Numéro
Perspectives Psy
Volume 59, Numéro 4, octobre-décembre 2020
Page(s) 353 - 358
Section Épidémie et psychiatrie
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/202059353
Publié en ligne 5 mars 2021

© GEPPSS 2020

La pandémie qui sévit actuellement avec la diffusion du virus SRAS-2 a provoqué une situation de crise mondiale, que ce soit sur le plan médical, économique, social, mais aussi psychologique, avec des manifestations d’anxiété, de phobie, voire de panique, qui se sont répandues de façon virale elles-aussi, incontrôlées.

Pour rappel, le nom des virus est attribué par le Comité International de Taxonomie des Virus et le nom des maladies est attribué par l’OMS dans le cadre de la CIM. Le libellé SRAS a été écarté par l’OMS, « l’utilisation du nom SRAS pouvant avoir des conséquences indésirables et créer une peur inutile chez certaines populations, surtout en Asie qui a été le continent le plus touché par la flambée de SRAS en 2003 ». L’OMS préconise donc

d’évoquer le « virus de la Covid-19 ». La sensibilité prudente dont fait preuve l’OMS témoigne de sa prise en compte de certains paramètres politiques et sociétaux et met au jour ce qui peut apparaître comme un paradoxe : en voulant éviter de provoquer une « peur inutile » chez certains en nommant le réel, elle n’a pas endigué la peur née chez d’autres... Cette précision nosographique est importante, la classification CIM concernant l’ensemble des maladies, dont les maladies psychiatriques, qui elles aussi sont l’objet de débats entre experts quant à leur définition et à leurs soubassements théoriques (de nombreux auteurs se sont ainsi penchés sur les éléments de fabrication du DSM; citons entre autres : Kirk et Hubtchins (1998), Lane (2009), Castel, (2009), Pignarre (2009)).

De ma place de psychologue clinicienne et psychanalyste, psychothérapeute et universitaire, sensible à l’articulation théorico-clinique, je voudrais ici exposer deux facettes des modalités de prise en compte du réel, directement liées à la pandémie, qui me sont apparues comme éclairantes pour accompagner les processus de transformation et ainsi continuer à s’inscrire dans une position dynamique. Elles pourront faire l’objet d’une réflexion ultérieure approfondie, dépassant le cadre de ce présent témoignage.

La première observation est celle de la visibilité inédite du monde scientifique avec la présentation médiatisée de travaux et d’études, cliniques, épidémiologiques, s’appuyant sur des données en nombre plus ou moins important, utilisant le plus souvent des outils statistiques. La seconde observation est celle de l’impact des nouvelles technologies sur la pratique psychothérapeutique.

La médiatisation des études cliniques, travaux de recherche en épidémiologie

Comme l’expose Olivier Rey (2016) dans Quand le monde s’est fait nombre, c’est lorsque l’expérience individuelle n’est plus à la mesure de sociétés qui lui apparaissent trop étendues, trop complexes, trop changeantes, que les nombres apparaissent comme garants de la réalité. La santé n’est ainsi plus ce que l’on ressent, mais ce dont les mesures attestent. Ce que nous découvrons avec les tests dits PCR : est-on malade quand on est testé positif ?

Et parallèlement, on accuse les nombres de présenter une facette pauvre et réductrice de la réalité.

Le recours contemporain à la Science et à la quantification s’inscrit dans la suite d’un long moment amorcé depuis le XIIIe siècle avec le passage d’une perception qualitative de la réalité à une perception quantitative, via des innovations matérielles (horloge mécanique, canon, comptabilité...). Ce mouvement s’est accéléré au XVIe siècle et la quantification est devenue l’outil privilégié de nos sociétés pour une meilleure compréhension du monde. Cependant, avec l’émergence de la pandémie, et la conséquente confrontation à une dimension d’inconnu (le virus ayant été initialement présenté avec une origine auréolée de mystère... un pangolin, une chauve-souris vendus sur des marchés à l’hygiène exotique ?), dans un contexte où l’usage des techniques a pu donner l’illusion à l’homme d’une certaine toute- puissance, le monde scientifique s’est mis en mouvement de façon bouillonnante et des publications scientifiques peu précautionneuses, aux modélisations statistiques parfois douteuses, ont pu voir le jour.

Nous prendrons l’exemple de la publication de la société Surgisphere pour illustrer les écueils du recours idéalisé au quantitatif dans un contexte de vulnérabilité sanitaire et sociale. La publication dans The Lancet en mai dernier de cette étude s’inscrit dans un contexte où l’Evidence-based Medecine est devenue la norme et où les publications scientifiques posent des questions éthiques de par leur rôle extra-scientifique, en particulier économique. En enrichissant les curriculums vitae, elles permettent d’obtenir un emploi, des fonds pour la recherche, etc.

L’Evidence-based medecine s’appuie sur des essais randomisés, qui garantiraient idéalement l’efficacité d’une molécule. Mais, comme le souligne Perlemuter (2020), trouver un équilibre entre méthodes rigoureuses et obtention rapide de résultats est un défi et lorsqu’un essai thérapeutique est mené, ses conclusions sont souvent discutables, sur le bon moment de la prescription, les doses utilisées, les caractéristiques et le nombre de patients... ce sont là les limites de la médecine fondée sur les preuves, qui s’avère nécessaire mais non suffisante et qui pointe l’importance du « sens clinique ».

The Lancetgate

La publication de l’étude de la société Surgi- sphere témoigne d’une fascination contemporaine pour le nombre et la quantification et des abus qui lui sont inhérents. En plein cœur de l’épidémie, dans un contexte d’urgence et de folle concurrence, le scandale qu’elle a suscité, nommé le Lancetgate, dévoile certains ressorts de la recherche médicale et interroge sur la faillibilité du contrôle qualité dans la diffusion de la production éditoriale scientifique, opérée par de grands groupes internationaux, à qui par ailleurs on reproche des bénéfices importants, tandis que leur production repose sur un travail éditorial non rémunéré. L’étude a été publiée le 22 mai 2020 par The Lancet, doyenne des revues scientifiques, à la renommée prestigieuse. Elle concluait à l’inefficacité de l’hydroxychloroquine contre la maladie de Covid-19 et même à sa dangerosité, entraînant un coup d’arrêt dans les essais menés dans le monde entier pour cette molécule, en particulier les essais Discovery mené par la France et Solidarity diligenté par l’OMS. L’étude a ainsi fait infléchir la politique sanitaire de la France : autorisée depuis le 26 mars 2020, la prescription d’hydroxy- chloroquine est interdite depuis le 27 mai 2020 aux patients malades de la Covid. Mais des doutes avaient rapidement été soulevés sur les données prétendument issues de plus de 96 000 patients hospitalisés dans le monde, recueillies par la société Surgisphere, alors inconnue. Le 4 juin, The Lancet annonce que trois des quatre auteurs de l’article se sont rétractés, le quatrième étant Sapan Desai, chirurgien vasculaire et dirigeant de Surgisphere. Des questionnements ont vu le jour sur la nature de ces données. Il semble que Surgisphere ait pu faire fonction de d’intermédiaire, traitant des données extraites en contrebande dans les bases de données des hôpitaux. Ainsi l’adage « garbage in, garbage out » serait ici pleinement vérifié, posant la question très sensible de la qualité des données.

Puis en septembre, The Lancet a précisé que ce fiasco les a poussés à examiner leurs processus de relecture pour réduire davantage les risques de mauvais comportements en matière de recherche et de publications. Ainsi, le peer- reviewing, ou « relecture par des pairs », censé être un gage de qualité des publications scientifiques, devrait être plus strict pour les travaux utilisant de grosses bases de données. La revue précise qu’au moins un des relecteurs

devra connaître les détails des données et être en mesure de comprendre et commenter leur intérêt et leurs limites par rapport au sujet de l’étude. Pour les bases de données les plus vastes, le Lancet aura recours en plus à un expert en data science. Par ailleurs, pour toutes les études, le Lancet s’engage à demander plus d’engagements écrits aux auteurs et que la totalité des auteurs d’une même étude engagent leur responsabilité. « Plus d’un auteur » devra avoir eu « directement » accès aux données brutes de l’étude et les avoir « vérifiées ». Au moins l’un de ceux qui auront vérifié l’intégrité des données devra être un chercheur, sans lien avec l’entité commerciale qui les aurait fournies le cas échéant. Un document devra préciser quelles données seront publiées, quand et comment elles le seront.

Cependant, dans un autre texte rendu public fin septembre, le Lancet souligne qu’avec la pandémie, il est devenu difficile de trouver des relecteurs, la revue ayant reçu 5 fois plus de manuscrits qu’en temps normal... Il est légitime de se demander quelle conséquence cela aura sur les futures publications : y en aura-t-il moins, prendront-elles une forme différente ?

Et en psychologie...

L’Evidence-based Medecine est devenue prédominante dans les pratiques médicales, depuis que le NIMH, source principale de finacement de la recherche aux USA, a adopté l’essai contrôlé (ECR) randomisé comme référence en 1985. Cela a directement impacté la recherche en psychologie. Thurin (2007), cité par Brun (20l2), relève que l’APA (Association Américaine de Psychologie) a établi un rapport en 1995 dans lequel des interventions psychologiques sont identifiées comme traitements validés empiriquement et promeut ainsi l’usage des thérapies cognitivo-compor- tementales. Cependant, en 2005, confrontée à de multiples critiques, l’APA a officiellement modifié sa position et recommande d’opérer un équilibre entre l’expertise clinique, les données provenant de plusieurs types de recherche de la preuve et les caractéristiques du patient. Elle propose ainsi, outre les essais contrôlés randomisés, les approches naturalistes et les études systémiques de cas. Dans ces études, on part des pratiques pour dégager la preuve, à l’inverse de l’Evidence-based Medecine. Par ailleurs, il est souligné l’importance de la prise en compte des comorbidités et de la chronicité ainsi que les caractéristiques de la personnalité et les événements de vie...

Tous éléments difficiles à prendre en compte avec les grands nombres, sauf à recourir à des analyses par intelligence artificielle... qui posent la question sensible de la protection des données... Ceci témoigne-t-il d’une ambition irréaliste, hors de portée ? Cela peut-il nous amener à convoquer notre rapport à la temporalité et à l’expérience, alors que le réel - la confrontation à une maladie virale - nous est si étranger que nous en perdons nos repères de conduite ?

Les excès constatés, en questionnant notre relation à la science et à la recherche, renforcent notre positionnement clinique personnel, que nous défendons à l’Université dans des travaux de recherche s’appuyant sur une méthodologie rigoureuse. Cette méthodologie, la méthodologie projective tout particulièrement, en mettant l’accent sur les processus psychiques et intrapsychiques en référence au postulat freudien de l’existence de l’Inconscient et du développement psychosexuel infantile, permet l’évaluation du changement opéré par les traitements psychanalytiques, tout en prenant en compte la dimension du réel, ce qui in fine vient soutenir l’approche qualitative de la recherche. Ainsi, bien que le domaine de la psychopathologie ne soit pas superposable à celui de l’infectiologie, l’analyse révélée par l’événement Lancetgate nous incite à mettre l’accent sur une démarche quasi artisanale, à l’échelle du sujet, qui seule peut rendre compte de l’irréductibilité du sujet humain et met en garde sur le mirage - l’écueil que peut représenter le traitement des données en matière de santé et en particulier en santé mentale, les big data. Et c’est le cadre de la démarche artisanale, travaillant sur le temps « long », qui a été impacté avec l’utilisation des nouvelles technologies dans le domaine de la psychothérapie psychanalytique.

La modification du cadre psychothérapeutique confronté au « distanciei »

Aménagement des contraintes liées au premier confinement

Ce premier confinement, par sa radicalité, nous a amenée à généraliser, pour une période de durée inconnue, une pratique psychothérapeutique psychanalytique en distanciel, pour tous mes patients, alors que j’avais recours à cette pratique de façon ponctuelle pour quelques-uns qui avaient dû s’éloigner de Paris sur une durée limitée.

Grâce aux techniques de connexion en ligne et au développement de logiciels mieux adaptés à la visioconsultation, le lien avec les patients a pu être maintenu, de façon diverse, selon les patients et les traitements psychothérapeutiques psychanalytiques en cours. Les outils techniques utilisés ont été choisis en fonction des modalités objectales et transférentielles des patients et selon le type de traitement précédemment amorcé.

Pour les analyses en cure type divan-fauteuil, il m’a semblé préférable de proposer des séances par téléphone plutôt qu’en visio. Cette technique de communication, qui utilise la parole exclusivement, est très proche de la communication en divan-fauteuil car elle permet, pour l’analyste, de retrouver la position d’écoute en attention flottante et ainsi de se concentrer sur les mécanismes à l’œuvre dans le monde interne du patient, tout en tentant de décrypter la dimension transférentielle, modifiée ici significativement par le nouveau cadre. L’outil téléphone a permis de poursuivre le traitement des patients tout en ne rompant pas la règle, « ne pas être vu et ne pas voir ». Règle initiée par Freud (1913) afin de se « protéger » du regard de ses patientes hystériques et qui a perduré depuis, favorisant attention flottante chez l’analyste et régression chez le patient.

La communication par téléphone, support pour l’activation de nouvelles modalités d’expression de l’inconscient, a engagé le « dire » vers d’autres contenus, d’autres scénarios en diminuant la dimension transférentielle sur- moïque. Ainsi, un patient a pu évoquer ce qui était jusqu’alors maintenu secret, qui lui procurait un sentiment de honte.

Pour une autre patiente, le téléphone a favorisé un transfert de plus grande intimité, qui a aussi ouvert la voie pour de nouveaux fantasmes sur ma propre situation, mon environnement, qui ont pu être transférentiellement interprétés - les patients n’ayant pas connaissance de l’endroit où je me trouvais. Le changement de cadre a ainsi favorisé de nouvelles associations et stimulé de nouveaux processus psychiques, comme la curiosité du registre œdipien. L’annonce du confinement a réactivé chez certains la problématique de perte et celle de séparation, mais l’usage du téléphone a permis de maintenir un cadre contenant, voire enveloppant et donc de contenir les angoisses émergentes. Ce cadre a soutenu les mouvements régressifs, d’autant que je n’ai bien sûr pas modifié la fréquence et les horaires des séances.

A contrario, le téléphone a pu augmenter dans un premier temps les résistances d’un analysant pour qui ce contexte d’intimité, en rapprochant bouche et oreille, comportait une dimension insupportable. De grands moments de silence ont pu émailler les séances et j’ai tenté avec le plus de tact possible, de les ouvrir vers d’autres modalités d’expression alors qu’ils me semblaient être un rempart pouvant devenir stérile par l’énergie mise à l’ériger. Les séances de psychothérapie psychanalytique en face à face ont été réalisées en visio consultation, puisque cet outil instaure, à distance, un cadre similaire à celui en présentiel. Les premières séances ont été l’occasion d’ajustement de la caméra et du micro, pour tenter de retrouver certaines caractéristiques du cabinet. Les patients qui ont ainsi poursuivi leur thérapie étaient déjà familiarisés avec cet outil et n’ont pas exprimé de résistance à ce qu’une petite partie de leur logement soit visible par moi.

Un patient, dans un mouvement comportant une dimension surmoïque et de maîtrise, m’a demandé s’il pouvait m’adresser, avant la séance, des documents qui serviraient de support. C’est ainsi qu’il m’a adressé des photos d’enfance, mais aussi des écrits, que nous avons analysés ensemble. Il s’assurait également ainsi d’une continuité entre les séances et d’une certaine disponibilité de ma part, hors séance avec la réception de ses envois. En autorisant ce changement de cadre, initié par le patient, des situations d’enfance et des répétitions transgénérationnelles ont pu être analysées, tout en apportant un gain narcissique au patient, qui était jusque-là très meurtri par la situation dépressive dans laquelle il se trouvait et se montrait à moi.

Certains patients ont interrompu leur thérapie pendant la durée du confinement, n’ayant pas la possibilité ou pas le désir de s’isoler, ou encore rencontrant des difficultés économiques. D’autres enfin ont préféré le téléphone à la visio, qui leur donnait un sentiment de plus grande liberté. Ainsi, j’ai pu entendre des bruits de pas, de vaisselle... dans une répétition probable de certaines modalités des relations objectales.

Adapter son cadre est donc une nécessité adaptative pour le thérapeute lorsque la réalité, dans ses dimensions sanitaires, sociales et économiques, s’impose à nous. L’irruption de la pandémie et les mesures de confinement imposées en mars 2020 ouvraient une période de très grande incertitude. Cette adaptation a pu être génératrice de créativité du côté de l’analyste, en se tenant au plus près des problématiques psychiques et intrapsychiques des patients pour maintenir et développer le processus analytique. Cette adaptation a permis, par voie de conséquence, d’ouvrir chez le patient des espaces psychiques, représentationnels et pulsionnels, non encore défrichés. Par ailleurs, par sa permanence, par sa présence continue, au-delà des vicissitudes du réel, l’objet thérapeute indique au sujet analysant qu’il peut survivre en dépit d’un contexte pouvant générer de fortes angoisses en s’appuyant fantasmatiquement sur lui, favorisant ainsi l’introjection identificatoire du sentiment continu d’exister (Winnicott). Cette permanence a pour corollaire la nécessité de veiller à ne pas occuper une position de toute puissance en analysant et interprétant les modalités transféro-contre-transférentielles.

État des lieux pendant le deuxième confinement

Les caractéristiques du nouveau confinement diffèrent significativement du premier puisque le travail psychothérapeutique au cabinet a pu être maintenu. Ainsi, les contraintes extérieures ne sont plus aussi brutales et quand elle existe, l’alternance des séances en distanciel et en présentiel est à l’initiative du patient, selon ses possibilités (souvent dépendante de la pratique professionnelle en télétravail). Il s’agit donc de prendre en compte ce réel-là, de maintenir sa disponibilité d’écoute et de travail et de se saisir de ce qui peut être interprété, en particulier sur le plan transférentiel, l’objet thérapeute pouvant être ainsi différemment « utilisé » qu’avec un cadre classique en présentiel qui ne connaissait que les interruptions des vacances, initiées par l’analyste.

C’est donc en tant qu’objet malléable (Milner) puis transformationnel (Bollas) que j’ai vécu la dernière séance en visio avec l’un de mes patients. En début de séance, il me redemande si je réalise des séances au cabinet, alors que j’avais annoncé la possibilité de maintenir les séances au cabinet à l’annonce du deuxième confinement, mais que les séances entre les deux confinements s’étaient passées, au gré du rythme du télétravail, au cabinet ou en Visio. J’aquiesce donc et ajoute qu’ainsi nous pourrons nous voir. Il se demande alors si cela change quelque chose, puisqu’il n’a pas de mal à parler en vidéo. Puis il évoque le contexte mortifère des attentats et les ruptures familiales vécues sur le même mode de rupture brutale où l’objet serait définitivement perdu et où lui-même aurait été cassé en tant qu’objet par l’effet des ruptures. Il fait ainsi le lien avec son père décédé quand il était enfant et se souvient de la relation avec sa figure maternelle qui le renvoyait à un vécu d’incompétence, de rejet et d’inutilité. Il se plaint alors de ce temps perdu qu’il ne pourra jamais retrouver, ni jamais réparer et ajoute ne pas comprendre pourquoi il ne peut pas se séparer de son passé, qui le maintient dans les mêmes dispositions. Je l’interroge alors sur l’intérêt, peut-être envisageable, à rester dans cette position avec les personnes qui l’entourent. C’est alors qu’il ajoute que c’est comme en thérapie, au moins il n’y a pas d’affect, il déteste les affects. Je propose alors que cela est peut- être en lien avec le vécu douloureux de la relation à sa mère. Et souligne en fin de séance que j’espère que nous pourrons nous voir au cabinet à la prochaine séance, puisqu’il semble dans la possibilité de se confronter transférentiellement aux affects générés par l’absence de l’objet, puis sa tentative de le maîtriser, avec l’association entre présence, vue et affects.

Comme le rappelle B. Golse (2020) dans Carnet Psy, le lien à l’objet, dans la confrontation à son absence et à sa présence, réelle ou fantasmée, est constitutive du Moi du sujet et le travail analytique, en présentiel ou en distanciel, est une occasion privilégiée de le convoquer et de l’analyser. Quel que soit le dispositif, parfois soumis aux contraintes du réel, il convient de maintenir une disposition interne d’écoute et de travail.

Conclusion

Le contexte pandémique a mis en lumière la nécessaire prise en compte de la dimension qualitative dans la recherche médicale et ce constat vient rappeler que cette démarche est inhérente à la pratique et la recherche cliniques psychanalytiques. L’apparence objective peut ainsi avoir une dimension trompeuse, les chiffres pouvant faire oublier que derrière toute présentation, des choix théoriques et des contraintes techniques ont orienté la recherche. Par ailleurs, la situation de crise a généré des ajustements en partie reconnus comme nécessaires, tant dans la recherche médicale, avec les nouvelles contraintes que s’impose The Lancet par exemple, la prudence sur la qualité des big data, et la modulation de l’Evidence- based Medecine chez certains cliniciens, que dans le cadre analytique. Ces ajustements, induits par la confrontation au réel, témoignent de la dimension heuristique de l’écart, tel que conceptualisé par Jullien (2012). Les écueils de la démarche quantitative éclairent, par l’écart qu’elle forme avec la démarche qualitative, les éléments structurants de l’approche qualitative et ouvrent vers de nouveaux possibles. Réciproquement, les apories d’une recherche clinique psychanalytique qui ne tiendrait pas compte des attentes liées à l’évaluation, débouchent sur une position mortifère. Parallèlement, la nécessaire adaptation du cadre analytique permet la poursuite d’un travail psychothérapeutique créatif. Ainsi, l’homéos- tasie rompue par la pandémie, peut, au-delà des conséquences sanitaires et des drames personnels, opérer des petites transformations, à la portée significative.

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Brun A., Roussillon R., Attigui P. (2016). Évaluation clinique des psychothérapies psychanalytiques. Paris : Dunod. [Google Scholar]
  2. Castel P.-H. (2009). L’esprit malade. Paris : Ithaque. [Google Scholar]
  3. Freud S. (1913). Sur l’engagement du traitement. Œuvres complètes, vol. XII. Paris : PUF. [Google Scholar]
  4. Jullien F. (2012). L’écart et l’entre. Paris, éditions Galilée. [Google Scholar]
  5. Kirk S., Hubtchins H. (1998). Aimez-vous le DSM ? Synthélabo (Les empêcheurs de penser en rond). [Google Scholar]
  6. Lane C. (2009) Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions. Paris : Flammarion. [Google Scholar]
  7. Perlemuter G. (2020). https://lejdd.fr/societe/sante/tribune-la-recherche-clinique. [Google Scholar]
  8. Pignarre P. (2009). La révolution des anti-dépres seurs et de la mesure. Carnet Psy, n° 132. [Google Scholar]
  9. Rey O. (2016). Quand le monde s’est fait nombre. Paris : Stock. [Google Scholar]

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