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Perspectives Psy
Volume 57, Numéro 1, janvier-mars 2018
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Page(s) | 71 - 72 | |
Section | Analyses de livres | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2018571071 | |
Publié en ligne | 10 octobre 2018 |
Analyses de livres
Psychiatre Honoraire des Hôpitaux Psychanalyste-SPP Association Jean Coxtet (Paris) 104, quai Louis Blériot 75016 Paris, France
La barbarie des hommes ordinaires. Ces criminels qui pourraient être nous
Daniel Zagury
Paris : Editions de l’Observatoire, février 2018, 198 pages
D’emblée l’auteur, psychiatre de formation psychanalytique, expert auprès des Tribunaux, connu pour son livre sur l’énigme des tueurs en série (Plon, 2008), pose les questions qui constitueront la colonne vertébrale de l’ouvrage original. Pourquoi les actes les plus barbares sont-ils si souvent commis par les hommes les plus ordinaires ? Qu’il s’agisse de la sphère privée familiale (un mari assassine brutalement la femme qu’il disait aimer. Une mère tue son enfant à la naissance), ou de la sphère publique malheureusement si actuelle (un homme respectable participe à un génocide. Un petit délinquant prépare une tuerie entraînant l’incrédulité et la stupéfaction de l’entourage et des médias pour lesquels c’était : « un homme sans histoire »).
Comment cette femme discrète, ce garçon sans envergure basculent-ils dans la barbarie ? s’interroge Daniel Zagury, quels sont les mécanismes psychiques à l’œuvre ? alors que ce qu’il observe, c’est un vide de la pensée au moment des faits d’une part, et que rien ne vient les retenir de passer à l’acte d’autre part.
Que se passe-t-il pour que l’individu ne trouve plus en lui plus aucune barrière affective ou éthique lors de l’imminence de l’impensable ?
Dans ce livre l’auteur s’appuie sur son expérience de clinicien chevronné et d’expert aguerri pour suivre, a posteriori, la survenue, étape par étape, des actes atroces dont il n’est pas si aisé de ne pas être bouleversé Devant de telles horreurs faut-il pour autant parler de « banalité du mal » ? Il souligne en effet que les situations présentées ne relèvent pas de la pathologie puisqu’il ne s’agit pas de psychose, de perversion ou de psychopathie. Nous ressemblent-ils néanmoins ?
Dans son introduction stimulante, Zagury, s’appuyant notamment sur les positions de Hannah Arendt, énonce qu’on ne naît pas barbare, on le devient. Dans le crime individuel, la personne a perdu toute capacité d’être le sujet de ses actes. Dans le crime collectif, l’être est en totale symbiose avec l’élan du groupe renonçant à toute autonomie de pensée personnelle. Ce n’est pas dans la personnalité qu’il faut rechercher l’origine du mal. Il n’y a pas de personnalité terroriste ou gé- nocidaire, pas non plus de prédisposition au crime passionnel ou néo-naticide. Tout au plus ce serait une condition nécessaire loin d’être suffisante. L’auteur avance l’hypothèse de processus mutatifs de conflits humains fondamentaux. Pourquoi certains hommes résistent-ils mieux que les autres à ce type de situations ? C’est dans l’incapacité d’élaborer nos conflits ou à les contenir psychiquement que s’inscrit le mal.
Ce n’est pas dans la recherche du mal que s’inscrivent les terroristes et les génocidaires mais dans l’aspiration au bien, à la pureté et la morale... Dans les crimes familiaux les prétextes les plus futiles sont souvent invoqués. Ces hommes ordinaires ne sont pas vraiment normaux, pas malades sans être en parfaite santé mentale. On retiendra la médiocrité du fonctionnement mental, une pensée coupée de ses sources affectives ou émotionnelles. Dépassant les simples classifications qu’il est loin de méconnaître, l’auteur s’appuie sur ses références psychodynamiques et psychanalytiques pour mener ses investigations expertales de façon que la dimension diachronique soit toujours présente dan son approche des personnes appréhendées. La question de la responsabilité et du discernement est liée, elle aussi, au type de fonctionnement psychique des sujets et à la qualité de leurs interrelations passées et actuelles.
Enfin, Daniel Zagury fait l’éloge, tout au long de son œuvre, de ce qu’il appelle modestement la pédagogie de la complexité, à l’instar des ses maîtres depuis son inspirateur Georges Canguilhem, son mon maître le psychanalyste Paul-Claude Raca- mier (et en particulier le livre Le génie des origines) et son précurseur le psychiatre-psychanalyste Claude Balier (La psychanalyse des comportements violents).
En conclusion, on ne peut se limiter au modèle très insuffisant de la personnalité criminelle, il convient de prendre en compte la dynamique des processus qui transforment l’organisation psychique jusqu’au seuil précriminel.
On peut comprendre dans ces conditions la difficulté de la Justice « face au mal immense commis par des personnes ordinaires, avec des caractéristiques psychiques banales ». La banalité du mal selon l’auteur ne devrait pas entraîner nécessairement le minimalisme de la peine.
L’ouvrage de Daniel Zagury s’achève sur une réflexion philosophique dans laquelle il estime que toute pédagogie démocratique devrait permettre à un enfant d’acquérir la capacité à penser par soi- même, à développer un sens critique, et à supporter le conflit.
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