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Perspectives Psy
Volume 56, Numéro 1, janvier-mars 2017
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Page(s) | 82 - 83 | |
Section | Analyses de livres | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2017561082 | |
Publié en ligne | 13 juin 2017 |
Analyses de livres
Psychothérapeute, psychiatre, psychanalyste
45 rue de Chaillot, 75016 Paris, France
Adolescence et cinéma
Psychiatrie Française
Vol. 47, no 1, décembre 2016
On parle bien des lectures que l’on aime, c’est ainsi. À partir de là, il y a plusieurs manières d’envisager que tout n’est pas dit. L’éternelle adolescence des créateurs d’images et des passeurs de rêves n’en mérite pas moins, et depuis longtemps. Silke Schauder et Maurice Corcos en témoignent, nous livrant ici un ouvrage collectif qui ravira les cliniciens, cinéphiles ou pas (tout est possible). Et tant d’autres.
Un recueil suffisamment peu académique, en tout cas de nulle académie donnée (Giordano Bruno). Un kaléidoscope de textes reliés par des pellicules invisibles, tournoyant autour de la bobine magnétique psychopathologie-cinéma-psychanalyse. Une fantaisie à dix voix auto-qui de fait génère de l’espace analytique, en assumant le risque sauvage des interprétations (sans lequel il n’y aurait qu’à la fermer, s’en souvenir). Un rêve éveillé riche de transitions inventives, déployant la pensée en mots et en images, voilà qui est permis par l’audace des auteurs et leur sincérité démultipliée.
Ainsi, ce nouvel opus de l’excellente revue « Psychiatrie française » réaffirme avec subtilité et intensité que tout reste à dire, à condition de résister au non-créatif, à la pétrification, aux dogmes, à la frilosité.
Une dynamique visiblement destinée à ne pas s’arrêter là, pierre vive à l’édifice d’une érudition polyphonique pleine de saveurs. Un orchestre d’esprits de recherche faisant varier de pages en pages les angles au fil de leurs désirs de produire du sens, vertiges d’enfance très partagés avec leur lecteur. Une ode aux supputations imaginatives des spectateurs (pas uniquement d’eux-mêmes) que chacun envisagerait de devenir. De la rage ombilicale à l’extase bisexuelle et de la force des identifications héroïques aux projections narcissiques mortifères. Silence… Action !
Dès lors, il y a plusieurs façons de rendre hommage à un tel travail collectif, plongeant admirablement ses racines inter-subjectives multiples à travers une foule de travaux antérieurs (« Le rêve d’un passé qu’actualise le présent en le projetant dans l’avenir » (Pirlot)).
Le style elliptique, endeuillé, qui part du coeur : Aux regrettés Jean-Gérald Veyrat et Claude Jean-Philippe omniprésents. Et ce, dès l’introduction qui a la simplicité des réflexions complexes de nos deux professeurs en processus adolescent, coordinateurs ès créativité et médiations, interrogations polymorphes et passerelles théorico-cliniques.
Autre façon d’aborder le sujet, la forme classique de la fiche de lecture synthétique déroulant la dizaine d’auteurs qui figurent au générique. Une véritable réalisation qui fait varier les plans, les éclairages et les perspectives. Une mise en scène de thématiques cheminant en étoile, dans le sillage de l’émouvante présentation de l’ami Jean Géralde (lire ou relire son livre « Le Projectionniste ») : « Les 14 films paradigmatiques d’Adolescence et cinéma »… Du batteur génial de Whiplash (Vincent Estellon) à l’intemporel Pinocchio (Pablo Votadoro) ? Des rires de Chaplin magiquement revisités (S. Schauder) aux chagrins vénitiens de l’arrière-langue viscontienne aux interprétations sensibles (A-M Smith-Di Basio et A. Liberman). Des vertiges maternels de Maurice Corcos aux déserts d’Arabie du Lawrence (Pirlot), en passant par l’incontournable Starwars ne cessant de se transférer (M. Delhaye et C. Mille) et les négatifs lumineux d’Andrzej Wajda (M. Wawrzyniak).
Autre type de critique, le genre transversal : Voici moins un montage de folies en diagonales que le script qui rend compte d’un bonheur associatif à communiquer, un rêve de lecture en train de se rêver autre, en direction des autres. D’où l’envie de s’autoriser à divaguer entre les écueils du vide et l’empire du ronflant. En écho à l’intraduisible oeuvrant jusque dans ses détours hallucinatoires par le réel. À l’image d’un cinéma de l’adolescence qui foisonne d’inscriptions symboliques, imprégné de refoulements intergénérationnels, d’historisations des traumas originels et de reconstructions inconscientes. Un voyage rêvé pour rêver ? Traversé par les jaillissements étrangement familiers du septième art. Entre la tristesse du rire chaplinesque (Schauder) et la jouissance abyssale du mélancolique (Corcos). Sans oublier les objets décevants, les fantasmes d’indestructibilité, l’allégorie des paradis manqués hérités de l’infantile et l’archaïque faisant son cinéma dans l’actuel… Subjectivations à l’oeuvre et réactualisations aussi illusoires que nécessaires, à l’ombre des rushes de vie et de mort de la psychanalyse. Enfin, dernière forme critique souhaitable : l’art de ne pas conclure.
Comme les spirales du regard du regard du regard au cinéma, dès le début, sans fin.
À l’horizon d’un sons et lumières qui mêlerait silence, impressions disputées, interprétations flottantes, savoirs en batailles et paroles en gestation. À l’image des inoubliables luttes psychiques de l’adolescent, pour la liberté.
De filiations filmiques en transferts scénarisés, tout aux réminiscences sensorielles que les scènes primitives du cinéma martèlent.
Les royaumes intermédiaires d’une certaine fureur de vivre (à sauver de l’enfance) sur écran et d’une intuitivité qui écarquillent les yeux, non moins.
Remarquables invitations à la liberté de penser ensemble, aujourd’hui autant qu’hier et moins que demain, pour de bon et pour le reste.
Le moment de se taire devant les échanges respectueux que ce volume, au moins une certitude en ce monde (adolescent ?), ne manquera pas de susciter. « Longue vie » !
© GEPPSS 2017
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