous la responsabilité du Dr Agathe Bassi, accueille des maladies chroniques avec répercussions psychiques importantes (diabète, drépanocytose, obésité morbide, maladie de système) mais aussi des patient(e)s anorexiques et des douloureux chroniques : migraines, douleurs diffuses, douleurs abdominales, douleurs en lien avec une pathologie somatique mais non expliquée médicalement. La seconde de 14 lits sous la responsabilité du Dr Gabriela Deda Erbenova, créée plus récemment en 2006 afin de prendre en soin des adolescents ayant réalisé un acte suicidaire violent, le plus souvent par saut dans le vide et nécessitant une rééducation intensive assortie de soins psychiques contenants [5]. Nous avons élargi d’abord de manière expérimentale les indications aux troubles douloureux chroniques du système musculosquelettiques entraînant une impotence fonctionnelle quasi complète et l’intérêt d’accueillir ces patients dans une unité plus contenante s’est confirmé [4]. La fréquence de ces indications d’hospitalisation dans ces deux unités pour un tableau de douleurs chroniques à l’origine d’une déscolarisation prolongée est en augmentation constante.

Nos premières expériences auprès de ces patients douloureux chroniques nous ont beaucoup marqués. L’une d’elles que l’on appellera Elsa était âgée de 18 ans quand nous l’avons rencontrée. Elle était née avec une malformation congénitale d’un bras qui a nécessité un programme chirurgical et de rééducation depuis sa naissance jusqu’à ses 16 ans. Elle fut opérée pour la dernière fois à l’âge de 16 ans par le chirurgien qui s’en était occupée depuis le début puis a présenté des douleurs permanentes de son membre opéré, douleurs qui se sont étendues à d’autres parties du corps, le thorax, la hanche et le genou, douleurs non explicables par une étiologie organique. Elle rattachait ses douleurs à une origine musculaire en lien également avec ses malformations congénitales; cela a eu pour effet d’aggraver son handicap moteur car elle passait de plus en plus de temps au fauteuil roulant, et de compromettre sa scolarité. Ces douleurs s’aggravant depuis 2 ans. Elle est alors hospitalisée dans le service de MPR pour reprendre ses études tout en étant soignée et rééduquée et ce à distance du milieu familial. Nous la rencontrons dans ce contexte, se présentant comme une patiente modèle, d’une parfaite compliance au programme chirurgical et de rééducation et curieuse de comprendre ce qu’on lui fait, jamais lassée ni révoltée de sa dépendance médicale. Adoptant un discours très idéalisé sur ses parents grâce à qui elle n’a jamais eu besoin de soutien psychologique autre que celui venant d’eux. Elle niait par ailleurs toute répercussion psychologique de sa malformation et de ses transformations successives liées à la chirurgie réparatrice en s’empêchant de manifester la moindre émotion secondaire à ses douleurs : sangloter était « nocif » pour elle en raison des douleurs thoraciques que cela provoquait; elle ne s’autorisait jamais à se « plaindre » de ses affects et d’une éventuelle souffrance morale conséquences de sa condition physique depuis l’enfance; elle réclamait par contre constamment son traitement antalgique à bases d’opioïdes dont l’inefficacité sur son état physique et moteur qui se dégradait depuis 2 ans rendait cette prescription discutable voire dangereuse à long terme. Dernier élément de cette observation qui a son importance, la mère de la jeune femme avait la conviction inébranlable d’une origine organique des douleurs de sa fille conséquence directe selon elle des produits administrés par l’anesthésiste avant la dernière opération. Elle souhaitait entamer une procédure judicaire afin d’obtenir réparation pour Elsa.

L’histoire d’Elsa est paradigmatique de ce nous avons découvert dans ces situations complexes.

Un point d’appel somatique au décours d’accident somatique authentique, à l’origine d’une douleur aiguë créant un véritable événement corporel que l’enfant peut toujours dater avec précision : faux mouvement, traumatisme, blessure articulaire la plupart du temps bénigne voire un acte chirurgical programmé n’engageant jamais le pronostic vital; dans d’autre cas il s’agit d’une maladie chronique en principe stabilisée dont le retentissement fonctionnel lié à des douleurs inhabituelles en intensité et en localité n’est pas expliqué médicalement. Ce point d’appel biologique ou méïopragie d’appel [6] est constant dans notre expérience.

Une mauvaise évolution malgré un bilan médical très approfondi éliminant également les étiologies organiques y compris les plus rares.

Un suivi très régulier par le centre douleur qui évalue l’impact de la douleur sur la vie de l’enfant et sa famille, y compris sur le plan psychologique.

La désorganisation familiale conséquence de l’état de dépendance majeur à l’environnement dans lequel se retrouve cette adolescente.

Le risque de consommations abusives voire de dépendance aux antalgiques opioïdes [7].

Une incompréhension par l’adolescente de sa situation physique et une anxiété en lien avec l’absence d’explication médicale. Les parents ont parfois besoin de se raccrocher à une explication purement organiciste même si elle est sans fondement scientifique. Une revendication du préjudice subi par l’enfant n’est pas rare dans ce contexte.

Enfin les difficultés pour les équipes douleurs pédiatriques de faire prendre conscience d’une dimension psychopathologique au moins en tant que facteur pérennisant et aggravant sur la situation relationnelle, sociale et somatique. Elles dirigent alors ces familles vers des structures hospitalières comme les nôtres ce qui nécessite un lien de confiance entre nous particulièrement solide.

Qu’en est-il d’ailleurs de l’interprétation de ces douleurs chroniques ? Ces patients et leurs familles, confrontés à une médecine d’organe mise en échec par la résistance de ces symptômes et dans l’incapacité de réaliser un diagnostic positif, risquent de ne pas se sentir pris au sérieux quand des appellations ne faisant référence à aucun diagnostic médical précis sont prononcées : douleur sans support organique, douleur fonctionnelle, syndrome douloureux idiopathique diffus, fibromyalgie juvénile, trouble somatoforme, conversion complexe... ou quand ils entendent : « ce n’est rien », « c’est dans la tête », « c’est psy » voire de la « simulation » ! De même, du côté des « psys », en collant des interprétations ne prenant appui que sur des spéculations hâtives inspirées de théories psychanalytiques peu ancrées dans une démarche médicale psychiatrique rigoureuse, on attribuera à l’Hystérie de Freud toutes les responsabilités de la mise en échec des traitements. Nous avons d’ailleurs vérifié grâce aux cohortes constituées dans nos services ce que des psychanalystes cliniciens avaient déjà démontré à savoir que les épisodes de conversion complexes chez l’enfant et l’adolescent étaient trans-nosographiques [3].

Cette traversée évoquée plus haut est un pari. Celui de travailler « ensemble », de manière conjointe avec d’autres spécialités médicales, la MPR et la Pédiatrie de l’adolescent dans le respect du champ de compétence de chacun. Ces patients nous sont adressés dans la grande majorité des cas par des pédiatres spécialisés dans la douleur de l’enfant et de l’adolescent. Les Structures Douleurs Pédiatriques sont d’ailleurs sollicitées elles-mêmes par les différentes spécialités pédiatriques concernées par la recherche d’une étiologie organique pour expliquer la douleur chronique : rhumatologie, neurologie, chirurgie, gastroentérologie, hématologie, oncologie, etc. Le pari est aussi de considérer que l’union transdisciplinaire fait la force. Car d’une rive à l’autre de ces spécialités les écueils sont nombreux et la fragmentation de la prise en charge médicale ne fait que redoubler chez les plus fragiles de ces patients les discontinuités de leurs relations objectales et un sentiment profond de solitude qui a pu marquer leur existence [1]. Dans la transdisciplinarité il ne s’agit pas seulement de confronter les expertises mais de créer un nouveau savoir sur la pathologie, une réponse inédite qui dépasse le savoir de chacune des spécialités représentées [2]. Elle n’est pas non plus de la pluridisciplinarité qui est une association de disciplines qui concourent à une réalisation commune mais sans que chaque discipline ait à modifier sensiblement ses propres méthodes ce qu’un véritable travail conjoint, pédopsychiatre-médecin MP ou Pédiatre-pédopsychiatre, dans la même unité de temps et de lieu, impose quotidiennement. Pour illustrer ce champ d’investigation que constitue la douleur chronique chez l’enfant et l’adolescent et qui représente un défi de santé publique, nous avons proposé à plusieurs structures douleurs renommées de nous introduire dans l’exercice de leur pratique quotidienne. Elles ont toutes accepté et nous les en remercions chaleureusement.

Dans ce numéro qui constitue la première partie du dossier, l’équipe douleur de l’hôpital Trousseau à Paris présentera l’histoire de cette unité fondée en 1993 et qui fut la première en France à se consacrer à plein temps à la douleur chez l’enfant. Sophie Dugue et Barbara Tourniaire nous expliqueront l’organisation de cette structure, leurs missions et leurs manières d’approcher ces situations d’adolescents avec leur famille, venant parfois de la France entière et confrontés depuis plusieurs mois ou années à des douleurs particulièrement invalidantes. Elles évoqueront également dans un autre article les difficultés d’orientation vers des soins psychiques quand c’est nécessaire sans perdre la confiance de leurs patients, y compris sous la forme d’une hospitalisation dans une unité de double prise en charge médicale et pédopsychiatrique.

Anne Tonelli est responsable d’un service de médecine interne à la clinique FSEF Paris 16 et s’occupe d’adolescents douloureux chroniques dans le cadre d’une hospitalisation de type Soins Études depuis 2003. Partant de son expérience de 237 hospitalisations pour cette indication, ce qui représente probablement la plus grosse cohorte nationale en Soins Études, elle décrira le profil de ces adolescents, le dispositif mis en place et son fonctionnement. Graziella Gilormini et Véra Savvaki sont psychologues cliniciennes. Elles travaillent en particulier sur les répercussions psychiques des maladies chroniques dont la drépanocytose. À partir de leur expérience en unité d’hospitalisation pour adolescent, elles discuteront des liens entre drépanocytose, maladie génétique chronique à expression douloureuse forte et les douleurs chroniques en s’appuyant sur une vignette clinique d’un jeune hospitalisé en unité de prise en charge intégrée médico-psychiatrique de type Soins Études.

Remerciements

Nous remercions tous les auteurs nous permettant de vous présenter cette belle thématique transdisciplinaire.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Allaz A.F. (2003) Le messager boiteux : approche pratique des douleurs chroniques, Médecine et Hygiène. [Google Scholar]
  2. Canouï P., Golse B., Séguret S. (2012) La pédopsychiatrie de liaison. L’hôpital Necker au quotidien, La vie de l’enfant, Toulouse : Érès. [Google Scholar]
  3. Cramer B. (1977) Vicissitudes de l’investissement du corps : symptômes de conversion en période pubertaire, Psychiatrie de l’enfant, XX 1, 11–127. [Google Scholar]
  4. Girardon N., Bremare A. (2020) Hospitalisation des adolescents douloureux chroniques en MPR-Pédopsychiatrie : pertinence et limites du travail transdisciplinaire, communication pour l’EC INSERM sur le syndrome fibromyalgique, EDP Sciences. [Google Scholar]
  5. Girardon N., De Crouy A.C., Margot M. (2014) Le saut d’un lieu élevé à l’adolescence, Psychiatrie Française, no 2, 69–102. [Google Scholar]
  6. Michaud L., Vaugelade S. (1959) Considération sur l’hystérie infantile, Rev. Neuropsychiatrie Inf. 7, 191–196. [Google Scholar]
  7. Simonnet G., Laurent B., Le Breton D. (2018) L’homme douloureux, Odile Jacob Sciences. [Google Scholar]
  8. Winnicott D.W. (1992) De la pédiatrie à la psychanalyse, Science de l’homme, Payot. [Google Scholar]

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