Numéro
Perspectives Psy
Volume 60, Numéro 1, Janvier-Mars 2021
Page(s) 91 - 93
Section Analyses de livres
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2021601091
Publié en ligne 14 juillet 2021

Dans le cadre du projet autobiographique qu’il poursuit depuis 1998, Jérôme Garcin aborde ici la « tribu » médicale dont il est issu, et nous parle plus particulièrement de son Grand-Père paternel, le Professeur Raymond Garcin.

J’ai moi-même été Externe dans le service de neurologie Raymond Garcin à la Salpêtrière, et j’en ai gardé des impressions inoubliables. Raymond Garcin, pensait tout haut ! Raymond Garcin était d’une bonté profonde ! Raymond Garcin était un homme incroyablement scrupuleux !

Raymond Garcin pensait tout haut : « Une pensée en marche » écrit Jérôme Garcin. Ce n’est pas le cas de tous les neurologues. Ce ne l’était pas toujours (aux dires de Jean Lapresle, à l’époque, Agrégé dans le service de Garcin et dont je suivais la visite quotidienne) des représentants de ce qu’on a appelé « L’école neuropsychologique de la Salpêtrière ». À l’époque Jean Lapresle, auquel je dois beaucoup, ne nommait jamais le Professeur Chef de Service représentant de cette école autrement que comme « la Maison d’en face »… (Le Pr Jean Lapresle, qui devint Chef du Service de neurologie de Bicêtre en 1970, est décédé en 2020 à l’âge de 79 ans)…

Dans son livre, Jérôme Garcin évoque la « courtoise rivalité qui opposait ces deux pôles neurologiques : les deux patrons et leurs élèves respectifs se bravaient volontiers… pour le plaisir stimulant de poursuivre… une histoire dont ils étaient les dépositaires ».

Raymond Garcin était d’une bonté profonde, je dirais « un grand humaniste chrétien ». Son empathie envers les patients qu’il examinait très longuement, lors des présentations cliniques auxquelles tout le Service assistait, était manifeste, et c’est pourquoi ces patients affrontaient généralement cette difficile épreuve de l’examen public sans que leur relation à Garcin ne soit altérée. « Je crois en connaître la source, écrit J. Garcin : c’est l’immense et silencieuse nostalgie qu’avait mon grand-père de son île tropicale (La Martinique). Pour lui, chaque malade était un réfugié, qui avait quitté le pays luxuriant des bien-portants et rêvait, avec son aide, d’y retourner vivre. »

Raymond Garcin était incroyablement scrupuleux. Il continuait à réfléchir pendant qu’un patient quittait la consultation, et je l’ai vu rattraper l’un d’eux sur le seuil de la porte pour lui dire « Finalement, vous ne prendre pas deux comprimés, mais un et demi »… « Je suis un optimiste anxieux » répétait-il volontiers, écrit son petit-fils.

Raymond Garcin n’est pas resté prophète en son hôpital. Aucun bâtiment, aucun pavillon, ne porte son nom à la Salpêtrière… tandis que la « Maison d’en face » y est bien représentée. Ce n’est qu’à l’Hôpital Sainte-Anne, où je ne sais s’il a jamais mis les pieds, qu’un juste honneur lui est rendu, par le Bâtiment et le Centre Raymond-Garcin…

***

Passionnante est la biographie de son grand-père maternel que Jérôme Garcin expose dans des chapitres successifs. Je ne citerai ici que la ruine de la famille par l’éruption de la Montagne-Pelée en 1902, de sorte que ce n’est que grâce à ses études brillantes, qui lui valurent de recevoir une bourse du Conseil Général de la Martinique, qu’il put venir étudier la médecine (vers laquelle l’orientait l’admiration pour la personnalité et le travail de son médecin de famille) à Paris… où il arrive en pleine guerre en 1915. Il est immédiatement envoyé au front, d’abord comme infirmier, puis médecin auxiliaire. Peut-être les troubles mentaux que manifestaient des soldats rescapés de l’« enfer» ont-ils déterminé sa vocation neurologique ? Élève de Guillain, qui le « fascine » et qui lui accorde sa confiance, il en épouse la fille.

J. Garcin nous expose, et c’est plein d’intérêt, une généalogie médicale dans laquelle le métier et la renommée se transmettent de père en fils, de beaupère à gendre… Ainsi nous parle-t-il de son arrière grand-père Georges Guillain, qui occupa la chaire de Charcot et dont le nom, associé à celui de Barré, désigne la polyradiculonévrite qu’il a décrite.

En ce sens le livre de J. Garcin est aussi un livre de Sociologie et d’Histoire médicales…

Mais surtout se transmet la vocation. C’est de la vocation médicale que traite Raymond Garcin dans son discours inaugural au Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de 1962 à Anvers… quelques jours après avoir perdu un petit-fils (le frère jumeau de Jérôme). Que dire de ce discours, dans lequel Garcin proclame « La base de la médecine est l’amour » sinon qu’il est à lire absolument, qu’il commande à lui seul la lecture de l’ouvrage. Citons seulement ce que Garcin lui-même rapportait de la réponse du Prix Nobel de médecine Charles Nicolle à un confrère qui déplorait l’abattement moral d’un patient dont il avait la charge : « Lui avez-vous pris la main, au moins ? » Ce discours, comme toute la vie professionnelle de Raymond Garcin, est une leçon à ceux de nos confrères les plus rares possibles, espérons-le, mais ils existent néanmoins - qui croient que suffisent les DSM sans nécessité d’empathie pour les patients. La pédiatrie, et surtout la pédopsychiatrie, est l’autre volet de l’histoire médicale racontée par J. Garcin… car son autre grand-père fut Clément Launay, auteur d’un Précis de Médecine Infantile, fut, dans son service de l’Hôpital Hérold, initiateur de la compréhension dans le cadre de la situation familiale, et dans un abord éclairé par la psychanalyse, de nombre de troubles de l’enfant, notamment psychosomatiques : « il avait déjà compris que l’on ne pouvait traiter les enfants en difficulté, voire en détresse, sans définir d’abord la nature des conflits familiaux, des angoisses maternelles, ou des absences parentales dont ils étaient… les victimes collatérales ». Il fonda le premier CMPP dans le cadre de l’enseignement primaire de la Seine. Il s’attacha aussi, « dans un livre cosigné avec Simone Veil et Michel Soulé, à attirer l’attention sur l nécessité, pour les futurs adoptants, de ne pas se méprendre sur leur véritable raison d’adopter… ».

Un autre aspect encore est la descendance spirituelle de R. Garcin dans la neuro-ophtalmologie. Rencontré en 1942, le Dr Hoang Xuan Man soigna avec Garcin, à l’Hôtel-Dieu, les blessés des combats de la Libération de Paris. Ils inaugurèrent ensemble cette discipline et publièrent d’innombrables articles en commun, « ne s’accordant de pause, m’assure la fille de Man, que pour regarder, à la télévision, des matchs de catch en noir et blanc. » Man fut le disciple enthousiaste et désintéressé de Garcin, qui déclara un jour, dans un congrès international, que s’il avait pu présenter quelques cas, c’était « grâce à Man… Il est venu dans mon service pour apprendre la neurologie… moi j’ai beaucoup appris de lui en ophtalmologie. » (Cet homme « déploya une même énergie au service des exilés vietnamiens et militait contre le colonialisme en Indochine » en présidant des Unions Amicales de Vietnamiens en France.) L’auteur évoque le « couple intellectuel et spirituel le confucianisme ajoutant au catholicisme - » que formaient les deux hommes. « Quatre de ses cinq enfants sont devenus médecins ».

Tout ce que nous raconte J. Garcin de la vie et de la personnalité de ses deux grands-pères, très différents de caractère, tous deux chrétiens l’un, Raymond, austère, l’autre plutôt joyeux, est passionnant. J’en retiendrai surtout qu’il étaient toujours « un livre à la main, et plus particulièrement un classique, des Mémoires de Saint-Simon aux romans de François Mauriac, de Mes Pensées de Montesquieu aux soties d’André Gide ». Quelle leçon pour les étudiants de notre époque, où l’on s’acharne à extirper, quand ce n’est pas à diaboliser, tout ce qui constitue les racines de notre civilisation… Je me rappelle avoir, lorsque j’enseignais aux étudiants en psychologie, étonné et peut-être consterné plus d’un en leur assurant que Freud, Piaget et tout l’enseignement universitaire ne suffirait pas à faire d’eux de véritables « psychologues », s’ils ne lisaient aussi Dostoïevski, Tolstoï, Balzac, Flaubert, sans parler de Proust et de Musil…

Jérôme Garcin, tout au long, nous parle beaucoup de lui, et notamment, ici et là, du traumatisme que fut pour lui, quand il avait six ans, la mort, après un accident sur la route, de son frère jumeau Olivier. mais aussi de ses ressentis lors des deuils de sa grand-mère paternelle, sur cette même « ignoble route », mais aussi des pertes de ses grands-pères, de sa grand-mère maternelle, morte le même jour que son époux, de son père, mort lui aussi accidentellement, d’une chute de cheval (J.Garcin, La Chute de Cheval). C’est un autre versant du livre qui, pour tout « Psy » y ajoute un intérêt majeur. Lui-même n’a pas suivi les traces médicales de ses ancêtres, mais plus directement, en devant écrivain, celle de son père, Philippe Garcin, qui fit une grande carrière dans l’édition. On méditera sur le fait qu’il soit aussi, sans avoir jamais connu son beau-père posthume, le gendre de Gérard Philipe… Le livre se termine un chapitre nommé « L’autre syndrome ». J. Garcin raconte que, dans un autre bâtiment de la Pitié-Salpêtrière, « dévolu à la consultation génétique », un homme, « auquel j’aurais pu ressembler » apprit qu’il était porteur d’une anomalie génétique (entre les lignes, l’X fragile) lui promettant de développer des troubles neurologiques. Cette presque-conclusion à son beau livre nous laisse quelque peu perplexe. Je rappellerai seulement que le syndrome de l’X fragile a des manifestations très variables. J’ai moi-même entendu le Professeur Arnold Munnich, qui dirige l’Institut des Maladies Génétiques Imagine à l’Hôpital Necker-Enfants Malades, s’élever contre l’idée que la génétique détermine à soi seule un destin. (Remarquons qu’un nouvel espoir a été récemment apporté par une équipe de l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire (Val-bonne-Sophia Antipolis), dirigée par Barbara Bardoni, chercheuse Inserm. Elle a mis en évidence le rôle clé d’une protéine, la PDE2A, dans le développement de ce syndrome. Découverte qui ouvre la voie à de nouvelles possibilités thérapeutiques à court terme1)

Liens d’interet

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.



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