Numéro
Perspectives Psy
Volume 59, Numéro 4, octobre-décembre 2020
Page(s) 360 - 368
Section Épidémie et psychiatrie
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/202059360
Publié en ligne 5 mars 2021

© GEPPSS 2020

Nous devons faire face à une crise sanitaire sans frontières, sans véritables limites, si ce ne sont nos corps qui véhiculent ce virus, dont nous sommes tous potentiellement les vecteurs de transmission. Cette crise, dont la temporalité est incertaine et la virulence sans précédent, bouleverse nos repères. Elle est traumatogène, voire traumatique dans beaucoup de situations. L’emballement médiatique, associé à la méconnaissance, ont conduit à la stigmatisation de certaines catégories de la population, accusées parfois d’être des « super contaminateurs » asymptomatiques1, les enfants2; ou à la mise à l’écart et l’abandon forcé des personnes âgées recluses dans les EPHAD pour des raisons sanitaires. Beaucoup de personnes âgées, privées de la visite de leur famille ont sombré dans un syndrome de « glissement » vers la mort, alors qu’elles avaient échappé à l’épidémie.

Des phénomènes de stigmatisation des soignants ont également émergé. Pendant le premier confinement, 12% des infirmières étaient accusées par leurs voisins d’être vecteur du virus, d’autres ont été dénoncés par leur voisin, suspectés de ne pas respecter les consignes de sécurité.

À la peur de tomber malade s’est ajoutée, pendant toute la durée de la première vague l’annonce quotidienne des décès par les autorités de l’État, comme un cérémonial institué. La volonté de transparence masquait une légitimation par la peur de la suspension des libertés de circulation et de l’état d’urgence. Ce rituel morbide rappelait une autre crise, à l’instar des déclarations du Procureur Molins, instituées après chaque attentat commis ces dernières années. D’ailleurs, depuis le déconfinement, à la crise sanitaire se cumule la crise sécuritaire liée à la reprise des attentats terroristes sur le sol français, entrecoupée des différentes commémorations et procès des attentats de 2015 et 2016, remettant au premier plan de la scène sociétale, la menace terroriste et le traumatisme de l’irruption de la guerre en temps de paix.

Nos libertés sont limitées pour le bien commun, le président a utilisé le discours de la guerre. Mais l’ennemi est invisible, il est transporté et transmis par les plus proches de soi, ceux avec qui l’on a naturellement des liens et tout ce que nous avons appris depuis notre petite enfance, nous devons nous en défendre.

Toute notre éducation tend à développer nos relations sociales et affectives en temps normal. En temps de covid, nous devons lutter contre nous-mêmes, contre notre éducation, contre nos tendances à aller vers l’autre. Le coude à coude pour la survie a remplacé les embrassades et les poignées de mains potentiellement mortifères.

Nous tenir à distance de nos proches, de nos amis, de nos relations professionnelles pour faire barrage à l’épidémie.

La distanciation sociale, une erreur sémantique

Le terme officiel de « distanciation sociale » a été une erreur sémantique, et une faute éthique, au sens où l’éthique concerne la relation à l’autre. Le terme de « distanciation physique ou spatiale » aurait été mieux approprié, de même que « gestes barrière » aurait dû être remplacé par « gestes de protection ». La lutte était mal engagée sur le plan sémantique. Notons que le terme de « distanciation » ap- parait dans la langue française en 1959, comme traduction de l’allemand Verfrem- dungs (Effekt), tiré d’une réflexion critique de Berthold Brecht sur la technique théâtrale, « où l’acteur s’efforce de jouer comme à distance de son personnage, afin que le spectateur donne priorité au message social ou politique que l’auteur a voulu délivrer3 ». Lidée étant de révéler par le jeu distancié de lacteur, lesprit critique du spectateur qui ne sapproprierait plus le message par identification.

Plus prosaïquement, ce terme de « distanciation sociale » ne serait que la traduction littérale de « social distancing » utilisé en 1918 dans le Missouri, lors de la pandémie de grippe espagnole, pour désigner notamment l’interdiction de rassemblement de plus de vingt personnes4.

En tant de crise, se développent les rumeurs, les fausses informations, et paradoxalement une surinformation. En quelques semaines, nous nous sommes tous forgés un avis que nous pensons éclairé sur la virologie, sur l’épidémio- logie, mais nous n’avons pas les compétences et le savoir pour analyser toutes ces théories et hypothèses contradictoires qui nous sont assénées par les experts à longueur d’antenne. Nous ressentons tous de la culpabilité, de ne pas nous occuper suffisamment de nos proches, de transmettre le virus à ceux que l’on aime et aux autres, de ne pas travailler normalement, d’être parfois en situation d’assistance financière, de risquer de perdre son emploi, de ne pas accompagner ses parents ou grands-parents lorsqu’ils sont malades.

Notre éthique, notre morale sont bouleversées par cette situation inédite. L’accompagnement par les proches, les rituels de deuil ont dû être modifiés (obsèques retransmises par zoom), voire abandonnés. Notre sommeil est perturbé, se nourrir est compliqué car les courses nous font prendre le risque de la contamination. Nos repères les plus fondamentaux sont aussi bouleversés, le temps et l’espace du confinement ont tendance à écraser les repères habituels. Il nous faut remettre du cadre, un rituel quotidien pour scander la journée.

Notre rapport à l’extérieur et aux autres est modifié.

Et surtout, nous n’avions aucune visibilité sur la durée du confinement, une méconnaissance scientifique du virus, une absence de traitement et de vaccin, un déficit d’approvisionnement des

EPI (équipement de protection individuelle) pendant le confinement. Cette incertitude, couplée à l’incertitude sur la durée de la crise qui s’accompagne de pic épidémique, de vagues5 à venir, source d’anxiété se conjugue à la confrontation à l’angoisse de mort, la notre et celle de nos proches.

Quels sont les effets de ce contexte général sur la protection de l’enfance ?

Le confinement a été imposé autoritairement pour notre bien commun par le pouvoir politique, allié au savoir sanitaire, réuni en Conseil scientifique. Si l’intérêt collectif a été préservé, qu’en est-il de l’impact de ce retrait social sur la sphère intime ?

Ces questions d’ordre général ont une déclinaison particulière dans le champ médicosocial et socio-éducatif qui nous occupe. Nous étudierons ici, les effets psycho-sociaux et institutionnels des décisions politiques de confinement, des règles sanitaires et des décisions prises ou l’absence d’initiatives par les autorités politiques et administratives sur le fonctionnement des établissements et services de protection de l’enfance.

La protection de l’enfance concerne au 31 décembre 2018, 355 000 enfants et représente pour les départements des dépenses annuelles des départements pour 8,3 milliards d’euros6. 53% sont des mesures de placement. C’est dire le poids social du secteur, pourtant frappé d’invisibilité dans la sphère publique, si ce n’est à l’occasion de scandales médiatiques liés aux maltraitances à enfants, aux infanticides ou à la pédophilie.

Le champ de la protection de l’enfance repose sur un ensemble d’équilibres fragiles :

  • Des tensions entre droit de l’enfant et droit des parents qui, selon l’orientation philosophique du juge des enfants, fera pencher la balance du côté de l’intérêt de l’enfant à protéger ou d’une conception de la famille comme meilleur lieu d’épanouissement pour l’enfant. Cependant, l’intérêt de l’enfant et ceux des parents peuvent être opposés ou divergents.

  • Une gestion déconcentrée par les départements, dont les présidents sont chefs de file de la protection de l’enfance sur leur territoire par la loi du 5 mars 2007, ce qui a pour conséquence, une politique de protection de l’enfance différente selon chaque département, et un nécessaire rééquilibrage de l’État pour tenter d’harmoniser les pratiques. La loi de 2007 déjudiciarise la protection de l’enfance au profit d’un présupposé idéologique, la primauté de la contractualisation administrative avec la famille (Créoff, 2013).

  • Une chaîne de responsabilités qui part du juge des enfants, ordonnateur de la décision d’une mesure de protection, MJIE, AEMO ou placement confiée aux services de l’ASE du département qui mandatent, et délèguent le plus souvent l’exercice de la mesure ou la prise en charge au quotidien de l’enfant à une association habilitée, mais qui reste responsable en tant que chef de file de la protection de l’enfance.

  • Une pression financière, l’ordonnateur de la mesure (juge pour enfants) n’étant pas le payeur (département).

L’hypothèse d’une situation à risque aggravée pour les enfants confiés

Les craintes exprimées par les professionnels à l’annonce du confinement étaient essentiellement d’ordre organisationnel pour assurer la continuité de leur mission, d’ailleurs anticiper dans un Plan de continuité d’activité (PCA) demandé pour chaque service et établissement. Nous posions comme hypothèse que le confinement des enfants aggrave de fait la situation dans les structures d’accueil, que ce soit en structures collectives ou chez des assistants familiaux :

  • La concentration 24 h sur 24 h d’enfants avec des troubles et des souffrances multiples dans des locaux qui ne permettent pas toujours une individualisation des espaces, sans activité organisable à l’extérieur va naturellement susciter des tensions.

  • Le manque de personnel, l’inquiétude de celui-ci, renforcent également les difficultés. Les informations relayées par certains membres du CNPE (Conseil National de Protection de l’Enfance) et les communiqués des départements et des fédérations des associations de protection de l’enfance faisaient état d’un dispositif mobilisé mais fortement sous pression, la singularité de ce dispositif accueillant 24 h sur 24 sans possibilité d’orientation des enfants étant largement ignorée dans les organisations mise en place au niveau des départements et des ARS.

La période de confinement, du 17 mars au 11 mai 2020

Très vite, des méta-analyses des études internationales parues dans le Lancet alertaient sur les effets du confinement au-delà de 10 jours (Brooks et al., 2020), prédictive de symptômes de stress post-traumatique, de comportements d’évitement et de colère. Tandis qu’une étude chinoise (Qiu et al., 2020), repérait des populations à risque. Les 18-30 ans, et les personnes âgées de plus de 60 ans particulièrement touchées par les effets du confinement7.

A contrario, l’hypothèse du confinement comme espace de sécurité et source d’apaisement de l’angoisse est proposée par Guillaume Bronsard8 qui énonce qu’il ne faut pas confondre la source de l’angoisse avec son remède et affirme que dans la plupart des cas, le repli temporaire n’est pas traumatisant.

Des mesures de communication du gouvernement en direction des enfants en danger ou en risque de danger

Dans le contexte sociétal, post « me too » et de dénonciation des féminicides en France, on se souvient du décompte morbide, mais utile, fait par des organisations féministes sur les murs des villes et dans les médias, le gouvernement a rapidement souligné le danger que représente le confinement pour certaines femmes et également pour les enfants exposés aux violences intrafamiliales et a lancé un plan national de prévention des violences intrafa- miliales pendant le confinement.

L’État a ainsi démontré sa réactivité, et ce plan a été relayé par le site du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, sur une page dédiée intitulée Période de confinement et protection de l’enfance9, mise en ligne le 20 avril 2020. Associé à une campagne de communication massive sur le numéro 119, Allo enfance en danger, et parallèlement sur les violences conjugales avec le 114.

Le site s’adresse directement aux enfants en utilisant le tutoiement et des mots simples, en indiquant le 119 comme recours, et dans un second temps, s’adresse aux enseignants en leur donnant la marche à suivre pour signaler, alerter sur une situation d’élève en situation de danger, dont ils pourraient avoir connaissance dans leurs échanges avec les élèves, les cours en visio étant considérés comme seule fenêtre d’ouverture institutionnelle dans le huis clos familial imposé par la pandémie. En fin de page, un lien10 renvoie directement sur une page du site du ministère de la Santé créée le 30 mars 2020 pour les professionnels du secteur de la protection de l’enfance avec des informations spécifiques actualisées en période de Covid-19. On y trouve des catalogues d’informations sur le coronavirus, le confinement et le post-confinement, qui vont des risques psychologiques pour la santé des enfants, aux recommandations sanitaires comme le port du masque ou le respect des « gestes barrières », en passant par les fiches pratiques destinées aux professionnels sur les droits de visite et d’hébergement ou bien encore le guide ministériel protection de l’enfance de 37 pages, élaboré par le secrétariat d’état à la protection de l’enfance qui fera l’objet de révisions en phase de déconfinement puis de reconfinement, tirant les conséquences des enseignements de cette première période de confinement.

Une de ces fiches pratiques insiste sur le repérage post confinement des impacts du confinement sur la santé des enfants à partir d’un avis rendu le 17 avril 2020 par le HCSP11. Le confinement prolongé représente un risque pour la santé et le bien-être des enfants.

Le 119 a enregistré un bond de 56% d’appels, entre le 18 mars et le 10 mai 2020, comparativement à la même période en 2019. Sur les 6 044 appels traités, 55% ont fait l’objet d’une information préoccupante vs 49% sur la même période en 2019.

On peut supposer que le repli sur la famille a été problématique pour les familles ou couples dysfonctionnant avant le confinement et a conduit à une aggravation des situations.

La scolarité des enfants placés interrompue. Des activités culturelles et de loisirs à l’extérieur inaccessibles. Un huis clos quasi expérimental

Brutalement, les enfants placés en famille d’accueil ou en maisons d’enfants se sont retrouvés « à la maison », en dehors de l’école, du collège, du lycée comme tous les autres élèves du pays. Mais également interdits d’activités sportives, culturelles ou de loisirs à l’extérieur des lieux d’accueil.

Cette situation faisait craindre aux équipes éducatives un décrochage scolaire des plus fragiles. Chaque établissement devait revoir son organisation. Le planning des éducateurs, habituellement moins présents en journée, les enfants étant scolarisés à l’extérieur du lieu de placement, devaient être beaucoup plus présents auprès des enfants sur certaines plages horaires matin et après-midi. L’organisation du temps de travail s’est affranchie de certaines règles de droit du travail, l’amplitude horaire, les temps de repos hebdomadaire, le nombre d’heures supplémentaires. Les contraintes organisationnelles et administratives étaient soumises au principe de réalité laissant place à une créativité certaine de la part des équipes.

Le quotidien est revisité, les éducateurs décrivent après-coup, une période idéalisée, des relations avec les enfants sans l’entrave des contraintes qui scandent habituellement le quotidien, le réveil de bonne heure pour aller à l’école, les multiples accompagnements et heures de transports auxquelles sont soumis enfants et leurs accompagnateurs pour se rendre en visite médiatisée ou en rendez-vous para médicaux, mais aussi la suspension de toute vie sociale extérieure, plus d’activités en club sportif, plus de sorties en bibliothèque, ou de sorties de loisirs, piscine, cinéma, patinoire, musées, spectacles, cirques... tout est fermé. Et l’établissement se reconstitue dans une bulle sécurisante et stable, avec une permanence des adultes qui s’occupent des enfants, jours et nuits, sans arrêt, pendant toute la durée du confinement.

On aurait pu anticiper un mal-être des enfants, coupés de relations avec l’extérieur, une explosion de violence dans les établissements. Il n’en fut rien dans la plupart des cas.

Les éducateurs devaient inventer de nouvelles formes d’accompagnement, rythmer le quotidien de l’enfant par de nouveaux rituels, tout en étant plus à l’écoute de ses propres rythmes dans un accompagnement plus individualisé, travailler le matin, jouer l’après-midi.

- De manière unilatérale, les établissements et services accueillant ou suivant des enfants handicapés ont été fermés (ITEP et IME). Près de 70 000 enfants pris en charge en protection de l’enfance sont porteurs de handicap et se sont retrouvés ainsi fréquemment sans suivi adapté dans les Maisons d’enfants ou dans les familles d’accueil. Nous appelions alors le secrétariat d’État à la mobilisation des personnels des établissements et services du champ du handicap, sous forme de volontariat, pour intervenir au sein des structures de protection de l’enfance. Il en est de même de la mobilisation des enseignants pour assurer la continuité pédagogique auprès des enfants confiés.

Les directeurs de Maisons d’enfants étaient alors soumis à un nouveau paradoxe : prendre le risque de faire entrer une personne extérieure à l’équipe, potentiellement porteuse du virus, alors que la fermeture de l’établissement sur lui-même, avait pour objectif de le protéger de l’épidémie.

Deuxième difficulté, comment suivre scolai- rement les enfants de tous les niveaux du primaire au lycée, sans équipement informatique adéquat (un ordinateur ou une tablette par enfant pour suivre les cours en visio-conférence) et sans accompagnement pédagogique effectué par des enseignants.

Le problème du manque de matériel a été résolu tardivement dans la plupart des départements, mais un effort particulier a été réalisé sur ce plan par quelques départements qui ont même expertisé et financé de nouveaux contrats pour permettre des connexions en nombre plus important en simultané. Certains ont effectué des travaux pour améliorer la connectivité dans des établissements à l’infra structure trop limitée.

Le matériel a été fourni selon les besoins, tablettes et ordinateurs ont été distribués par le secrétariat d’État, par les départements directement ou encore par des dons faits aux associations par des entreprises ou des particuliers. Selon l’organisation mise en place par les établissements scolaires, les enfants étaient soit envahis de demandes des équipes pédagogiques non coordonnées, soit étaient livrés à une discontinuité pédagogique avec des assistants familiaux et des éducateurs souvent mal préparés à assumer ces tâches. Paradoxalement, on observa au contraire chez nombre d’enfants accompagnés un effet d’apprentissage chez ceux qui étaient plutôt décrocheurs ou en échec avant le confinement et qui se sont remobilisés grâce au soutien scolaire mis en place dans les maisons d’enfants. Certaines structures avaient modifié l’usage de leurs locaux, en créant par exemple des espaces dédiés le matin aux apprentissages. L’absence de soutien des structures IME et ITEP, fermées pendant la durée du confinement, a été vécue comme une grande interrogation sur la suspension de leur action en situation de crise.

Les relations avec les familles : Des visites médiatisées, des visites à domicile, des droits de visites et d’hébergements suspendus

Sans directive nationale, il semble que les consignes ont fortement divergées, selon les départements, certains ont clairement suspendu ces droits, d’autres ont estimé que cette suspension était de la seule responsabilité des juges. Enfin des associations ont estimé, que dans certaines situations proches de la résolution des difficultés parentales, un accueil en famille avec une organisation précise pouvait être envisagé. Répertorier les différentes situations et décider des mesures à suivre dans le cadre d’un dialogue rapide entre les autorités départementale, judiciaires et le lieu d’accueil s’avéra une urgence à traiter au cas par cas. Le cas particulier des placements à domicile représentait une urgence majeure, les interventions intensives à domicile ne pouvant plus avoir lieu, notamment au vu du jeune âge de l’enfant et des antécédents de violences et de négligences.

Des populations vulnérables aux marges de la protection de l’enfance

  • Le cas particulier des jeunes hébergés dans les hôtels ainsi que des Mineurs non accompagnés (MNA), jeunes étrangers à la rue en attente de l’évaluation de leur minorité s’est révélé particulièrement inquiétant et urgent. Leur mise à l’abri immédiate aurait dû être prioritaire, ainsi que la constitution de maraudes avec des personnels protégés (masques performants, gel, gants, etc.).

  • La poursuite de la prise en charge à la majorité des jeunes accueillis devrait être la règle comme le secrétaire d’État l’a depuis précisée. Il convient d’organiser un dispositif de remontée des manquements à cette consigne, d’informer sur l’existence de ce dispositif pour intervenir au plus tôt pour faire respecter le maintien de la prise en charge.

Les prises en charge thérapeutiques par visio, le milieu ouvert en communication téléphonique avec les familles

Les ressources paramédicales de la protection de l’enfance ont subitement disparu du panorama des enfants placés... pour des raisons sanitaires. Paradoxe s’il en est. Des prises en charge thérapeutiques se sont interrompues pour des enfants parmi les plus vulnérables. Dans le meilleur des cas, les CMPP ont adapté leurs pratiques professionnelles en utilisant les moyens de visio (zoom, skipe ou d’autres plateformes) pour proposer des RV réguliers. Des numéros verts ou lignes d’écoute se sont développés pour soutenir la parentalité ou les professionnels.

Les services de milieu ouvert qui exercent des mesures d’AEMO, d’AED ou de MJIE ont essentiellement fonctionné à distance. Les familles refusant souvent, l’intervention à domicile par crainte de contamination. Ce mode relationnel a eu pour effet parfois de permettre une mise en confiance des familles et un soutien obligé de leurs compétences parentales, souvent vécu de façon moins intrusive que les visites à domicile, pourtant indispensables. Les travailleurs sociaux n’ont traité en accompagnement présentiel que les situations de danger et les urgences. Certains éducateurs spécialisés du milieu ouvert ont prêté main forte aux Maisons d’enfants dans des situations de manque d’effectif.

L’ONPE a publié, dès le 5 mai 2020, un rapport intitulé « Premières observations sur la gestion du confinement/crise sanitaire en protection de l’enfance »12, basé sur le retour d’expérience de 14 départements. Ce rapport pose des questions pour l’avenir et s’interroge : « Des enfants placés qui vont mieux ? » soulignant ainsi ce paradoxe observé par les professionnels de la protection de l’enfance qui témoignent « d’enfants plus apaisés sur le plan affectif, n’étant plus ballottés d’un endroit à l’autre et vivant à leur rythme dans un contexte protégé » et d’ajouter « l’hypothèse est que la situation de confinement crée une stabilité de leur environnement de proximité favorable aux enfants ayant des troubles de l’attachement ». La référence au rapport de consensus présidé par Marie-Paule Martin- Blachais sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance13 est évidente. Les théories de l’attachement comme un des fondements théoriques de ce rapport modifient la vision de la protection de l’enfance, en y associant le besoin de sécurité comme un méta besoin nécessaire au bon développement de l’enfant, dans la droite ligne de la loi de mars 2016 qui replace l’intérêt supérieur de l’enfant au centre du dispositif de protection de l’enfance.

Les professionnels de la protection de l’enfance oubliés du discours politique et des médias

L’hommage quotidien rendu aux infirmiers et aux soignants du pays, certes justifié, a occulté le travail quotidien, silencieux et remarquable des personnels de direction, des éducateurs (-trices), des cuisinier-e-s, du personnel d’entretien, qui ont poursuivi leurs missions avec une menace bruyante stigmatisant les enfants comme vecteur de la transmission de cette maladie grave, et inconnue.

Il nous a fallu collectivement batailler aux côtés des fédérations professionnelles14, et au sein même du CNPE15, pour demander au gouvernement l’accueil dans les écoles des enfants du personnel de protection de l’enfance, pour que ceux-ci puissent aller travailler, la fourniture des équipements de protection individuels (masques, sur blouse et gel hydro-alcoolique), l’accès aux tests de dépistage, une dérogation aux règles d’organisation du travail pour limiter les déplacements entre domicile et lieu de travail, des autorisations de circuler, des centres de desserrement pour accueillir les enfants malades afin de freiner la contagion dans les établissements.

La prime : révélatrice des dysfonctionnements des pouvoirs publics

Réclamée par les associations et leurs fédérations, l’extension de la prime, qui privilégiait initialement le secteur public, a été promise au secteur associatif. Cette promesse gouvernementale a mis en exergue les dysfonctionnements des pouvoirs publics, entre l’État qui propose et les départements qui disposent, du fait de la politique décentralisée de la protection de l’enfance. Reproduisant à un autre niveau, le clivage institutionnel entre le juge des enfants qui ordonne la mesure d’assistance éducative (compétence régalienne) et le département qui paie la prise en charge, le gouvernement a créé par cette annonce, une attente déçue de la part des travailleurs sociaux et de la confusion dans les associations placée dans un imbroglio juridique.

En effet, la disparité des propositions de prime selon les décisions des conseils départementaux, allant du simple courrier de remerciement à 1 500 €, a provoqué incompréhension et colère, sentiment d’être méprisés par les pouvoirs publics chez des travailleurs sociaux très engagés et souvent épuisés par la période. Cette dysharmonie a mis en difficulté les associations gestionnaires dans leur fonction employeur, ainsi certaines présentent sur plusieurs départements ont fait le choix de compenser sur leurs fonds propres ces inégalités salariales en reconnaissance du travail effectué en période de crise.

Paradoxalement, des agents des départements, absents du terrain ou en télétravail, ont bénéficié à taux plein, en tant que fonctionnaire, des primes annoncées par l’État, créant un sentiment de malaise dans le secteur associatif, forcé du fait des circonstances de travailler en présentiel malgré le risque pris pour leur santé.

Ainsi la fonction symbolique de la prime comme élément de reconnaissance, s’est transformée, par cette absence d’anticipation des questions juridiques, liées aux disparités des réponses territoriales, en une atomisation de la volonté d’engagement manifestée en temps de crise et probablement difficilement mobilisable lors de la fameuse deuxième vague.

Le paradoxe de la tortue : un constat général paradoxal

Cette situation paradoxale, vécue par nombre d’institutions, nous proposons de la nommer le paradoxe de la tortue.

Il ne s’agit pas ici du paradoxe d’Achille et la tortue décrit par le philosophe grec Zenon. Mais la métaphore du retrait de l’animal dans sa carapace protectrice comme réponse à un danger venant de l’extérieur me semble opérante dans la situation vécue pendant le confinement pour saisir les enjeux psychodynamique de groupe, vécu dans les établissements d’accueil collectif de la protection de l’enfance.

Comme nous l’avons souligné, les professionnels de la protection de l’enfance ont accompli leur mission de service public dans un contexte de forte incertitude et de menace sur leur santé en situation de crise. Ils ont permis le maintien et la continuité de fonctionnement de l’accueil et de la protection des enfants qui leur sont confiés. Ils ont cependant ressenti un sentiment de non-reconnaissance, voire d’invisibilité de leur action par l’opinion publique et par des directives des autorités publiques qui ont manqué d’harmonisation sur le territoire national du fait d’une politique publique structurellement bicéphale dans la main et la tête des départements et de l’État.

Sur saisine du gouvernement le 25 août 2020, le CNPE a mis au vote lors de son AG du 30 novembre 2020 un « Rapport sur l’impact du covid sur l’accompagnement des enfants et des familles en prévention et protection de l’enfance. Quelles leçons pour l’avenir ? ». Ce rapport, non exhaustif, pointe l’inégale mobilisation des services de protection de l’enfance selon les départements, des consignes jugées lacunaires ou inexistantes des pouvoirs publics (départements, préfectures, ARS) les premières semaines du confinement, un sentiment d’isolement des professionnels de la protection de l’enfance les obligeant à parfois arbitrer entre droits des salariés, enjeux de santé publique et protection des enfants, un retard d’équipement de protection sanitaire. En conclusion, la crise sanitaire a mis en évidence le besoin d’une meilleure gouvernance de la protection de l’enfance avec un pilotage associant l’ensemble des acteurs, des institutions publiques et privés dans un maillage national et territorial plus efficace et coordonné.

En cette fin d’année 2020, un rapport de la Cour des comptes16, très critique sur la Protection de l’enfance porte en sous titre « une politique inadaptée au temps de l’enfant ». Il met en garde « la prise de décision en matière de protection de l’enfance se caractérise par un empilement de délais qui se cumulent, retardant d’autant le moment de la prise en charge : délai de traitement des IP, délais internes aux juridictions, délais d’exécution des décisions de justice, délai pour trouver une orientation durable suite à un accueil d’urgence, etc. qui peuvent nuire gravement à l’enfant ».

Ce rapport dénonce également une gouvernance défaillante « un pilotage défaillant et des ambitions législatives qui tardent à se concrétiser... une situation qui souffre d’une trop grande complexité et d’une insuffisante coordination des acteurs, tant au niveau national qu’au niveau local ».

En écho à une invisibilité des enfants et des familles de la protection de l’enfance, la Cour de comptes assène : « la crise liée à la Covid- 19 a montré que les faiblesses du pilotage dans le champ de la protection de l’enfance ont retardé la prise en compte de ce secteur par rapport à celui des personnes âgées ou en situation de handicap ».

Dans un courrier rendu public le président de l’UNIOPSS17 salue l’engagement des acteurs de terrain et des associations pour faire face à la crise sanitaire que traverse notre pays et avertit : « Les pouvoirs publics devront tirer des enseignements de cette crise pour revisiter les valeurs de notre société mais aussi les fonctions humaines, sociales et vitales dont de trop nombreuses ont été mésestimées, dévalorisées ou simplement oubliées. »

Selon la formule de l’ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, « la protection de l’enfance est l’angle mort des politiques publiques » et le secrétaire d’État qui lui a succédé, Adrien Taquet, doit réussir à faire entendre la nécessité de reconsidérer la protection des enfants comme centrale dans le dispositif de lutte contre ce qu’il nomme « les inégalités de destin ».

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Recommandations de la société française de pédiatrie du 17 avril 2020; Épidémie Covid-19 - Conseils pour les mineurs bénéficiant d’une mesure de placement et vivant en collectivité.

2

Une note du conseil scientifique en date du 24 avril 2020 sur « Enfants, écoles et environnement familial dans le contexte de la crise Covid-19 » indique : Les enfants présentent plus volontiers des formes ORL que pulmonaires ils peuvent également être porteurs sains. Il n’y a pas d’épidémie documentée dans les crèches, écoles, collèges ou lycées à ce jour.

3

Dictionnaire de l’Académie Française.

5

Sur la question du traumatisme collectif cumulatif, nous renvoyons aux numéros de Perspectives Psy sur les attentats et au colloque de COPELFI/ALFEST en mai 2018. Trauma terreur, terrorisme vague après vague... Perspectives Psy 2016/4 (vol. 55 et 2019/4 [vol. 58]).

8

Pr Guillaume Bronsard, Le confinement est-il tant à craindre ? Effets psychologiques du confinement : ne pas confondre le mal et son remède. Article publié le 20 avril 2020 sur le site de l’EREB (Espace de Réflexion Éthique de Bretagne).

11

Avis du 20 avril 2020, HCSP, « la santé des enfants, l’épidémie de Covid-19 et ses suites ».

14

Courrier du 23 mars 2020 de Patrick Doutreligne, Pdt de l’UNIOPSS adressé au Premier ministre pour demander une meilleure coordination entre l’État, l’ARS et les départements pour la distribution de masques dans les établissements sanitaires sociaux et médico-sociaux. CNAPE.

15

Courrier en date du 24 mars 2020 de Georges La- bazée, Vice-président du CNPE adressé au secrétaire d’État Adrien Taquet.

Références

  1. Brooks S.K., Webster R.K., Smith L.E., et al. (2020). The psychological impact of quarantine and how to reduce it : rapid review of the evidence. Lancet. 2020 ; 395 : 912–920. [Google Scholar]
  2. Créoff M. (2013). La réforme de la protection de l’enfance : la loi du 5 mars 2007. Le malentendu ? Enfances & Psy, vol. 60, n° 3, 2013, 59–65. [Google Scholar]
  3. Qiu J., Shen B., Zhao M., et al. (2020). A nationwide survey of psychological distress among Chinese people in the COVID-19 epidemic: implications and policy recommendations. General Psychiatry, 33:e100213. Doi:10.1136/gpsych- 2020-100213. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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